jeudi 5 février 2009

Seul à voir (les livres sont encore loin)

Me voici de passage dans la ville où j’ai grandi.
Des regards s’y échangent, faits de reconnaissances, plus souvent de non-reconnaissances, de retrouvailles et de pertes où finalement je me retrouve ; je me retrouve sous vos yeux à en parcourir les rues, sur une étroite chaise à moteur. L’objet est tout compte fait d’une utilisation assez pratique, et c’est sa petitesse sans doute qui permet sa maniabilité, même si elle est peut-être aussi la cause d’une confuse insécurité.
Je dois manquer d’attention, sans aucun doute ; des pans entiers m’échappent. C’est toujours comme ça, je le sais ; il est nécessaire que vous aussi surtout vous le sachiez. (Par ailleurs ma chaise est rapide et silencieuse, elle se faufile partout ; prenez-y garde à ma poursuite.) C’est ainsi que je me trouve tout surpris de me voir dans l’unique librairie de la ville, déjà vraiment à l’intérieur, sans même pouvoir certifier qu’elle est toujours où je l’ai connue autrefois.
L’intérieur a bien changé. Ces hauts murs et ces vieux rayonnages surprennent, dans une banlieue dont l’essor est encore récent, et parmi tous ces livres déjà jaunis par le temps je ne reconnais rien. Pas un titre, pas un nom. Sans doute ne suis-je pas au bon rayon.
Il apparaît qu’il y a un étage, au-dessus, où peut-être je trouverai ce que je cherche. Je monte l’escalier, un spacieux escalier de bois qui tourne à angles droits. De vastes paliers représentent une importante place perdue : on pourrait sans problème installer là de larges rayonnages. Peut-être est-ce prévu, d’ailleurs, il y a clairement dans tout cet aménagement quelque chose de provisoire. C’est pour cela qu’il faut monter, encore, monter au-dessus de ce qui aurait dû être le premier étage, pour enfin revoir des livres. Ici les rayonnages sont récents, et sans doute aussi les livres – c’est difficile à dire : ils sont encore loin. Il y a de la couleur, en tout cas, même sur le sol, et la lumière ici est bien plus franche. Tout cela est bien tentant. Mais il y a du vide aussi, beaucoup de vide, et les passerelles oranges (ou vertes) sont vraiment trop peu larges, sans aucun garde-fou, pour qu’on s’y aventure. Certains clients l’ont fait cependant, qui vont paisiblement d’un rayon à l’autre. Moi je préfère y renoncer, de tels risques me paraissent peu raisonnables.
Mais voici un employé, tout de même, soudain présent, pour répondre à mes désirs. Sans doute en ai-je, car figurez-vous que je m’entends lui demander s’ils ont des livres de Houellebecque, et de Dantecque. Je l’écoute à peine me dire oui, je l’interromps presque : « … et d’…cque ? » connaissant d’avance la réponse négative. Il ne connaît pas. D’ailleurs je ne me reconnais pas, je me trouve bien audacieux de lui glisser qu’à ma connaissance, s’ils voulaient bien organiser une séance de dédicace, il est probable que ce dernier participerait volontiers. Cependant le jeune homme mince au front dégarni n’est pas né de la dernière pluie : le voilà qui suggère courtoisement avec un léger sourire non dénué de cruauté que, peut-être, il s’adresse à l’auteur lui-même. Je suis bien obligé de l’admettre (même si, en toute bonne foi, je pourrais encore discuter la chose), et le sourire que je lui renvoie ne m’est qu’une précaire protection. Mais oui, pourtant, pourquoi pas ? Il semble intéressé.




Commentaires

Oui, mais c'était il y a un an et moi non plus je ne connaissais pas ...ocque. Tsss! (mais un libraire, tout de même, pfff!)
Commentaire n°1 posté par Ambre le 09/01/2010 à 14h12
Des étages, des escaliers, des vides, de la place perdue, des passerelles, du lointain, des détours autour des noms, le chemin est long jusqu'à ce que le jeune homme semble intéressé.
Commentaire n°2 posté par Michèle le 19/06/2013 à 19h11

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