mardi 12 janvier 2010

les lecteurs ne sont pas innocents

Je le sais : j’en suis un.
Deux ou trois avis (rien d’humble là-dedans, rassurez-vous, plus ou moins en prolongement du billet d’hier).
On reproche à la presse littéraire sa complaisance. Bien sûr. Je serais quand même tenté de faire des petits sachets séparés. On reproche à l’édition de caresser le lecteur dans le sens du poil (pas toujours efficacement : le lecteur est souvent une lectrice ; sa pilosité est discrète, et souvent contrôlée). Là aussi, je préconise les petits sachets. (Tiens, une idée comme ça, bête à coup sûr mais moins qu’une autre, peut-être : pourquoi, au lieu de primer bêtement les auteurs, on ne primerait pas les éditeurs ? La palme à celui qui n’a publié que du bon dans l’année écoulée.) On reproche aux auteurs de… (là je m’arrête tout de suite, les bras m’en tombent et mon nez est trop loin du clavier). Et on ne reproche rien aux lecteurs. Ils ont la belle vie, se la coulent douce, pas concernés : la littérature c’est pas nous qui la faisons (d’ailleurs si c’était nous elle serait mieux) (entre parenthèses parce que quand même, si jamais on passait de l’autre côté, la vie est tellement bizarre – c’est vrai qu’elle l’est, j’en témoigne, on n’est jamais trop prudent). Je sais de quoi je parle : je me souviens. Je me souviens de n’avoir pris aucun risque. Je me souviens de m’être abrité derrière une idée reçue : la littérature française contemporaine, c’est vraiment plus ce que c’était (ben tiens !) ; mieux vaut de l’autrefois ou de l’ailleurs. Et pour me conforter dans cette confortable certitude, avoir ouvert au hasard dans les librairies les livres les plus hauts empilés. N’allant d’ailleurs pas jusqu’à les lire en entier pour me faire une idée – déjà toute faite. Jusqu’à ce que, bien forcé de voir les choses d’un peu plus près, pas tout à fait irrécupérable ouf, je me rende compte d’une extraordinaire vitalité, disons-le carrément ; mon hublot droit (à gauche pour vous) est vraiment tout petit mais regardez-y comme ça remue, diraient certains. Et ce qui fait que ça continue, que ça peut continuer, c’est la curiosité du lecteur, la curiosité que je n’avais pas, mea maxima etc., c’est pour me faire expier que des éditeurs me publient, je me repens et me repais et ça fait du bien, c’est que du plaisir.
(Bien sûr ce billet est complètement inutile. Ceux qui sont arrivés jusqu’ici sont forcément des aventuriers – ou des égarés (moi-même je n’aime rien tant que me perdre). J’aurais mieux fait de garder mon humble avis. Mais ça fait du bien à dire.)


Commentaires

J'adore les mardis! Et un grand merci à votre herboriste, c'est de la bonne! Et c'est tellement plaisant de vous écouter!
(Quand j'avais de l'ordre, je rangeais ma bibliothèque "par" éditeurs. Aujourd'hui, ce ne serait plus possible tant j'en découvre de nouveaux, et des talentueux, avec les auteurs afférents!)
Commentaire n°1 posté par Depluloin le 12/01/2010 à 15h59
Ranger par éditeur, ce devrait pouvoir être possible : il y a des catalogues qui ont du sens.
(Mais je vous dis que je ne prends rien !)
Réponse de PhA le 12/01/2010 à 17h59
je sens l'odeur du "c'est vraiment plus ce que c'était" de là où je suis, ah la la...
(et je vole un peu de votre espace pour râloter sur les fétichistes du papier, l'odeur de l'encre et gnagnagna,  ceux qui oublie les mots derrière, les mots au centre, les mots dedans, les mots d'abord. Et aussi une râlerie contre les amoureux de lectures classiques qui s'offusqueraient grandement devant un plagiat de Picasso ou de Rembrandt mais trouveront excellente une pâle copie de Balzac-Stendhal et assimilés, comme si écrire c'était reproduire à l'infi ce qui était avant. et en ce cas, je vous le demande, hein, qui sont ces malandrins qui ont dessiné autre chose que Lascaux, hein, hein ? mais j'arrête là, suis en plus à côté de la plaque peut-être, je retourne "rouméguer" dans mon coin (patois local :-) )
Commentaire n°2 posté par cjeanney le 12/01/2010 à 16h42
Alors comme ça vous rouméguez ? ça m'épate !
Réponse de PhA le 12/01/2010 à 18h01
Je retiens de la lecture de cet article deux choses :
1. Les lecteurs ne sont pas innocents: non, en effet... Que règlent-ils au juste contre les auteurs ?
2. Entrer dans une librairie, c'est l'aventure contemporaine : oui, on peut s'y perdre ou plutôt feindre de s'y perdre, croire que l'on s'y perd car en vérité, on retrouve toujours la sortie... avec ou sans achat.
Commentaire n°3 posté par Gilbert Pinna, le blog graphique le 12/01/2010 à 17h43
Sans même m'occuper de ceux qui ont à régler contre (ce qui arrive en effet), j'avais envie de rappeler un peu la responsabilité collective, dont on pourrait trop facilement se sentir exonéré. (1)
Réponse de PhA le 12/01/2010 à 18h07
et oui, je roumègue (c'est franc-comtois) ! (et je rammase le chni avec mon ramasse-poussières et je vouine quand je me pleurniche :-) )
Commentaire n°4 posté par cjeanney le 12/01/2010 à 18h28
Formidable ! Vous pouvez me le faire avec l'accent ?
Réponse de PhA le 12/01/2010 à 18h35
ah bé non, parce qu'au départ je suis du nord et que même l'accent chti j'ai du mal (on me disait que j'avais l'accent parisien, rudement incompétente je suis)
Commentaire n°5 posté par cjeanney le 12/01/2010 à 18h49
Ah alors là je suis déçu. (Moi-même je suis d'un peu partout, au point qu'il n'y a plus grand-chose d'identifiable.)
Réponse de PhA le 12/01/2010 à 19h19
"Je crois beaucoup à la physiologie du lecteur. Je pense que l'acte de lire consiste d'abord à s'installer dans la forme du corps qui lit (...) et il y a un délice de la lecture qui est dans physiologie du lecteur (...) et on est, avant même que de lire, dans un bonheur physique."
Daniel Pennac.
Je viens de regarder le documentaire Empreintes qui lui était consacré la semaine dernière, et j'ai pris des notes. Eh oui, je suis une lectrice qui, en plus, prend des notes;o)
"Les lecteurs ont la belle vie, se la coulent douce, pas concernés"!!!!!
Les lecteurs seraient donc si médiocres? (mais il est possible que j'interprète mal. Lectrice médiocre!)
Commentaire n°6 posté par Ambre le 12/01/2010 à 18h56
Je parle de moi (avant), et bien sûr je prends abusivement mon cas pour une généralité ! Non, l'idée, c'est que le public a aussi sa responsabilité dans la littérature qui lui est proposée ; il a aussi la main. Ce n'est pas qu'une affaire entre auteurs, éditeurs et journalistes.
Réponse de PhA le 12/01/2010 à 19h18
"j'avais envie de rappeler un peu la responsabilité collective, dont on pourrait trop facilement se sentir exonéré."
Je partage mais tu en es une preuve vivante, le déclic a eu lieu chez toi comme il aurait pu ne pas être, non ?
Pris du meilleur éditeur oui, prix du meilleur grand lecteur oui, pourquoi toujours les auteurs ?
Commentaire n°7 posté par Pascale le 12/01/2010 à 19h10
La prise de conscience a été un peu tardive chez moi, mais tu as raison. (Je te sens bien partie pour le Prix du meilleur grand lecteur !)
Réponse de PhA le 12/01/2010 à 19h22
J'ai écrit un billet d'humeur ironique sur le prix du grand lecteur, que j'ai nommé prix Titanic... il a été affiché (je suis un peu provoc parfois) en médiathèque pour réveiller les consciences. C'était drôle de voir les réactions : bouche en cul de poule, éclat de rire...
Commentaire n°8 posté par Pascale le 12/01/2010 à 19h29
Titanic !
Autrefois, j'ai l'impression qu'on était vaguement honteux de ne pas lire. Ce n'était sûrement pas une bonne chose. J'ai l'impression que ces complexes-là ont heureusement disparu. Aujourd'hui ce sont les lecteurs qui sont de sympathiques originaux.
Réponse de PhA le 12/01/2010 à 19h39
Mais je me demande si nous "ne prenons pas tous nos cas pour des généralités".
L'écrivain écrit-il pour être lu ou pour lui? L'écrivain a besoin de reconnaissance, c'est pourquoi le lecteur a son importance.
J'arrête de blablater. Et puis merde, Liquide c'est sublime.
Un "prix du plus grand lecteur?" Bouhhh, les prix çà me donne des boutons. (mais dire çà c'est aussi d'une banalité) mais c'est vrai.
Commentaire n°9 posté par Ambre le 12/01/2010 à 20h10
Ah, je ne répondrai pas à la question sur l'écrivain ce soir, ce serait trop long. (Je suis bien d'accord, à propos de Liquide, mais ne le répétez pas !)
Nous sommes quelques-uns, Pascale la première, à peu priser les prix !
Et puis si, une réponse quand même, à ladite question : c'est la même chose (le lecteur ou l'auteur). Je suis mon propre lecteur et j'écris ce que j'ai envie de lire - au moment où j'écris.
Réponse de PhA le 12/01/2010 à 20h32
Mais vous n'étiez pas obligé de me répondre Philippe! (je ris, je ris)
OK, "lecteur, auteur" c'est kif-kif pour l'auteur.  Parce que pour le lecteur c'est niet, sinon tous les lecteurs seraient (ou deviendraient) des écrivains et il y en a déjà suffisamment qui écrivent et se prennent pour des écri-vains.
(si vous étiez un écrivain médiocre je vous embrasserais tiens. Ben oui, je ne craindrais pas le ridicule)
Commentaire n°10 posté par Ambre le 12/01/2010 à 20h58
Écrire contre le lecteur (que l'on est)...
Commentaire n°11 posté par albin le 12/01/2010 à 21h17
Pour lui faire lire autre chose : illusion parfois fertile.
Réponse de PhA le 12/01/2010 à 21h29
"... ceux qui sont arrivés jusqu'ici sont des aventuriers - ou des égarés..."
Peut-être, mais votre billet "n'est pas inutile... puisqu'il nourrit des égarés.
(et pardonnez mon précédent commentaire, il est, pour le coup, inutile)
(vous pouvez pas l'effacer?;o)) 
Commentaire n°12 posté par Ambre le 12/01/2010 à 22h33
Le meilleur lecteur (é)lu, une sorte de prix Concourt.
Il recevrait en cadeau tous les livres qu'il a feuilletés dans une librairie (on retrouverait son ADN sur les pages s'il n'a pas mis ou pris de gants).
Ce lecteur unique serait désigné par les auteurs ayant ressenti à distance - grâce au progrès - la caresse de ses doigts et de ses yeux sur les lignes parcourues subrepticement.
Chaque librairie serait équipée du scanner ad hoc. Pour les éditeurs en ligne, un filtre informatique spécial ferait l'affaire (et les affaires des fabricants).
Le lecteur-roi remplacerait le client-roi en voie de disparition.
Ce lecteur serait ensuite autorisé à publier un livre qu'un lecteur choisi par la méthode décrite ci-dessus élirait ensuite.
Frédéric Mitterrand commanderait un rapport sur la question.
Commentaire n°13 posté par Dominique Hasselmann le 13/01/2010 à 09h36
"Le lecteur-roi"? çà fait peur non? presque autant que l'enfant-roi.
Mais çà existe déjà des lecteurs (hors circuit des éditeurs) "sélectionnés" pour leurs "compétences", leur motivation... : le prix des lycéens... le prix du jury France Inter etc... le problème c'est que, les livres qui leur sont proposés en lecture, sont déjà sélectionnés par ceux qui en tirent des bénéfices non?
SELECTION : çà sonne mal à mon oreille, comme lecteur-roi.
( je m'loigne un peu, mais votre idée m'interpelle)
Commentaire n°14 posté par Ambre le 13/01/2010 à 11h23
Primer les éditeurs ? Pourquoi pas ! Minuit pour les romans. Le temps qu'il fait pour la poésie. Par exemple...
Commentaire n°15 posté par dominique boudou le 13/01/2010 à 19h02
Minuit, bien sûr, surtout il y a quelques années - il faudrait que j'y regarde de plus près. Je mettrais bien Verdier, Champ Vallon, le Temps qu'il fait bien sûr, Argol, LaureLi, Laurence Teper et bien d'autres que j'oublie - et bien sûr un Quidam que je n'oublie pas !
Réponse de PhA le 13/01/2010 à 19h27
Y'en a tant de bons, la liste est longue, puis-je en ajouter ? Ed. Gallmeister, Sables, Sandre, Le Petit véhicule, Moundarren, Phi, etc., etc.
Commentaire n°16 posté par Pascale le 13/01/2010 à 23h50

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