dimanche 27 mars 2011

j’avais pas le droit

Qui est le personnage principal d’Attachements, de Victoria Horton ? Anna (« elle » du deuxième extrait) ? Mais pour Anna, ne serait-ce pas plutôt Juliette (la voix du premier) ? Quant aux hommes… Attachements est un roman brillamment polyphonique, énigmatique aussi, où les histoires des personnages, d’une génération à l’autre se font écho sans se répéter vraiment, dans la fascination d’un personnage pour le destin d’un autre, qui en devient la mise en abyme – en abîme aussi, car on n’en finit pas de sonder des profondeurs vraiment noires.
On en lira plus sur Livre-addict ; et on en lira déjà un bout, pardon, deux bouts ici même :
 
 
Donc quand il a vu que ça allait comme ça lui il s’est barré à Champvallon. Donc moi j’ai dit J’attends. Si lui il s’en va moi je peux rester là.
Oui, mais ça ne pouvait pas durer. J’allais faire des courses il venait pendant que j’étais pas là, il emmenait ce que j’avais acheté. J’allais retirer de l’argent, je laissais l’argent dans la maison, il me l’emmenait, il me le prenait donc je me retrouvais sans rien et puis je n’avais qu’une moby… qu’un solex… qu’une mobylette, tu comprends, pour aller faire les courses et tout, c’était quand même pas facile. Que lui il avait sa voiture. C’était agaçant alors j’ai changé les serrures, j’avais pas le droit, le divorce était pas prononcé, j’avais pas le droit, la maison était autant à lui qu’à moi. Donc un jour il a cassé les carreaux pour rentrer, je pouvais rien faire, même pas porter plainte, les gendarmes m’ont dit Non, vous n’avez pas le droit de porter plainte, vous n’êtes pas divorcée. Je leur ai dit Vous rendez-vous compte ? Eh bien vous partez de la maison c’est tout, vous lui laissez la maison.
Donc c’est là que j’ai dit Ben oui, mais la maison on l’a achetée, la maison, moi je ne me vois pas… Alors l’assistante sociale elle m’a dit Vous inquiétez pas je m’occupe et dans huit jours vous avez un logement. Effectivement huit jours après j’avais un logement. Du coup je suis partie avec mes enfants, j’avais l’autorisation d’une assistante sociale, l’autorisation du maire et tout. Si je partais seule je me mettais en tort.
Je me suis retrouvée aux HLM de Brécy. Les aides ont duré six mois le temps que je me remette à flot.
Marcel il a continué trois ans tout seul, je sais pas trop ce qu’il faisait ni où il habitait, je crois qu’il est resté un peu dans la maison des Fourches et qu’il a squatté un peu partout, chez ton père peut-être, et puis chez qui tu sais, oui, oui, chez Roland.
 
Victoria Horton, Attachements, Quidam, 2011, p. 105.
 
Et elle me manqua, Maître, elle me manqua au-delà de toute mesure ; je passai des hivers éteints et des printemps morts à me languir d’elle, à espérer des lettres de Paris qui n’arriveraient que si rarement, si irrégulièrement, et dont le contenu toujours sibyllin, ou que j’estimais tel, me faisait imaginer une vie de plaisirs et de fêtes auxquelles je n’étais pas convié, une vie de découvertes intellectuelles que je ne partagerais pas, d’amitiés que je trouvais louches, d’amours que je voyais forcément ardentes et débridées. J’attendais surtout les séjours à Champvallon où elle viendrait me voir, ou bien ne viendrait pas, selon qu’elle aurait trouvé ou non le cran d’échapper à son père, à son frère, qui, dès qu’ils la voyaient au village, faisaient leur possible pour l’écarter de moi ; elle me ferait des promesses qu’elle oublierait, des cadeaux pour se faire pardonner, me dirait des paroles d’amour où son âme ne se tiendrait qu’un moment, m’offrirait des caresses brûlantes où elle jurait céder malgré elle.
Elle me demanderait l’impossible, m'appellerait au secours contre des dangers qu’elle ne m’expliquait pas et dont elle n’avait elle-même aucune vision claire, ne se donnerait que pour se reprendre aussitôt dans une crise de larmes qui, me laissant dépourvu et brisé, faisait monter en moi des envies de la gifler pour la faire taire, car elle parlait trop, Maître, à tort et à travers. Je la serrais dans mes bras, elle se calmait, j’étais heureux.
A l’infirmerie de la maison d’arrêt, que je fréquente davantage depuis qu’aux affres de l’insomnie s’ajoutent des étourdissements qui font craindre un malaise vagal, j’obtiens parfois d’être reçu par un jeune infirmier dont le profil, la démarche, la voix et jusqu’à cette manière de se tenir attentif me ramènent à des jours anciens.
 
Victoria Horton, Attachements, Quidam, 2011, p. 186-187.


Commentaires

J'avais perdu Marcel de vue depuis la fin de mes travaux et ce n'est que deux ans plus tard, vers la fin de l'été, très exacte­ment d'ailleurs l'été où nous vivions ensemble ici dans cette maison, toi et moi, te souviens-tu, Anna, qu'ayant trouvé un petit emploi chez notre boulanger il a fait son retour à Champvallon, aux commandes, si l'on peut dire, d'une 104 Peugeot verte. La 104 Peugeot, tu l'as oubliée aussi, j'imagine ... Laisse-moi te la raconter.
Cette voiture, c'était tout un poème. La portière avant côté conducteur était coincée, aussi devait-il se glisser par la droite pour atteindre son siège, contorsion qu'il effectuait avec agilité. Il a roulé sans pare-brise jusqu'à la mi-décembre; c'est qu'habitué depuis longtemps au froid, endurci même je dirais, il ne le craignait guère; il craignait surtout « les flics », ce en quoi il avait tort sans le savoir: « les flics» le laissaient généralement tranquille, sachant de lui beaucoup plus qu'il croyait; ils savaient pertinemment qu'il n'avait pas d'assu­rance et ne payait pas sa vignette. Sans doute éprouvaient-ils une certaine lassitude et préféraient-ils réserver leurs forces et leurs heures à de plus sérieux délinquants.
Et voilà qu'à la mi-décembre, la 104 est arrivée en bout de course. Il a acheté une Ami 8 de quatrième main à un pay­san, mais son erreur, c'est de n'avoir pas pensé à soulever le tapis. Le tapis, c'est son beau-frère qui l'a soulevé devant lui; ils ont alors découvert les marques d'une double-commande et le beau-frère en a fait des gorges chaudés, tu parles d'un cadeau de Noël, disait-il, Marcel s'était fait rouler! Il avait acheté une voiture d'auto-école!
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Commentaire n°1 posté par Moons le 28/03/2011 à 13h49
Déjà Juliette.
Réponse de PhA le 28/03/2011 à 22h33
On pourrait faire un jeu.
On amène chacun un bout du livre en commentaire et on essaye de le reconstituer. Celui qui y arrive gagne un abonnement d'un an chez Quidam.
Commentaire n°2 posté par Souricette le 28/03/2011 à 20h51
Parfois c'est aussi comme ça qu'on écrit.
Réponse de PhA le 28/03/2011 à 22h34
Ces commentaires datent déjà. En marge de la qualité du livre dont il est question, je partage l'avis de l'auteur du blog. Peut-on écrire un livre en débutant par A pour finr à Z? Enfin, peut-être que certains écrivains fonctionnent ainsi.
Commentaire n°3 posté par Michèle le 10/12/2012 à 18h39

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