lundi 18 octobre 2010

un même désir de liberté



Sans même que j’ouvre le livre, la lecture du dernier titre de Pierre Bayard me fait réagir. (D’ailleurs ses titres me font toujours réagir, pourtant bizarrement je n’ai encore lu aucun de ses livres ; il m’en excuse lui-même, courtoisie appréciée.) Je ne sais donc pas vraiment ce qu’il y a sous le titre, mais sa lecture me ramène à ma propre disparate – apparente –, mon besoin de démarquer ce qui s’écrit de ce qui s’est écrit avant, y compris dans l’autarcie du cercle restreint de mes livres, besoin marqué par des sauts parfois plus importants – notamment sous mes deux titres à rallonge. Disparates, mes goûts de lecteur le sont aussi, et d’emblée Bayard me souffle d’échanger par exemple les œuvres de Chevillard et de Mingarelli, ou celles de Volodine et de Michon, pour voir ce que ça fait – aux lecteurs. Et ça me rappelle une réflexion de Thierry Beinstingel dans les notes d’écriture de ses Feuilles de route, à propos d’un manuscrit refusé. Attendez que je retrouve, c’est pas tout récent, voilà, le 4 janvier 2009, il écrivait ceci :
« … Seulement, cet aspect marrant ne correspond pas à ce que je propose habituellement : on m’a répondu : "trop pied nickelés". Il est vrai que l’humour chez moi n’est pas très fin, plutôt genre potache. Soit. Donc je suis passé à autre chose au point d’en oublier jusqu’au titre. Mais en le relisant, je retrouve intact ma flopée de personnages, leurs farces, ces intrigues minces et joyeuses. Pas sûr qu’il était si décalé que cela pour une édition. »
En tant qu’éditeur, son éditeur ne fait pas n’importe quoi : aujourd’hui son Retour aux mots sauvages marche fort, dès que j’aurai un moment je m’y plongerai. N’empêche, on sent le petit regret de l’auteur (et puis personnellement je n’ai rien contre les potacheries, au contraire). Je me rappelle avoir ressenti très fort, après ma première publication au Seuil, l’attente du même roman, ou à peu près ; alors que moi, tout heureux justement d’avoir franchi ce seuil qui me paraissait symbolique, j’envisageais déjà de donner à la publication mes envies, comme je les donnais auparavant à la seule écriture, dans ce qui devrait être l’insouciance de qui n’a pas ni jamais eu d’éditeur. Or la publication crée des attentes, surtout quand le livre a été un petit peu remarqué. Qu’aurait-on dit à Louis de Funès si d’un coup il s’était pris pour Pierre Brasseur (ou inversement) ? Mais les attentes, il faut parfois savoir les tromper, sinon l’ennui guette (d’abord l’auteur, mais la contagion est imminente). Et puis le recul, celui grâce auquel on voit les choses dans leur ensemble et pas seulement la partie émergée de l’iceberg, laisse apparaître comment tout cela tient ensemble, comment tout cela même, si disparate que cela paraisse au prime abord, se ramène à un même objet (celui dont je suis le satellite). Cette vision d’ensemble, pour mes textes Quidam a su l’avoir, en mesurer les risques – et ose les prendre. L’édition est belle quand elle a ce courage, et aujourd’hui celui de publier une calembredaine – certes elle-même héroïque. Quant au mouvement qui anime le satellite, j’ai bien envie de l’appeler désir de liberté – oui, il y a sans doute chez Monsieur Le Comte quelque chose comme une revendication anarchiste, au moins de la lettre – un désir que je crois retrouver différemment chez d’autres auteurs protéiformes (à brûle-pourpoint je pense à Diderot, à Flaubert, à Calvino ou encore, plus près de nous, à Pierre Jourde ou à Céline Minard), grâce auxquels je ne me sens pas tout seul sur ce front-là. La liberté de remettre à chaque fois ce qu’on fait – ce qu’on est – en question.



Commentaires

Je sens de mon côté de l'écran aussi le petit regret qui traverse votre longue déambulation, Phillippe, regret amorti par une sorte de précaution à l'égard du champ littéraire d'aujourd'hui. Je pense, comme le disait Bouveresse à l'occasion d'un colloque à la Sorbonne sur l'engagement, vers 2003, qu'il existe aujourd'hui des Musil méconnus, potache sublime à sa manière, et des Proust condamnés à la moisissure ou à la chambre capitonnée (tête dans le plâtre des murs), et des Sterne encore en attente sur le bas-côté. Ce qui renvoie chaque lecteur aux choix éditoriaux actuels, peu engagés à mon avis, rarement engageants ou  conformes à une attente majoritaire, sans qu'on sache qui fait en l'occurrence majorité (éditeurs, libraires ou lecteurs). Vive donc cette liberté d'exception, potache comme le chameau sur une voix autoroutière.
Commentaire n°1 posté par David Marsac le 18/10/2010 à 09h38
Maintenant, me concernant, je ne regrette plus grand-chose ; et je ne me sens plus empêché par autre chose que mes propres limites - et par le temps, aussi. On sent parfois dans certains livres prometteurs quelque chose comme une bride retenue ; méfions-nous des empêchements artificiels, il y en a bien assez avec ceux qui touchent vraiment à l'écriture.
Réponse de PhA le 18/10/2010 à 20h35
Billet réjouissant, Philippe. Un vent de liberté souffle... (De Pierre Bayard, j'ai lu "Comment parler des livres...", attiré par le titre, entre autre. Je n'ai pas été totalement... mais je n'ai peut-être pas goûté tout le suc de ce texte! Pas la première ni la dernière fois chez moi!)
Commentaire n°2 posté par Depluloin le 18/10/2010 à 12h43
Appelez-moi Zéphyr. (Pas lu du tout Pierre Bayard, mais il a à coup sûr au moins le mérite de faire réfléchir dès la couverture.)
Réponse de PhA le 18/10/2010 à 20h37
"La liberté d'invention est une menace noire pour l'invention de la liberté."
Benoît Dehort, Oeuvres complètes, Editions du goudron, 2001 ( tome 6, page 431).
Commentaire n°3 posté par Dominique Hasselmann le 18/10/2010 à 15h55
Le Dehort de la pensée.
Réponse de PhA le 18/10/2010 à 20h39
J'ai pris la liberté de lire Monsieur le Comte, acheté à La Hune -tant qu'à faire-. J'y reviendrai sous l'arbre quand j'aurai épongé le retard dans les affaires abandonnées pour mon escapade.
Commentaire n°4 posté par Zoë le 18/10/2010 à 19h55
Vive la liberté ! (surtout celle-là)
Réponse de PhA le 18/10/2010 à 20h43
Ce billet de Thierry Beinstingel m'avait marquée, moi aussi... Et mêmes interrogations que vous sur les livres à venir quand on a été publié. "Un même désir de liberté" me paraît l'exacte réponse ( ça fait du bien à lire !)
Commentaire n°5 posté par Anne Savelli le 19/10/2010 à 09h59
Et pas si facile, d'ailleurs !
Réponse de PhA le 19/10/2010 à 10h27
Si c'était facile, on n'aurait plus la peur en contrepoids et... hum, quoi, qu'est-ce qui pourrait bien se passer ? me questionné-je...
Commentaire n°6 posté par Anne Savelli le 19/10/2010 à 10h46
Naviguer à vue entre deux écueils (au moins) : se fourvoyer, s'ennuyer. Mais oui : la peur, au moins, c'est vivant.
Réponse de PhA le 19/10/2010 à 10h54

 

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