mardi 6 septembre 2011

ce que font les écrivains (ou : les limites de la biographie)


Ici, nous nous trouvons confrontés au problème majeur de la biographie littéraire […]. Prenez le 17 août 1965, par exemple. Ce jour-là, Johnson ne provoqua aucune engueulade littéraire, n’écrivit aucune lettre enflammée que je pourrais citer. Il n’alla pas se soûler à mort avec un autre écrivain, ce qui m’aurait fourni une anecdote croustillante. Il n’avait pas de rendez-vous galant secret avec une belle journaliste qui aurait abouti à une aventure torride que j’aurais pu parfaitement divulguer (vous l’aurez compris à présent, ce n était pas le genre d’homme à avoir des aventures). Non, il resta assis à son bureau pendant six heures et quart et écrivit 1700 mots de Chalut. D’un ennui mortel ? Mais c’est ce que font les écrivains. C’est non seulement ce qu’ils font mais c’est ce qu’il font de mieux, c’est à ce moment-là qu’ils sont le plus heureux,  c’est à ce moment-là qu’ils sont le plus eux-mêmes. S’ils ne le faisaient pas, rien de tous les commérages superficiels qui remplissent des livres comme celui-ci n’aurait la moindre importance. C’est l’essence même de la chose. Mais c’est la seule chose sur laquelle je ne peux rien écrire, la seule chose que je ne peux rendre intéressante. Cela révèle que tout le processus dans lequel je suis engagé est une entreprise qui peut s’avérer malhonnête (malhonnête, Bryan, comme les romans ne le sont jamais !)
 
Jonathan Coe, B.S. Johnson, Histoire d’un éléphant fougueux, Quidam éditeur, 2010, p. 204.

Commentaires

Belle franchise - et belle intelligence - chez ce biographe biographe - qui en profite au passage pour parler de lui!;)
Commentaire n°1 posté par Depluloin le 06/09/2011 à 17h14
Tout à fait. Il y a quelque chose comme un autoportrait-antiportrait dans cette biographie. C'est peut-être aussi pour ça (en plus du personnage même de BSJ) que cette lecture m'a ému.
(Juste retour des choses - peut-être : moi aussi en réalité je profite de cette biographie de BS Johnson par Jonathan Coe pour parler de moi. C'était avoué dans le billet d'hier, ce sera vrai aussi dans celui de demain.)
Réponse de PhA le 06/09/2011 à 22h21
Faute avouée, faute... Oui, j'ai remarqué ces belles résonances. (Et moi je bégaye, je le remarque seulement!;)
Commentaire n°2 posté par Depluloin le 07/09/2011 à 16h47
Faute ? Quelle faute avez-vous donc encore commise, Depluloin ?
Réponse de PhA le 07/09/2011 à 21h43
Parfois, le lecteur se retrouve comme un pigeon (je ne parle pas de tourterelle). Ceci ne risque pas d'arriver à ceux qui n'achèteront pas - mais qui sait ? - le dernier livre d'Eliette Abécassis après avoir lu l'article qu'Eric Chevillard lui a consacré dans "Le Monde" (des livres) de cet après-midi.
Commentaire n°3 posté par Dominique Hasselmann le 08/09/2011 à 19h26
La tourterelle aussi aurait rêvé de s'appeler Eliette. (Sans parler d'Eric Chevillard et de moi-même, affligés que nous sommes des deux prénoms les plus communs de notre génération. Comment s'envoler vers la gloire littéraire quand on traîne un tel boulet ?)
Réponse de PhA le 09/09/2011 à 14h21
 

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