vendredi 27 février 2009

une vocation touristique

C’est sans doute influencé par ces jeunes qu’il se mit à fré­quenter ces endroits où une agitation prenait l’aspect d'une résistance. Il hanta les grèves, où on défilait devant des C.R.S. De temps en temps, ces gens d’ordre envoyaient une grenade ou distribuaient deux-trois coups de boutou. M. Balthazar Bodule-Jules se retrouva aux premières lignes des ouélélés qui se menaient contre la moindre exaction policière ou de force officielle. Tout devenait le signe tant attendu de la brutalité coloniale. Grévistes que les gendarmes postés dans les campagnes n’arrêtaient pas de fusiller. Fermetures d’usine qui laissaient aux abois des femmes et des enfants. Conflits autour de la canne, de la banane, de l’ananas ou du rhum qui n’en finissaient pas d’agoniser… À chaque fois, M. Balthazar Bodule-Jules était là, debout, vociférant contre le colonialisme. Le temps passa. Le pays devint un peu plus calme. Les der­nières usines avaient fermé. La plupart des champs se mirent à vivoter sous des torrents de subventions. Tout un chacun percevait six-sept allocations. Quant aux défen­seurs du peuple, ils s’étaient trouvé (à mesure de leur cote) des postes électifs où ils représentaient on ne sait ­quoi et percevaient d’engourdissantes indemnités.
 
Mis à part sa guérilla syndicaliste, M. Balthazar Bodule-­Jules lutta contre une nouvelle lubie : le tourisme à tout-­va. Des promoteurs surgissaient de partout. Ils décré­taient que ce pays disposait d’une vocation touristique. Ils voulaient transformer chaque commune en hôtel. Instal­ler des agences de voyages à l’entrée des églises. Poser des gîtes sous les grands arbres. Dresser des papillons pour qu’ils dansent à l’entour des guinguettes. Transformer les pêcheurs en guides pour charters. Les agriculteurs devaient suivre des cours d’art dramatique pour animer des saynètes bucoliques autour de la canne et de l’ananas. Les touristiqueurs se proposaient de peindre les merles en bleu, de parfumer les manicous, et de récompenser les jeunes capables de sourire aux couvées de touristes. Ils embauchaient des milliers de jeunes filles, déguisées en doudous, et qui devaient danser dans les aéroports et les débarcadères. Ils dispensaient des formations d’électricien-tourisme, maçon-tourisme, entrepreneur-tourisme, ingénieur-tourisme, journaliste-tourisme, informaticien-­tourisme… Une université spéciale fut montée (en kit) pour délivrer par an sept millions de diplômes touris­tiques. Les terres agricoles du pays, plus ou moins dévitalisées, subirent un assaut sans précédent. Plus besoin de cultiver ou de produire quoi que ce soit. Seuls devaient pousser hôtels, piscines et marinas, touring-­clubs et auberges de jeunesse villages-vacances et casi­nos, bateaux-à-frites et musées de rivage…
 
Patrick Chamoiseau, Bibliques des derniers gestes, p. 700-701, Gallimard, 2002.
Parce qu’une belle lecture m’a ramené pour quelques pages à mes propres origines (l’île bien surnommée des revenants), peu après avoir pris connaissance chez Dominique Hasselmann du manifeste de neuf intellectuels antillais pour “des sociétés post-capitalistes”.




Commentaires

texte fort actuel :)
Commentaire n°1 posté par Gondolfo le 27/02/2009 à 09h54
Oui, tout ça n'est pas né d'hier.
Commentaire n°2 posté par PhA le 27/02/2009 à 10h15

jeudi 26 février 2009

Seul à voir (une gazinière à l'étranger)

Acheter une gazinière à l’étranger, non, tout bien réfléchi je ne pense pas que ce soit vraiment une bonne idée. J’essaie d’ailleurs de le lui faire discrètement comprendre, à M : le transport, la garantie seront certainement un problème. Par ailleurs le vendeur, peu officiel, un petit français rondouillard et dégarni exilé en Angleterre, et son local, visiblement improvisé, ne m’inspirent aucune confiance.
Cependant le prix, il faut bien le reconnaître, est vraiment attractif, surtout pour une gazinière de cette qualité, un modèle véritablement haut de gamme ; il est certain que nous aurons du mal à retrouver l’équivalent. D’ailleurs celle-ci, parfaitement neuve, a appartenu à Jacques Chirac en personne ; c’est une garantie qui devrait nous suffire.





Commentaires

je savoure d'autant plus que me sens parfois un rien paumée ce qui est tout de même mon état normal
Commentaire n°1 posté par brigetoun le 26/02/2009 à 12h35
"Paumée" pour moi est bon signe, ici comme dans la vie !
Commentaire n°2 posté par PhA le 26/02/2009 à 12h41
Pour parodier une question célèbre : would you buy a used cooker from this man ?!
Commentaire n°3 posté par pascale le 26/02/2009 à 14h53
Should I not ?
Commentaire n°4 posté par PhA le 26/02/2009 à 19h55
Tu doutes encore... c'est tout toi !
Commentaire n°5 posté par pascale le 26/02/2009 à 22h12
 

mercredi 25 février 2009

Vie des hauts plateaux (arbitrairement 26)

Sa face de brute ne trompe pas, ni sa batte de base-ball : c’est avec une brutalité inouïe – quoique quelque peu mécanique – qu’il entreprend de la battre. Elle, de son côté, ne s’en fait pas. Juste un gémissement, un déhanchement, toujours le même ; c’est clair : il ne lui arrivera rien. Regardez-le qui s’obstine, inconscient de l’inefficacité de ses coups toujours identiques. Regardez sa tête de brute, comme elle coulisse curieusement, à chaque coup de batte, de gauche à droite, sur ses épaules.



Commentaires

regardez la danse hachée de son corps à elle qui encaisse tout de même
Commentaire n°1 posté par brigetoun le 25/02/2009 à 10h24
Cette brutalité "inouïe", mais quelque peu "mécanique", suspend le jugement, le met en balance sur les hauts plateaux.

En tout cas, je vous lis de la sorte.
Commentaire n°2 posté par Christophe Borhen le 25/02/2009 à 10h47
Elle ne l'avait pourtant pas volé, la chienne.
Commentaire n°3 posté par François Matton le 25/02/2009 à 11h33
Et en plus elle continue à porter le ruban qu'elle arbore fièrement quand la brute se déchaine.
Oui, vraiment, elle a du caractère.
Commentaire n°4 posté par edcoz le 25/02/2009 à 12h42
Tout un spectacle...
Hauts Plateaux : une clé cachée, l'oiseau seul a accés.
C'est simple : il est l'oiseau 
Commentaire n°5 posté par Fayçal le 25/02/2009 à 14h03
J'aime tous vos commentaires.

Fayçal, vous avez lu le billet Vdhp arbitrairement 4 ? ou êtes-vous voyant ? Les deux peut-être...
Commentaire n°6 posté par PhA le 25/02/2009 à 18h09
Non, je n'ai rien lu... Je ne suis pas non plus voyant, mais plutôt non-voyant... voilà le secret
Merci pour ces apostrophes et exlamation (les oiseaux d'irene). C'est là que je me suis dit : tiens, un enfant.
Sourire d'âme partagé, Philippe 
Commentaire n°7 posté par Fayçal le 25/02/2009 à 19h44
Un peu voyant donc.
Merci, Fayçal.
Commentaire n°8 posté par PhA le 25/02/2009 à 20h31
Wow ! C'est bath !
Commentaire n°9 posté par Loïs de Murphy le 25/02/2009 à 23h49
 
"Il ne faut pas le laisser faire
sinon il arriverait très vite à cette attitude
à laquelle il ne peut plus rien être opposé.
Aussi, certains moyens « ultimes » pourront-ils être utilisés
pour qu'il reste bien dans l'attitude
qu'on lui a choisie jusqu'à ce qu'il s'arrête
parce qu'on le lui permet."

Commentaire n°10 posté par tor-ups le 26/02/2009 à 13h24
C'est donc là un de ces moyens "ultimes" - d'où l'ignorance de la brute de vivre une histoire d'amour - peut-être.
Commentaire n°11 posté par PhA le 26/02/2009 à 13h49
 

mardi 24 février 2009

les noms décidément

Port-Louis 1873
 
J’ai connu un Félix Desvages. Ce n’est pas celui qui dans les tranchées de 1915 avait trente-deux ans, avait vu le jour en 1873 à Port-Louis, était crépu, sans doute fils de mulâtresse ou fils de fille de mulâtresse, de cabresse, comme on disait. Le Félix Desvages que je connus est fils de ce Félix-là, fils lui-même du premier des Félix du même nom.
 
« Cabresse » ? j’avais toujours entendu câpresse.
Je ne m’attendais pas à ce qu’un livre de Marie Cosnay me renvoie aux Antilles.
(Marie Cosnay, où donc ai-je bien pu fourrer Les Temps filiaux ? On ne devrait jamais ranger sa bibliothèque, on ne s’y reconnaît plus. (Heureusement j’ai eu le temps de le lire avant qu’il ne disparaisse, aussi mystérieusement que ce qu’il dit.))
 
Félix deuxième, né à Port-Louis de Félix Des­vages et d’Augusta Dalix mourut le 9 février 1919 d’une « maladie contractée aux armées », à l’hôpital Bégin de Saint-Mandé. Je connus son fils, Félix, et sa fille, Andrée, que pour des rai­sons inconnues on appelait Hélène.
 
Les noms. Tous les livres parlent des noms. Les noms qu’on porte et ceux qu’on ne porte pas.
 
De 1840 à 1880 à Port-Louis, les actes de décès sont en plus grand nombre que les actes de naissance. Sur les microfilms des Archives nationales, l’acte du 17 janvier 1873 confir­mant la naissance de Félix deuxième propose pour la mère Augusta un autre prénom que celui que la légende familiale lui a attribué : Rose Dalix.
 
Les prénoms aux Antilles. Mes grands-parents maternels – ma mère elle-même – ont vécu sous d’autres prénoms que ceux inscrits sur leurs papiers d’état-civil. (Et Civil même est un nom de ma famille : nom de l’Etat qui donne son nom.)
 
Cette recomposition par fragments d’un passé familial complexe n’est pas sans faire écho à ma lecture récente de Ma solitude s’appelle Brando, d’Arno Bertina.
 
L’éruption de la Soufrière, le mercredi 8 février 1843, provoque un incendie qui détruit maisons et plantations. Des milliers de personnes sont piégées, brûlées. Le premier adjoint du maire, Anatole Léger, tente de maîtriser l’affolement. Au Bois-debout, on cultive la canne à sucre.
 
Le 29 avril 1897, un tremblement de terre pro­voque une grave crise économique. Quelques familles de colons se retirent, dont celle d’Alexis Léger Léger, qui s’installe à Pau.
 
Plus de vingt ans auparavant, dans les années 1870, Félix Desvages nommé gardien de la paix à Port-Louis, rencontre Rose Dalix qu’il appelle Augusta. Rose est née esclave. En 1873, le 17 janvier, elle met au monde l’enfant qu’on dit Félix comme le père. Trouvé dans les affaires des enfants de Félix mort de grippe à Saint-Mandé après quatre ans de front : l’acte de vente, illé­gal car il s’agit d’une enfant impubère, dûment signé pourtant, daté du 23 juillet 1844, concer­nant Rose ou Augusta, de mère marronne ou disparue. Le reste s’est perdu. L’acte conservé rappelle l’amour que le gardien de la paix à Port-Louis connut, et la mère que Félix (quatre ans dans la boue, uniforme empesé, perdu en embuscade, retrouvé par son escouade serré évanoui un jour d’hiver 1916 à un compagnon dont le front fendu sépare verticalement en deux parties égales le visage, un œil dans chacune, sauvé, mort de grippe à Saint-Mandé en 1919), sembla ne jamais connaître.
 
Félix premier est gardien de la paix. L’insur­rection commencée le 22 septembre 1870 en Martinique atteint la Guadeloupe. D’anciens esclaves, ouvriers, brûlent une cinquantaine d’habitations. Peut-être l’insurrection conduit-­elle le gardien de la paix à Saint-Louis. Il ren­contre Rose, a d’elle un fils, reconnu plus tard en métropole.
 
Je n’écris pas un billet sur l’actualité aux Antilles.
Je n’écris pas non plus un billet sur le livre de Marie Cosnay André des Ombres, qui pourtant le mérite bien. Ni sur les Antilles donc : trop incertain mon regard d’Antillais délavé, antillais d’origine seulement, et grandi en métropole.
J’écris sur les noms encore. Ecrire sur les noms c’est poser la question de l’identité ? se demande l’Antillais délavé.
 
André des Ombres, de Marie Cosnay, est paru en 2008 aux éditions Laurence Teper. Les passages ci-dessus, interrompus par mes divagations, sont aux pages 34 à 37. On en trouvera une lecture attentive par Jean-Marie Barnaud sur Remue.net.
Les Temps filiaux est un autre livre de Marie Cosnay, dans une toute autre tonalité, paru également en 2008 dans la collection In situ de l’Atelier In 8. A l’occasion de la parution de ces deux livres, une interview de l’auteur dans le Matricule des Anges, un article de Jean-Claude Lebrun dans l’Humanité, un article de Pascale Arguedas sur son site Calou.
 
(Nouvelle recherche. Toujours introuvable, Les Temps filiaux. Mais tiens, j’ai retrouvé Petit traité de désinvolture, de Grozdanovitch, également égaré. Je poursuis les recherches.)



Commentaires

Ah voilà, je me demandais où j'en avais entendu parler... Dans Le Matricule des anges :o)
Commentaire n°1 posté par Loïs de Murphy le 25/02/2009 à 09h33
Bonne lecture...
Commentaire n°2 posté par PhA le 25/02/2009 à 10h01

lundi 23 février 2009

Seul à voir (les pieds de l'homme)

Pénétrant dans une petite pièce, une pièce très étroite surtout, toute en longueur, je découvre soudain mes collègues, une bonne partie de mes collègues réunis là, autour de tables mises bout à bout qui ne suffisent pas – la place manque –, en pleine activité, l’air soucieux.
Ils dessinent. (Moi aussi, je dessine.)
C’est en de telles occasions inhabituelles que l’on découvre chez de quotidiennes relations des talents jusque là insoupçonnés. Elle, par exemple dessine vraiment très bien. Je ne m’en serais jamais douté, peut-être à cause de son air perpétuellement maussade et de son absence de coquetterie. Pourtant, faute de place, elle est obligée de prendre appui sur un carton qu’elle tient de l’autre bras, debout, le front presque contre le mur. Et quand je jette un coup d’œil par-dessus son épaule, je suis vraiment impressionné. Ce qu’elle fait me paraît vraiment plein, je ne trouve pas d’autres mots pour mieux dire. Mon propre dessin, qui pourtant n’est pas si mal, me paraît bien piètre, en comparaison. C’est important, savez-vous, de pouvoir comparer. S’il n’y avait pas son dessin, j’aurais vraiment du mal à imaginer que l’on puisse faire quelque chose de mieux que ce que j’ai produit. C’est probablement que moi, je ne peux pas faire mieux.
J’ai dessiné deux corps enlacés. Aussi enlacés que possible, comme sculptés au départ dans le même cylindre de bois. Le résultat est quand même plutôt convaincant, malgré elle. J’aime voir apparaître les mains et les pieds de mes personnages, surtout là où on ne les attendrait pas, dans l’enchevêtrement des membres, sans pour autant faire d’entorse à l’anatomie. Mais je n’ai pas réussi à faire apparaître les pieds de l’homme.

samedi 21 février 2009

Vie des hauts plateaux (arbitrairement 25)

D’autres fois je panique, enlisé jusqu’au coup dans une verdure étrange. Puis je reparais d’un coup : je m’étais juste égaré dans la masse immatérielle d’un tyrannosaure fraîchement abattu.

vendredi 20 février 2009

des noms impropres

Cette histoire de nom qui me travaille me renvoie à une autre lecture, il y a un an, ou un peu plus. (Et merci à Cécile, précieuse conseillère, qui m’a aiguillé vers ce livre.)
  
 
Mon père appelait ma mère Caroline. Avait-elle choisi, dès leur première rencontre dans un café de Montparnasse, de se présenter à lui sous ce nom d’emprunt ? Et pourquoi mon père persista-t-il à appeler ma mère Caro­line après avoir appris que ce prénom n’était pas le sien ?
Elle avait dérobé à sa propre mère son prénom. Des années après la mort de leur fils, mes grands-parents paternels continuèrent à nommer leur belle-fille du nom d’une vieille dame corse qu’ils n’avaient jamais connue. Ses sœurs et ses cousins appelaient ma mère Marie-Rose ou, plus rarement, Rose. Après la mort de mon père elle devint progressivement Marie, prénom par lequel la plupart de ses proches, aujourd’hui, la désignent. Elle ressemble beaucoup plus à la morte qu’à la vivante.
Avant la naissance de mon fils ma mère s’inquiéta du nom qu’il devrait lui donner. L’appellerait-il en corse mina, en italien nonna, en français grand-mère ? Pressen­tant le désarroi dans lequel toute nomination plongeait sa grand-mère, mon fils élabora à l’âge d’un an le vocable mamè, peut-être parce qu’il m’entendait l’appeler mamère, ou qu’il avait construit une variante à partir de maman.
Moi-même, depuis une époque précise que j’ai oubliée, ai cessé de l’appeler maman. Lorsque j’ai besoin de sa présence au loin j’émets des sons inarticulés jus­qu’à ce qu’elle comprenne à qui mes oh oh ! s’adressent. Sur les cartes postales que je lui envoyai enfant, la première phrase n’est jamais précédée par rien. Au téléphone, elle commence au milieu d’une phrase, ou prononce exceptionnellement : « C’est moi. » Quand je cherche à lui faire avouer : « Qui ça, moi ? », elle ne répond rien. Souvent elle emploie des pronoms dont elle omet l’antécédent. « Je voulais le voir au Gaumont Alésia. – Voir quoi ? – C’est ma vie. » Il manque presque toujours dans ses phrases quelque chose avant.
Eh bien vous peut-être ; si c’est ce que vous appelez parler, ne jamais dire un mot. Mais pas moi.
 
Hélène Frappat, L’Agent de liaison, p. 31-32, Allia, 2007.




Commentaires

Wow... J'ai explosé mon budget bouquins pour le trimestre, mais plus tard je le lirai je pense...
Commentaire n°1 posté par Loïs de Murphy le 20/02/2009 à 11h11
N'est-ce pas ? Si l'adjectif n'était pas aussi bêtement galvaudé, je dirais bien que c'est un texte dérangeant - avec art.
Commentaire n°2 posté par PhA le 20/02/2009 à 11h58
Un texte indenti-taire
Commentaire n°3 posté par pascale le 20/02/2009 à 12h21
Identité, silence ; oui. Un jour il faudra tout de même que j'évoque l'Innommable.
Commentaire n°4 posté par PhA le 20/02/2009 à 13h35
à PhA : j'ai beaucoup aimé ce livre (à tel point que je croyais te l'avoir conseillé).
Commentaire n°5 posté par coeur en diamant le 21/02/2009 à 10h09
Comment ? Ce n'est pas moi qui, au contraire, te l'avais conseillé ?
(Mais savons-nous encore qui nous sommes ?)
Commentaire n°6 posté par PhA le 21/02/2009 à 13h03
merci Philippe
Commentaire n°7 posté par Cécile le 28/02/2009 à 11h06
 

jeudi 19 février 2009

Seul à voir (la tête soudain tournée vers moi)

Est-ce un lapin, cette forme claire à la fourrure soyeuse étendue sur le gazon du jardin, près du mur de la maison ? Dites-le moi : est-ce un lapin (longues oreilles, race domestique) ou bien un chat ? Est-il mort ? N’est-il pas en train de s’éveiller, la tête soudain tournée vers moi ?




Commentaires

Un bon moyen pour être fixé : marcher sur la queue.
Le lapin bondit, le chat feule, le nain de jardin ne réagit pas.
Commentaire n°1 posté par François Matton le 19/02/2009 à 14h38
(en même temps, des nains de jardin qui laissent traîner leur queue, c'est peu commun)

Bravo, j'ai eu très peur (j'adore ça).
Commentaire n°2 posté par Didier da le 19/02/2009 à 19h07
(c'est sûr qu'habituellement ils la rangent dans leur brouette sous un peu de terre — ce qui ne trompe pas les amateurs)
Commentaire n°3 posté par François Matton le 19/02/2009 à 19h38
(c'est sûr qu'habituellement ils la rangent dans leur brouette sous un peu de terre — ce qui ne trompe pas les amateurs)
Commentaire n°4 posté par François Matton le 19/02/2009 à 19h39
Oui, mais s'il est mort ? - car là encore je doute...

(Les nains de jardin ne laissent pas traîner leur queue, Didier - sauf le schtroumpf paresseux.)

François, décidément, tu aimes les messages secrets et les caresses de souris...
Commentaire n°5 posté par PhA le 19/02/2009 à 19h49
S'il est mort ? Il faut en être sûr ; ça peut être un chat vampire ou un lapin zombi. Se méfier.
Commentaire n°6 posté par Didier da le 19/02/2009 à 20h30

mercredi 18 février 2009

mardi 17 février 2009

délivré des noms

J’oublie son nom, et son prénom plus encore. Parfois il me faut plusieurs minutes pour les retrouver. Ils ne cadrent plus avec ce que je dis de lui. Sa figure se des­sine. Délivrée des nom et prénom, sa figure se dessine. Je le peins en nomade, émergeant péniblement du brouillard, clopin-clopant, dans des frusques aux cou­leurs sourdes, bleu mauve, brun presque noir, rouge étouffé, couleurs de ses Palissade qui ont l’air amples et somptueuses quand elles ne sont que des collages, recoller les morceaux afin qu’on se fasse prendre, qu’on n’y voie que du feu, qu’on ne sache plus l’éparpillement dont elles procèdent. Je le peins en nomade. Pour ne pas quitter ses brumes, il s’est fait nomade, il a accompli le minuscule voyage qui tient dans un département ou presque, l’immense voyage, le seul qui vaille : soulever l’ailleurs alors qu’on est dedans.
 
Maryline Desbiolles, les draps du peintre, p. 95
Editions du Seuil, Fiction & Cie, 2008.
 
Comment en effet évoquer quelqu’un par son nom ? comment se résoudre à une telle réduction de la personne ? (Surtout, bien sûr, quand le nom est si évocateur – mais même.) L’amour, notamment, sait bien cela.
A propos de cette belle peinture de peintre, un article sur Sitaudis, une interview dans le Matricule, une autre dans le Magazine des Livres

lundi 16 février 2009

Seul à voir (pas question de choisir)

Ce n’est pas facile d’honorer en même temps deux invitations différentes : comment ai-je pu me mettre dans une telle situation ? Je n’en ai aucune idée, je ne parviens pas à m’en souvenir, je ne saurais dire laquelle fut la première.
Maintenant me voici bien obligé de ne décevoir personne. On compte sur moi des deux côtés : il y a en effet bien longtemps que je ne les ai vues, toutes ces personnes.
J’ai encore de la chance, dans mon malheur ; je dois bien le reconnaître : par un heureux hasard, les deux réceptions ont lieu non loin l’une de l’autre, de chaque côté du pont, en contrebas, en plein air, juste au bord du fleuve. Je suis encore sur le pont, sur le point d’arriver. Il suffit que je tourne à droite pour me retrouver dans la famille de ma mère. Si je tourne à gauche, je serai l’hôte tant attendu de mon vieil ami d’enfance, mon vieil homonyme, qui a tellement insisté.
Il ne peut pas être question pour moi de choisir : je dois me résigner à faire la navette entre les deux, à courir de l’une à l’autre, malgré les voitures, sans vraiment pouvoir parler à personne, sans donner d’explications. Tous ces gens, dites-vous, seront un peu désappointés par mon comportement étrange, par mon singulier manque de disponibilité. C’est mieux cependant que de leur faire entièrement défaut.
Me voici donc contraint de réduire ma condition à ces incessants allers-retours, qui semblent-ils débordent parfois un peu jusque de l’autre côté du pont, de l’autre côté du fleuve, dans la ville où j’ai grandi et que toujours je ne reconnais plus, malgré mes multiples traversées à pieds, à bicyclette, en car, toutes ces traversées certes un peu pénibles mais que j’accomplis malgré tout, avec même peut-être un soupçon de complaisance.

samedi 14 février 2009

Vie des hauts plateaux (arbitrairement 23)

Vie des hauts plateaux (arbitrairement 23)

Dès le moteur en marche, même à l’arrêt, je suis en sécurité sur mon scooter des neiges : le géant barbu qui prétend m’assaillir à coups de matraque mourra foudroyé sans même que j’ai jeté un regard vers lui. Dommage que je n’en sache rien – car lui n’en sait pas davantage.



Commentaires

Philippe Annocque, l'homme qui donne antimatière à rêver (ou : aux innocents les mains vides (les pauvres, on les a refaits)).
Commentaire n°1 posté par Didier da le 14/02/2009 à 12h24
Ah, ça me plaît, ça ! Je le mettrai sur mes cartes de visite.
Commentaire n°2 posté par PhA le 14/02/2009 à 14h43
est-ce une matraque sans manche auquel il manque la dragonne ?
Commentaire n°3 posté par tor-ups le 15/02/2009 à 12h45
c'est vrai qu'à l'heure où j'écris, le manche est dans la main et la dragonne au poignet d'un de mes petits collaborateurs justement à mes côtés
mais mon scooter se conduit du bout des doigts
Commentaire n°4 posté par PhA le 15/02/2009 à 13h55
voilà qui me confirme dans mon goût pour la plaine
Commentaire n°5 posté par brigetoun le 15/02/2009 à 20h19
 

jeudi 12 février 2009

807 Chevillard

Ne m’embrassez pas ! J’ai contracté (il y a déjà longtemps) un virus, extrêmement contagieux : je fais en effet partie de ces personnes, en nombre toujours croissant, qui se prennent pour Eric Chevillard, et qu’on laisse imprudemment parcourir les rues et la Toile – tiens, si vous sous-estimez l’épidémie, allez donc voir par ici.
Est apparue depuis peu – en fait, depuis la publication papier de la première saison de notre feuilleton préféré – une forme spécifique de ce mal nouveau, plus clairement monomaniaque, toute concentrée sur le premier épisode, devenu légendaire :
 
« J’ai compté 807 brins d’herbe, puis je me suis arrêté. La pelouse était vaste encore. »
 
Le premier à en être atteint fut Franck Garot, qui gentiment offre désormais l’asile et le couvert aux malheureux contaminés, ouverture tous les matins à 8h07 ; qu’il en soit remercié.
 
Il convient cependant d’évoquer l’origine du mal, pour ceux qui ne s’en méfieraient pas. On sait en réalité peu de chose de son identité véritable. Le fait est que la pathologie a atteint chez lui un point tel qu’il va, et ce très régulièrement depuis une bonne vingtaine d’années, jusqu’à faire publier des livres signés Eric Chevillard, avec la complicité d’éditeurs sans scrupules comme Minuit, Fata Morgana, Argol et plus récemment L’Arbre Vengeur. Je ne saurais trop en déconseiller la lecture. Voyez le résultat ; ma vie aussi désormais peut se résumer en trois lignes :
 
J’ai perdu 807 cheveux, puis je me suis arrêté. Mon coiffeur me regarde d’un sale œil.
 
J’ai été condamné à seulement 807 années de prison. L’espérance de vie des gardiens est en baisse.

J’ai atteint les 807 lecteurs, puis je me suis arrêté. Je ne saurais supporter davantage d’indiscrétion.
 
Depuis Sans l’orang-outan surtout, chaque voyage à Paris passe par le Jardin des Plantes, vérification oblige (ouf ! il en reste encore cinq). J’y ai laissé mes derniers sous. Maintenant, je reste à l’extérieur de la ménagerie, je me contente de longer les grilles. De là, les singes sont invisibles, bien sûr ; mais avec un peu de chance on peut apercevoir la masse amorphe et hirsute du binturong, non loin de celle, agile et rousse, du petit panda. En passant de l’un à l’autre à un rythme accéléré, mon œil droit parvient encore à recomposer un orang-outan passable (le gauche est plus difficile à convaincre).
Mais le plus dur, c’est en automne, parce que les feuilles aussi sont rousses, et qu’elles tombent, prémonitoires. J’ai survécu au dernier. Souhaitez-moi bonne chance, et évitez les librairies.




Commentaires

Oui, bon, d'accord, cela étant je préfère vos textes. C'est comme ça.
Commentaire n°1 posté par Christophe Borhen le 13/02/2009 à 17h15
C'est que vous me préférez en bonne santé ! (rassurez-vous, je me soigne)
Commentaire n°2 posté par PhA le 13/02/2009 à 17h19
Grâce à vous, j'ai atterri sur la planète Chevillard et je suis atterrée de l'avoir ignorée si longtemps. Merci!
Commentaire n°3 posté par Anonyme le 29/08/2012 à 17h47
Et j'attends impatiemment le prochain, l'Auteur et moi, qui sort le 7 septembre.
Réponse de PhA le 29/08/2012 à 18h22
Enfin! Sur une radio populaire (France-Inter), aujourd'hui, on vante l'Auro-Fictif..... Le 09.04.2013, à 10 H. 10.
Commentaire n°4 posté par Michèle le 09/04/2013 à 10h07
Comme quoi tout arrive - ah non ; ça, c'est sur France Culture.
Réponse de PhA le 09/04/2013 à 18h45

mercredi 11 février 2009

fou rouge

Ici, avenue L.L., nous usons fréquemment de betterave rouge. De ce rouge cramoisi nous faisons de minces tranches qui rosissent nos doigts et nos lèvres. Ceux de M. sont à ce point ­rouges du jus de la betterave qu’ils rougissent ­tout ce qu’elle touche ou baise. Mangez de la betterave rouge, mes amis, et cultivez-la sans relâche ! Je promets d’en planter cette année dont février est tumultueux et froid. Je la planterai partout où cela sera permis. Et de la cuisson de cette betterave, les villes se mélange­ront comme se mélange la crème aigre blanche au jus de cette racine de vieille culture.
Et pendant que cuisent les légumes dans ­leur peau veloutée, on peut vaquer à ses occupations favorites. L’Égyptienne tricote sa vie alvéole par alvéole et le merle bègue tutoie le firmament.
 
Eugène Savitzkaya, Fou civil, p. 76
Le chou rouge est en train de réduire avec le lard et les échalotes dans une lourde marmite de vermillon et son fumet se répand dans l’appar­tement. On y met un filet de vinaigre, des ­pommes, du sel, du laurier et du thym, la noix du muscadier et le poivre une fois qu’il a diminué de moitié. Il ne faut pas se comporter avec le chou rouge comme avec le chou blanc, les deux cabus (cabuses caboches) n’ont pas du tout le même tempérament. L’un est rassis et poli autant que l’autre est fou du bleu de méthylène qui le gorge. Le chou rouge est le type même de la caboche alcoolique. La question que maintenant je me pose est : aura-t-on déposé un jarret ­de porc sur cette humble litière ?
 
Eugène Savitzkaya, Fou civil, p. 84



Commentaires

moi aussi j'aime le fou rouge
Commentaire n°1 posté par lady chatterley le 12/02/2009 à 10h03
C'est un fou délicieux.
Commentaire n°2 posté par PhA le 12/02/2009 à 13h10
ces inspirations culinaires m'inspirent. Merci!
Commentaire n°3 posté par cécile portier le 13/02/2009 à 12h14
Régalez-vous !
Commentaire n°4 posté par PhA le 13/02/2009 à 13h10

mardi 10 février 2009

ma tête sur les planches

Et voilà que, travaillant à genoux sur le plancher, les coudes sur le bois toujours pouss­iéreux, je vois entre deux planches de vieux chêne, pris dans la crasse qui occupe la fente, briller quelque chose d’arrondi, un objet en cuivre rouge. J’ai un couteau sous la main, je m’en occuperai tout à l’heure. Maintenant est l’heure de vous dire que je travaille à genoux et les coudes sur le bois pour de très bonnes raisons que je suis d’ailleurs le seul à connaître. Au bout d’un certain temps, mes orteils s’an­kylosant, je culbute vers l’avant, pose ma tête sur les planches, gyre, m’élève et accomplis un salut au soleil d’ailleurs absent, en cette nuit rue A. à Liège, cette bonne ville. Serais-je tombé sur un trésor ? Mais je suis ainsi fait que ma distraction dépasse largement le fourmillement de ma pensée et que le fourmillement de ma pensée contribue largement à ma distraction. Je parlais donc d’un objet scintillant entre les lames en chêne du plancher, mais je dois me lever pour faire le thé et cela m’emporte ailleurs, thé vert à la menthe oblige. Suis-je l’obligé du thé vert à la menthe ? Depuis quand suis-je l’obligé du thé vert à la menthe ? Depuis 1977 au détroit de Gibraltar, Tanger. La théière en forme de bulbe en acier inoxydable reflète le décor et le personnage qui s’y meut en babouches. Théière et babouches viennent de Marseille, et le morceau de cuivre, de la tuyauterie neuve.
 
Eugène Savitzkaya, Fou civil, p. 63-64, Les Flohic éditeurs, 1999.



Commentaires

Si vous pouviez éviter d'alourdir ma pile de livres à lire, merci :o)
Commentaire n°1 posté par Loïs de Murphy le 10/02/2009 à 08h54
Tranquillisez-vous : Savitzkaya ne saurait alourdir quoi que ce soit, fût-ce une pile !
C'est aussi tout le problème (à moins que ce ne soit l'avantage ?) de la lecture : plus on lit, plus il nous reste à lire...
Commentaire n°2 posté par PhA le 10/02/2009 à 10h49
"Mais je suis ainsi fait que ma distraction dépasse largement le fourmillement de ma pensée et que le fourmillement de ma pensée contribue largement à ma distraction."
Formidable.
Commentaire n°3 posté par Didier da le 11/02/2009 à 15h37
J'étais sûr que tu aimerais !
Commentaire n°4 posté par PhA le 11/02/2009 à 15h41
 

lundi 9 février 2009

Seul à voir (le nom de ma destination)

Suis-je un autre ? peut-être pas, me direz-vous ; ou sinon, en un autre temps ; en tout cas, en un autre lieu.
C’est en Angleterre – encore. La ville, mon ami F m’en a dit le nom, je l’ai oublié, il a dû me le redire quand je le lui ai redemandé (« C’est comment, au fait, ici ?… »), il a dû me le redire mais je l’ai encore oublié. Un nom composé, pas très long quand même ; un nom anglais. Pas vraiment difficile à retenir.
Dans cette ville il y une rue qui tourne un peu, une rue de ville bordée de hautes maisons ou de petits immeubles. Il n’y fait pas très clair, c’est pour ça qu’elle est déserte. Sur un trottoir il y a l’hôtel, sur l’autre – pas tout à fait en face, un peu sur la gauche en traversant – il y a la boutique du marchand de sandwichs.
En théorie, je sais que nous ne sommes pas très loin d’Oxford, un peu au nord. Ça n’a pas beaucoup de signification, peut-être même n’aurais-je pas dû vous le faire savoir.
« Nous », car, à l’origine tout au moins, je n’étais pas seul. Il y avait des amis avec moi, des compagnons de voyage.
Ils ne sont plus là. Peut-être doivent-ils revenir. Nous devons nous retrouver quelque part, en tout cas ; c’est prévu. Il n’y a plus que moi à l’hôtel.
Une fois nous avons été deux, à vouloir rentrer dans l’hôtel. Ça posait un problème, un problème de compréhension, parce que le rez-de-chaussée n’était pas vraiment un rez-de-chaussée ; c’était juste un vaste hall, qui sentait le désaffecté. En plein milieu il y avait la cage d’ascenseur, et l’escalier aussi, mais ce n’était pas simple de les utiliser.
La chambre est un peu plus qu’une simple chambre. J’ai envie de l’appeler une « location », car il y a une cuisine séparée. L’ensemble évoque plutôt un petit appartement, d’ailleurs assez encombré, assez mal tenu. Dans la cuisine (qui se trouve à l’autre extrémité de l’appartement, par rapport à l’entrée principale), il y a une autre porte, une issue secondaire, fermée d’une serrure rudimentaire, qui n’inspire pas confiance : ce serait facile à une personne mal intentionnée de passer par là, elle aurait alors un accès direct à tout l’intérieur.
Les robustes verrous de l’entrée principale sont du coup bien dérisoires.
Cependant il faut bien passer le temps, en attendant ; il faut bien manger aussi. Heureusement il y a le marchand de sandwichs sur le trottoir d’en face. C’est dans sa boutique finalement que je passe le plus clair de mon temps, en attendant. C’est devenu presque un ami. Ce n’est pas un Anglais d’origine, ça se voit à son teint basané, à sa barbe noire naissante ; et puis il a un accent, aussi. Ça ne facilite pas la compréhension, entre nous. Heureusement qu’il y met vraiment du sien. C’est lui qui me rappelle l’heure à laquelle je dois prendre le car, et l’emplacement de la station (il suffit de remonter un peu la rue qui tourne), et le nom de ma destination : une autre ville, à plusieurs centaines de kilomètres de là, beaucoup plus au nord, où je retrouverai mes amis.



Commentaires

Des réminiscences de Une affaire de regard. Est-ce volontaire ?
Commentaire n°1 posté par pascale le 10/02/2009 à 11h17
J'essaie, autant que possible, de ne rien mettre de vraiment "volontaire" dans ces choses que je suis seul à voir ; mais tu as raison : il y a là la remontée fortuite d'une manière de jeunesse où Une affaire de regard trouve autrement ses sources (et l'Angleterre, et la figure de l'ami, et surtout la précarité).
Commentaire n°2 posté par PhA le 10/02/2009 à 11h59

vendredi 6 février 2009

belle promenade sur les affleurements

« Est-ce bien moi qui ai fait ce que j’ai fait ? Peut-être s’achève ici la vie d’un autre. Un autre sans chair, un autre aveugle et glacé, paquet de connexions calculateurs, petit amas d’humeur chagrine acharné à être. »
 
Pierre Jourde, Dans mon chien, PARC édition, 2002.
 
J’ai fini Dans mon chien.
« Dans mon chien », c’est là (ou plutôt c’est de là, depuis là) que se passe ce récit évidemment peu banal que je ne raconterai pas, n’expliquerai pas ; puisque au fond (d’) ici je ne parle que de moi. Moi on ne sait jamais bien ce que c’est, dans mon chien non plus on ne le sait pas, forcément, on le sait encore moins ; dès lors qu’il nous dévore.
Avant de lire Dans mon chien j’avais (j’ai toujours) dans mon dos deux dos jumeaux que je sentais un peu ironiques (dans mon dos sont les rayons de la bibliothèque). Ironie de la gémellité car rares sont les livres d’un même auteur, publiés par le même éditeur, qui au moins en surface se ressemblent aussi peu que L’heure et l’ombre (L’Esprit des Péninsules 2006) et La Cantatrice avariée (paru en 2008 chez le même éditeur). Quant à Pays perdu, lu encore avant, c’est encore vraiment autre chose. Bien sûr on peut dire que ce sont des genres, ou des sujets différents. On n’aura pas dit grand-chose (qu’on ne compte pas non plus sur moi pour dire grand-chose).
Il y a, peut-être, des auteurs qui ne changent que quelques mots par livre – et ces variations sont très belles. Il y en a aussi peut-être qui, jamais, ne sont le même.
Dans mon chien, tout de même, me renvoie à la Cantatrice avariée. Même si ce roman, dernier en date, assume a priori davantage le genre en (se) jouant (de) l’intrigue ; les affinités sont manifestes. Il y a là quelque chose, sans doute, quelque chose de défait, d’épars qui tient à cœur à l’auteur, j’imagine. Un flottement des contours. Un sentiment aigu du disparate. D’où, peut-être, ce désir d’apparente disparité dans l’œuvre entière. Je dis peut-être des bêtises : je me contente d’imaginer ; je n’ai pas lu tout Pierre Jourde. Et d’ailleurs, même si j’avais « tout » lu, je n’aurais pas tout lu. Et qui plus est : il n’a pas tout écrit. Et il ne proposera à la lecture que ce qu’il jugera possible. Mais il est peut-être moins « tout » qu’un autre.
Des strates, des veines, la plupart du temps invisibles parcourent le sol du domaine. Belle promenade sur les affleurements.



Commentaires

Et d’ailleurs, même si j’avais « tout » lu, je n’aurais pas tout lu. Et qui plus est : il n’a pas tout écrit.Belle vérité essentielle. C'est bien de laisser les portes ouvertes, les nôtres et celle de l'auteur.
Commentaire n°1 posté par pascale le 06/02/2009 à 14h27
J'aime les perspectives.
Commentaire n°2 posté par PhA le 06/02/2009 à 18h44
Vous êtes un des rares lecteurs de ce livre, et votre lecture témoigne, je crois, d'un sentiment littéraire très juste dans les rapprochements que vous opérez. Je suis heureux d'être lu de cette manière.

Pierre Jourde
Commentaire n°3 posté par pierre jourde le 03/03/2009 à 17h14
Et moi je suis heureux d'avoir, peut-être, senti quelque chose. C'est aussi, peut-être encore, parce qu'un peu égoïstement votre apparente disparité me fait signe.
Commentaire n°4 posté par PhA le 03/03/2009 à 17h31

jeudi 5 février 2009

Seul à voir (les livres sont encore loin)

Me voici de passage dans la ville où j’ai grandi.
Des regards s’y échangent, faits de reconnaissances, plus souvent de non-reconnaissances, de retrouvailles et de pertes où finalement je me retrouve ; je me retrouve sous vos yeux à en parcourir les rues, sur une étroite chaise à moteur. L’objet est tout compte fait d’une utilisation assez pratique, et c’est sa petitesse sans doute qui permet sa maniabilité, même si elle est peut-être aussi la cause d’une confuse insécurité.
Je dois manquer d’attention, sans aucun doute ; des pans entiers m’échappent. C’est toujours comme ça, je le sais ; il est nécessaire que vous aussi surtout vous le sachiez. (Par ailleurs ma chaise est rapide et silencieuse, elle se faufile partout ; prenez-y garde à ma poursuite.) C’est ainsi que je me trouve tout surpris de me voir dans l’unique librairie de la ville, déjà vraiment à l’intérieur, sans même pouvoir certifier qu’elle est toujours où je l’ai connue autrefois.
L’intérieur a bien changé. Ces hauts murs et ces vieux rayonnages surprennent, dans une banlieue dont l’essor est encore récent, et parmi tous ces livres déjà jaunis par le temps je ne reconnais rien. Pas un titre, pas un nom. Sans doute ne suis-je pas au bon rayon.
Il apparaît qu’il y a un étage, au-dessus, où peut-être je trouverai ce que je cherche. Je monte l’escalier, un spacieux escalier de bois qui tourne à angles droits. De vastes paliers représentent une importante place perdue : on pourrait sans problème installer là de larges rayonnages. Peut-être est-ce prévu, d’ailleurs, il y a clairement dans tout cet aménagement quelque chose de provisoire. C’est pour cela qu’il faut monter, encore, monter au-dessus de ce qui aurait dû être le premier étage, pour enfin revoir des livres. Ici les rayonnages sont récents, et sans doute aussi les livres – c’est difficile à dire : ils sont encore loin. Il y a de la couleur, en tout cas, même sur le sol, et la lumière ici est bien plus franche. Tout cela est bien tentant. Mais il y a du vide aussi, beaucoup de vide, et les passerelles oranges (ou vertes) sont vraiment trop peu larges, sans aucun garde-fou, pour qu’on s’y aventure. Certains clients l’ont fait cependant, qui vont paisiblement d’un rayon à l’autre. Moi je préfère y renoncer, de tels risques me paraissent peu raisonnables.
Mais voici un employé, tout de même, soudain présent, pour répondre à mes désirs. Sans doute en ai-je, car figurez-vous que je m’entends lui demander s’ils ont des livres de Houellebecque, et de Dantecque. Je l’écoute à peine me dire oui, je l’interromps presque : « … et d’…cque ? » connaissant d’avance la réponse négative. Il ne connaît pas. D’ailleurs je ne me reconnais pas, je me trouve bien audacieux de lui glisser qu’à ma connaissance, s’ils voulaient bien organiser une séance de dédicace, il est probable que ce dernier participerait volontiers. Cependant le jeune homme mince au front dégarni n’est pas né de la dernière pluie : le voilà qui suggère courtoisement avec un léger sourire non dénué de cruauté que, peut-être, il s’adresse à l’auteur lui-même. Je suis bien obligé de l’admettre (même si, en toute bonne foi, je pourrais encore discuter la chose), et le sourire que je lui renvoie ne m’est qu’une précaire protection. Mais oui, pourtant, pourquoi pas ? Il semble intéressé.




Commentaires

Oui, mais c'était il y a un an et moi non plus je ne connaissais pas ...ocque. Tsss! (mais un libraire, tout de même, pfff!)
Commentaire n°1 posté par Ambre le 09/01/2010 à 14h12
Des étages, des escaliers, des vides, de la place perdue, des passerelles, du lointain, des détours autour des noms, le chemin est long jusqu'à ce que le jeune homme semble intéressé.
Commentaire n°2 posté par Michèle le 19/06/2013 à 19h11