mercredi 14 janvier 2009

Seul à voir (entre compatriotes)

Le soulagement que j’éprouve à l’air libre est assez bref. Il n’y a rien à voir, ici, rien à faire. De plus c’est déjà le soir, il fait presque noir, il n’est plus temps d’aller ailleurs. Me voici tout seul sur un terre-plein, sorte d’île triangulaire et goudronnée, d’une trentaine de mètres de long, au milieu de la chaussée. Quelle idée !
J’entreprends de changer de chaussures. Figurez- vous que j’en ai tout un échantillonnage varié dans mon sac à dos, en plus de celles que j’ai aux pieds. Il y a même des espadrilles, et même des pantoufles ! J’ai vraiment de quoi hésiter.
Du coup j’en ai fait tomber, je m’en rends compte en les comptant ; d’ailleurs les voilà, là-bas, mes espadrilles manquantes, à une quinzaine de mètres derrière moi. Je retourne sur mes pas pour les ramasser. Mais est-ce bien prudent d’avoir laissé les autres sans surveillance ? Mes brodequins ont bien plus de valeur. Ils pourraient bien tenter une personne mal intentionnée.
Voilà ; rassurez-vous : tout est rassemblé, il n’y a pas de mal. D’ailleurs il n’y a vraiment personne par ici. Un marchand de fleurs a même oublié là, par terre, à même le bitume, toute une petite barquette de jacinthes en godets. Elles sont peut-être un peu défraîchies, mais si peu ! ça pourrait faire un petit cadeau. Je m’en suis à peine approché que j’entends des voix, dans le noir. En face, quelque chose ressemble à la grille d’un parc, ce doit être de là que viennent ces voix masculines, et d’ailleurs peu raffinées. Ces gens parlent fort – et ils parlent encore français ! (car nous sommes à Londres, vous aviez reconnu) –, ils hèlent le propriétaire des fleurs d’une voix narquoise, le prévenant qu’un de leurs compatriotes est sur le point de lui voler ses fleurs. Et le voilà qui arrive sur-le-champ, le bougre, surgissant de nulle part, flanqué de deux acolytes. Je dois reconnaître que je suis un peu impressionné – et pourtant je suis peu impressionnable, vous l’avez certainement remarqué ; en effet on m’a toujours laissé entendre que j’étais grand et robuste. Depuis le haut d’un gigantesque corps d’ailleurs franchement mal attifé, une face goguenarde et assez patibulaire me considère avec amusement. Le visage est étroit et plutôt triangulaire, les yeux noirs et enfoncés, la peau douteuse. Les deux acolytes, visiblement beaucoup plus soigneux de leurs personnes, dans leurs manteaux de cuirs, n’inspirent pas confiance davantage. D’ailleurs, bien qu’ils paraissent minuscules par comparaison avec le fleuriste du trottoir, ils doivent bien tout de même tous les deux atteindre les deux mètres, une taille qui, je dois le reconnaître, est loin d’être la mienne. Mais chez moi la curiosité finit toujours par l’emporter sur l’appréhension. C’est pourquoi, partant du fait admis que nous sommes entre compatriotes – il va bien falloir à la longue que je m’y fasse – je m’enhardis, après avoir constaté que ma question (certes un peu hypocrite) sur le prix des jacinthes restait sans réponse, jusqu’à demander à l’effrayant fleuriste combien il mesure. « Deux mètres trente-six », me répond-il simplement. C’est bien ce que je pensais.



Commentaires

La visibilité est mauvaise, peut-être, mais pas votre vue (foi de lecteur).
Commentaire n°1 posté par Christophe Borhen le 15/01/2009 à 09h52
St James' s Park, j'avais reconnu !
Commentaire n°2 posté par pascale le 15/01/2009 à 09h59
Un peu que j'avais reconnu Londres !
Dès les premières lignes, j'ai manqué de m'écrier : "Londres ! Londres !"
(Londres me fait toujours un grand effet.)
Commentaire n°3 posté par François Matton le 15/01/2009 à 15h03
@ Christophe : C'est juste que j'en crois mes yeux...
@ Pascale : En fait, je crois que c'est plutôt du côté de Pimlico ; ça méritera peut-être un prochain billet. J'aime bien faire un peu de tourisme.
@ François : C'est sans doute que vous avez déjà fait cette expérience, François, de constater à quel point la réalité du paysage ne correspond pas à l'idée qu'on s'en faisait.
Commentaire n°4 posté par PhA le 15/01/2009 à 16h07

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