lundi 31 mai 2010

Après vous, Alferi.



LA CAUSE
 
La lumière décida. Elle entrait horizontalement par l’unique fenêtre de la chambre – une quinzaine de mètres carrés – et ressortait par la fenêtre symétrique du vestibule-cuisine-salon – douze mètres carrés au plus. Du moins est-ce ainsi qu’elle cueillit Ben lors de sa visite. Il devait être huit heures du soir, et le soleil de juin, dont la chute se précipitait comme celle d’une montgolfière en flammes, enduisait les murs mal peints, les meubles de récure et le parquet brut d’un vernis de miel chaud. A l’aube, la Terre ayant tourné son dos, l’appartement serait de nouveau embroché par les rayons, suspendu en plein ciel par un trapèze de lumière plus tangible que les quatre étages inférieurs. A gauche de la cuisine, dont la séparait mal un rideau de perles de bois, la salle de bains-toilettes lui ajoutait à peine cinq mètres carrés. Ben ouvrit grand les deux fenêtres. Le luxe de cette lumière traversante compensait largement, à ses yeux, l’exiguïté des lieux.
 
« Air (vent) lumière, se dit-il,
(soleil)
(h) aspirés. »
 
Pour parvenir à vivre seul, il lui semblait vital d’emménager dans une vue plus que dans un intérieur, dans une lumière plus que dans un volume. Sa haine du domicile n’en exigeait pas moins pour prix de son silence. Il appellerait « chez-soi » davantage un lieu d’où – d’où regarder, d’où repartir – qu’un lieu où, davantage un perchoir, un belvédère, une consigne, qu’une résidence. L’appartement du Catalan, comme il prit l’habitude de le désigner, était idéalement réduit, idéalement ouvert. Sans vis-à-vis, sans ascenseur, sans bail – ce mot terrible, synonyme de cautionnement et de liberté provisoire –, il était situé assez haut sur le flanc d’une colline en bordure de Liguse. Or ce chef-lieu d’une laideur inoffensive devenait presque pittoresque vu du dessus, car la plupart des bâtiments de sa vieille ville avaient gardé leurs toits d’ardoise. Ben se félicita de sa bonne fortune, et il sourit en songeant qu’il la devait à la présence d’un ticket de métro entre les pages trente-deux et trente-trois d’un roman de qualité moyenne.
 
Pierre Alferi, Après vous, POL, 2010, p. 7 à 9.
 
Ce n’est pas parce que je commence la lecture du dernier roman de Pierre Alferi que j’en recopie ici les premières pages : je l’ai déjà terminé ; et ce que je relis par-dessus votre épaule n’est pas ce que vous lisez. Ayant lu ces lignes et les suivantes avant vous, j’ai l’impression de bénéficier d’une profondeur de champ nouvelle. Comme je suis bon prince, je veux bien partager (mais avec parcimonie) mes lumières : notez donc celle, décisive, de la phrase liminaire. C’est peut-être l’héroïne, ou le moteur, ou le sujet de ce roman – où précisément c’est bien une question d’éclairage qui décide de l’importance des personnages, du sujet, ou du genre. Car il y a un très beau jeu de mise en doute du genre et du sujet dans ce roman qui, bien que doté d’une page trente-trois qui suit la trente-deux, n’a rien d’autre en commun avec celui mentionné à la fin de l’extrait ci-dessus : c’est à coup sûr l’un des plus excitants que j’aie lus ces derniers temps – et parmi les autres il y avait déjà les Jumelles.



Commentaires

Ce sera après toi, il est déjà emprunté à la bibliothèque (mais je l'ai réservé).
Commentaire n°1 posté par Didier da le 31/05/2010 à 10h12
C'est aussi grâce à toi si j'ai lu Après vous avant toi.
Réponse de PhA le 31/05/2010 à 10h22
Didier da vient de me souffler la plus sage des réponses à ma question! La bibliothèque, bien sûr! Ah, marre de finir au commissariat après une course éperdue sur le Bd Saint-Michel, les gorilles de Gibert aux fesses - si je puis dire...

Commentaire n°2 posté par Depluloin le 31/05/2010 à 10h21
Allons, Depluloin ! Vous confondez les vigiles de Gibert et les petits chiens hargneux qui font la joie maligne de vos fillettes.
Réponse de PhA le 31/05/2010 à 10h25
Philippe, il faut que j'vous dise : vous êtes beau, bien et bon quand vous aimez.
Commentaire n°3 posté par Chr.Borhen le 31/05/2010 à 11h21
C'est sans doute que j'aime aimer ce qui mérite d'être aimé.
Réponse de PhA le 31/05/2010 à 18h54
Courtoisie de la lumière.
Commentaire n°4 posté par Gilbert Pinna, le blog graphique le 31/05/2010 à 11h38
Tant qu'on oublie l'ombre.
Réponse de PhA le 31/05/2010 à 19h12
Oui, mais si je vous suis (après vous), les piles qui vacillent déjà vont encore s'alourdir. Bon je note (soupir) 
Commentaire n°5 posté par Zoë le 31/05/2010 à 14h38
Hélas ! C'est de plus un auteur encore jeune (que dis-je : tout jeune ; je crois qu'il a mon âge) avec une longue et riche carrière devant lui (et même derrière, d'ailleurs). Quelle misère pour nos étagères !
Réponse de PhA le 31/05/2010 à 19h06
Oui "aménager dans une lumière" belle idée !  Et   c'est le rêve, le mien en tout cas. En atelier  d'écriture je donne parfois comme consigne Entrer dans un élément ... (consigne chipée chez Aleph - Ecritures)  "Entrer dans la lumière" est une expérience d'écriture exaltante
Cela dit mon néanmoins joli appart n'en a pas assez du tout de lumière et, comme je suis addict, je suis tout le temps soit au parc voisin des Buttes Chaumont soit dans un bistro baigné de soleil ...
Dane
Commentaire n°6 posté par Dane Cuypers le 31/05/2010 à 17h16
Tout avoir... J'ai beaucoup de lumière - loin des Buttes Chaumont !
Réponse de PhA le 31/05/2010 à 19h14
"emménager dans une vue plus que dans un intérieur, dans un lumière plus que dans un volume" hé mais il habite chez moi ce perso ! à moins qu'il n'ait délogé l'oncle à Tati !
Commentaire n°7 posté par Juliette Mézenc le 01/06/2010 à 12h14
Si vous saviez ce qui va se passer chez vous... (et si vous voulez le savoir, vous savez quoi faire !)
Réponse de PhA le 01/06/2010 à 12h53

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