mardi 25 octobre 2011

– Qu’est-ce qui vous énerve exactement ?


http://www.sitaudis.fr/Source/GF/hannibal-tragique-de-joseph-mouton.jpg?1279012925 


Je reviens sur Hannibal tragique suivi de Hannibal domestique, dont mon précédent billet aurait pu donner une image par trop réductrice (et maintenant que je l’ai terminé et que je sais de quoi l’auteur est capable, je me tiens à carreau).
 
– Qu’est-ce qui vous énerve exactement ?
– Beaucoup de contes cités par Vladimir Propp contiennent une lutte de type « David contre Goliath », et ce genre de combats finalement gagnés par un héros donné perdant a priori fait sans doute partie du plaisir de la narration depuis les temps plus anciens. Nous nous attendons donc à retrouver cette victoire paradoxale dans les œuvres qui gardent un rapport avec le conte ; nous l’acceptons comme nous acceptons, par hypothèse, les conventions d’un genre. Cependant, j’ai noté chez moi un certain agacement lorsque le paradoxe de la victoire est poussé par l’auteur jusqu’à l’invraisemblance la plus extravagante alors que dans le même temps il tient à nous expliquer le miracle par des raisons empruntées au réalisme le plus technique. Je ne saurais dire exactement ce qui me contrarie dans ce mélange, mais le fait est qu’au lieu de souhaiter la victoire des bons, je me mets alors à souhaiter la victoire des méchants, c’est-à-dire la victoire du nécessaire et du vraisemblable. C’est en lisant une des victoires paradoxales de L’Epée de Darwin (qui sont toutes composées comme je viens de le dire : avec autant d’invraisemblance que de réalisme arrogant) que j’ai songé au procédé du renversement : il consisterait à renverser le sens du combat à même l’écriture du roman, c’est-à-dire en se coulant le mieux possible dans le style narratif de l’auteur. Si j’avais vraiment les moyens de faire ce que je veux, je me proposerais de publier beaucoup d’œuvres ainsi corrigées par un renversement. Certaines de ces œuvres pourraient prendre une forme ridiculement et délicieusement réduite (par exemple 14 p au lieu de 536), à cause que le renversement interviendrait très tôt dans l’action et ne laisserait aucun héros en vie pour la poursuivre ; d’autres pourraient au contraire se développer au-delà de leur format initial, non pas parce que le renversement n’aurait pas accompli son travail de destruction, mais parce que nous suivrions le destin de personnages que l’auteur considérait pour sa part antipathiques, ou pour d’autres raisons à inventer…
– Et donc, dans L’Epée de Darwin
– Vous avez raison, Sgaldo, je parle, je parle, et nous n’avons pas toute la nuit devant nous. (…)
 
Bref de la théorie à la pratique, voilà un très bref échantillon de ce que ça donne à la fin :
 
Quand Tony s’engagea sous les pins Douglas en contrebas de la prairie, la bouillie sanglante en quoi il avait transformé le visage de Darwin Minor lui revint à l’esprit dans un flash, et il se sentit bizarre. De toute son existence, il n’avait jamais rien connu qui approchât la dépression nerveuse, même de loin : il ne comprit donc pas qu’il était déprimé.
Et sans doute ne reconnut-il pas en lui-même l’âme de Joseph Mouton, laquelle désormais l’animait d’une humanité qui jusque là lui était interdite.
Les deux extraits cités sont respectivement aux pages 284 à 286 et 293 d’ Hannibal tragique suivi de Hannibal domestique, publié par Jérôme Mauche, l’un des protagonistes du livre, dans la belle collection Les Grands Soirs, aux Petits Matins évidemment.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire