mardi 10 mars 2009

autorisation de sortie de territoire


C’est à cette page 25 de Malone meurt qu’était restée mon « Attestation d’autorisation de sortie du territoire métropolitain pour mineur » que j’évoquais dans les derniers commentaires, dans une édition plus ancienne encore, que cependant j’avais achetée pour neuve dans la librairie de la ville où j’ai grandi.
 
Quel ennui. Et j’appelle ça jouer. Je me demande si ce n’est pas encore de moi qu’il s’agit, malgré mes précautions. Vais-je être incapable, jusqu’à la fin, de mentir sur autre chose ? Je sens s’amonceler ce noir, s’aména­ger cette solitude, auxquels je me reconnais, et m’appeler cette ignorance qui pourrait être belle et n’est que lâcheté. Je ne sais plus très bien ce que j’ai dit. Ce n’est pas ainsi qu’on joue. Je ne saurai bientôt plus d’où il sort, mon petit Sapo, ni ce qu’il espère. Je ferais peut-­être mieux de laisser cette histoire et de passer à la deuxième, ou même à la troisième, celle de la pierre. Non, ce serait la même chose. Je n’ai qu’à faire plus attention. Je vais bien réfléchir à ce que j’ai dit avant d’aller plus loin. A chaque menace de ruine je m’arrêterai pour m’inspecter tel quel. C’est justement ce que je voulais éviter. Mais c’est sans doute le seul moyen. Après ce bain de boue je saurais mieux admettre un monde où je ne fasse pas tache. Quelle façon de raisonner. J’ouvrirai les yeux, je me regarderai trembler, j’avalerai ma soupe, je regarderai le petit tas de mes possessions, je donnerai à mon corps les vieux ordres que je le sais incapable d’exécuter, je consulterai ma conscience périmée, je gâcherai mon agonie pour mieux la vivre, loin déjà du monde qui se dilate enfin et me laisse passer.
 
Samuel Beckett, Malone meurt, Minuit, p. 25-26 
 
 
C’est de là peut-être que datent mes doutes sur la fiction, sur le « raconter des histoires » ; de là sans doute aussi mon goût pour les exclamatives sans exclamation – que je surveille.




Commentaires

Voilà !
Commentaire n°1 posté par Christophe Borhen le 10/03/2009 à 09h24
et maintenant, tu as des billets d'absence ?
Commentaire n°2 posté par tor-ups le 11/03/2009 à 09h03
J'essaie d'en publier régulièrement ici même...
Commentaire n°3 posté par PhA le 11/03/2009 à 13h17
Quel merveilleux extrait.
Quelle force.
(Je teste l'effet des exclamatives sans exclamation. (Ça  manque un peu d'éclat, non. (Essai d'interrogative sans interrogation.)))
Commentaire n°4 posté par François Matton le 11/03/2009 à 19h01
C'est sûr qu'avec "Quel ennui.", ça marche beaucoup mieux ! (Tu as vu ! Je me soigne !)
Commentaire n°5 posté par PhA le 11/03/2009 à 20h40

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