mercredi 14 mars 2012

de la culture des marronniers de bon matin


8 heures 20 ou quelque chose comme ça, je m’apprête à quitter la Nationale 10 à la Grâce de Dieu, les usagers connaissent, et le radar juste après entre les platanes ; à la radio c’est les Matins de France Culture, deuxième partie, Brice Couturier accueille Russell Banks :
« Et moi la question que je me pose à la lecture du livre de Russell Banks c’est pourquoi, pourquoi les romanciers américains sont-ils capables de donner des descriptions aussi précises, aussi justes de la vie des vraies gens quand nous, ici, nous devons nous contenter des documentaires et des enquêtes pour avoir une manière… avoir une idée de la manière dont on vit chez nous. Bref, on demande des Russell Banks français d’urgence. »
Et moi la question que je me pose c’est pourquoi toujours ces mêmes marronniers dans notre paysage, comparer ce qui n’est pas contemporain (il m’a toujours semblé que le roman américain apparaissait à peu près à l’époque où disparaissait le roman français, au moins sous sa forme assumée), et cette confusion sous-jacente entre roman et littérature, sans parler du cliché des « vraies gens » digne d’un discours de campagne.
Il paraît que la littérature française n’a plus d’audience à l’étranger. Qui, au fait, est chargé de la faire connaître ?
Heureusement que Banks est là pour répondre par l’histoire littéraire américaine – eh bien oui, les littératures aussi ont des Histoires, différentes, on n’y échappe pas – et complète sa réponse par un échange qu’il a eu avec un romancier chinois ; mince, c’est justement au moment où ça devient intéressant que j’arrive sur le parking du collège ; il faut que j’y aille, là aussi il y a de vraies gens, pas plus hauts que trois pommes pour certains mais vraiment vrais ceux-là, qui m’attendent.




Commentaires

Il a raison, Brice Teinturier. En plus, les couleurs ne tiennent pas. Les descriptions de Balzac et de Zola ne correspondent plus à rien du tout. Ou alors, c'est les vrais gens d'aujourd'hui qui sont décolorés. Ou la critique minute façon pressing littéraire. Ou la langue française qui ne jure que par la haute couture.
Commentaire n°1 posté par David Marsac le 14/03/2012 à 16h22
Moi je penche pour la deuxième option : les vrais gens d'aujourd'hui sont décolorés. Vivement la deuxième chaîne !
Réponse de PhA le 14/03/2012 à 17h54
Je débarque sur ce blog et je découvre cet enthousiasme pour le roman américain. Oui, depuis Faulkner, même depuis Caldwell ou Steinbeck, on ne peut plus lire les romans français... Pourtant, je n'ai pas tout lu, il doit bien y en avoir tout de même... Pour ce qui est de la description, unpetit chef d'oeuvre : "Cartes Postales" d'Annie Proulx.
Mais j'étendrai le roman américain au roman anglosaxon. Avez-vous lu "L'Art du Roman" de Virginia Woolf. Elle ne résout aucun problème, ne donne aucune clé mais après l'avoir lue, on se sent drôlement mieux, plus libre. Cette suicidaire donne la pêche....
Bon, je n'ai lu que votre dernier post, je ne sais pas ce que vous dites ailleurs, en tout cas, le roman américain ou anglosaxon (avec H. James pour faire le lien) m'a comblée ces quinze dernières années. Mes plus récentes lectures : "Le dernier stade de la soif" (Exley), génial, Trollope (et oui, on retombe dans le XIXème et déjà, c'est à cent coudées au-dessus de Balzac) avec "Quelle époque!", très drôle, et "Un petit boulot", policier de Iain Levison avec un tueur pour narrateur mais, ce tueur-là, je l'épouse tout de suite.......
Commentaire n°2 posté par Anonyme le 14/03/2012 à 17h47
Je crains que vous ne fassiez un contresens sur mon billet, je ne crois pas un instant que la littérature américaine contemporaine (contre laquelle je n'ai rien, d'ailleurs) soit supérieure ou inférieure à la française, je dis tout simplement qu'elles ne sont pas comparables. Personnellement j'ai beaucoup de méfiance à l'égard du roman (certainement partagée par certains anglo-saxons qui en renouvellent la forme, puisque vous citiez Faulkner, James, Woolf) - ce qui ne m'empêche pas d'en écrire à l'occasion, en variant à chaque fois les précautions. Mais mes goûts me portent souvent - même si pas exclusivement - vers des formes de littérature qui ne s'inscrivent pas dans des genres préexistants, qui ne font pas école, qui créent à chaque fois leurs propres codes - et dont la littérature française actuelle donne quelques beaux exemples (Volodine, Savitzkaya, Chevillard, Minard et d'autres visibles en bas à gauche de votre écran). Il est dommage que certains journalistes les ignorent - même si, certes, celui que j'ai visé ci-dessus n'est pas un spécialiste.
Réponse de PhA le 14/03/2012 à 18h14
Ah mais si, nous z’aussi on a des « vraies gensses » et même des vrais cul-terreux et même des vraies meumeuh, dans notre bonne littérature françoise ! La preuve, on a François Millet qui n’a rien à envier à son homonyme, le peintre des glaneuses. Pas une page qui ne sente le crottin, le lait caillé, le patois du terroir et la culotte de la mère-grand ! Des vrayes gensses, mais alors vrayes de vrayes ! Des brutaux, des chafouins, des taiseux, des mêmes pas pasteurisés. A ce stade, c’est même plus des romans, c’est la foire agricole ! Cependant, ce qui différencie plus sûrement un Millet de ses homologues américains, tient dans ce style prodigieux, cette orfèvrerie de la langue, cette fluidité de la syntaxe, cet amour du verbe dont les européens sont les seuls héritiers et dont seuls ils possèdent la culture et le savoir-faire.
Qu’on aime ou pas Millet-et Dieu sait que je ne peux pas le blairer, tellement il me déprime -on ne peut rester insensible à la beauté du style, écoutez ça un peu :
 
« Après moi la langue ne sera plus tout à fait la même. Elle entrera dans une nuit remuante. Elle se confondra avec le bruit d’une terre désormais sans légendes. Les langues s’oublient plus vite que les morts. Elles tombent, comme le jour, le vent, ou le silence sur le monde où je suis né et qui était peuplé de gens rudes, peu loquaces, au visage tourné vers le couchant, et qui auraient souri de me voir, moi, le dernier des Bugeaud, seul de ma race aujourd’hui à écrire le français à peu près comme ils ont rêvé de le parler ou, pour quelques-uns, l’ont parlé, quand ils ne s’exprimaient pas en patois, dans ce parler limousin où s’entendait encore, entre les souffles des animaux et ceux des grands bois, tous les temps du subjonctif, tandis que le français y renonçait et qu’ils parlaient, eux, avec ce respect de la syntaxe française qui était la véritable armature de l’homme, pour les Bugeaud comme pour les autres Siomois, y compris ceux qui parlaient mal mais qui considéraient que s’exprimer correctement était ici-bas, le vrai, le seul vêtement de gloire »
 
Cet incipit sublime, dont certaines phrases quasi cicéroniennes, eu égard à leur déploiement, nous rappelle à quel point la littérature classique est notre berceau et comme nous sommes pétris d’humanités, n’a rien à envier à la littérature américaine qui, quoi qu’en en dise, s’est arrêtée avec Hubert Selby Jr. Et, au-delà du fait qu’elle fasse état de « vrais gens », elle possède surtout un vrai style, une vraie poésie, en un mot : du talent ! J’aurais pu citer encore Alain Roehr, voire Pascal Mercier qui, bien que suisse, n’en écrit pas moins en français, mais puisqu’il fallait rebondir sur des « vrayes gensses », sans tenir compte des vraies plumes…et, allez tiens, d'une vraie pensée ! Au moins c'est dit !
Commentaire n°3 posté par Aukazou le 14/03/2012 à 18h59
Millet a une plume, il faut le lui reconnaître, qui lui vaudrait bien de s'appeler François s'il n'était déjà Richard.
Je crois bien que Pascal Mercier écrit en allemand - mais qu'à cela ne tienne : il me semble que la littérature contemporaine de langue allemande est elle aussi assez ignorée de nos médias, précisément au moment où elle en tient de grands, comme Reinhard Jirgl, par exemple.
Réponse de PhA le 14/03/2012 à 19h34
rectif : "nous rappelleNT"
Commentaire n°4 posté par Aukazou le 14/03/2012 à 19h02
Autre rectif, décidément ! Ce n'est pas François (lapsus calami car je pensais à la langue française) mais Richard Millet.
Commentaire n°5 posté par Aukazou le 14/03/2012 à 19h28
J'avais bien interprété l'origine du lapsus : François lui va bien.
Réponse de PhA le 14/03/2012 à 19h44
Vous avez raison, Mercier écrit en allemand, je viens de vérifier. J'ignore qui le traduit mais c'est une belle association.
Commentaire n°6 posté par Aukazou le 14/03/2012 à 19h51
Il est trompeur avec son pseudonyme étrange.
Réponse de PhA le 14/03/2012 à 19h55
Mea culpa : j'ai écrit trop vite. Avant même votre réponse, après avoir fouillé dans votre biographie (celle du blog), j'ai pris conscience de mon erreur.
Pour ce qui est du "roman", encore faudrait-il redéfinir le mot, vaste entreprise. Les auteurs que je lis produisent des oeuvres étiquetées "romans", James, Woolf, Faulkner, McCarthy, Hubert Selby Jr. (que cite un de vos commentateurs), etc... sont des écrivains en recherche de nouvelles formes. J'ai la même méfiance que vous envers ce qu'il est convenu d'appeler un roman disons... classique.
Je ne connais pas les auteurs français que vous citez. J'irai voir. Quant aux journalistes qui les ignorent, je les ignore moi aussi. Très rarement je me fie à un discours critique. C'est un auteur qui me mène à un autre. Après avoir mis le pied dans la littérature anglosaxonne, je n'en suis pratiquement plus sortie. Forcément, ce système entraîne des ignorances.
J'exagère un peu, vous vous en doutez. J'ai quelques passions dans la littérature française mais je suis très infidèle depuis quinze ans. Et vous avez raison : on ne peut pas comparer. Je me demande si mon addiction actuelle ne serait pas liée au fait que j'ai longtemps vécu à l'étranger et que je me sens profondément de nulle part.....
Commentaire n°7 posté par Anonyme le 14/03/2012 à 23h17
Mais on ne peut pas tout lire, même quand c'est notre métier - il faut s'en souvenir avant de porter des jugements généraux et hâtifs comme le marronnier ci-dessus (Couturier ne fait que ressasser un refrain connu). Il faut conserver le soupçon que ce qu'on ne connaît pas peut exister quand même.
Je me demande souvent ce qu'il adviendrait de l'oeuvre de Faulkner si elle était l'oeuvre d'un auteur français écrivant aujourd'hui. Ce serait publié chez Quidam, Verdier, Champ vallon ou un autre risque-tout ; ça ferait sans doute l'objet de quelques beaux articles ici et là (car il y a encore quelques critiques qui font bien leur travail) - mais pas tant que ça ; et on serait content de dépasser les mille exemplaires. Je caricature sans doute. Peut-être. Pas sûr. Tout simplement parce que Faulkner, comme ça, brut de toute explication préalable, eh bien on trouverait que c'est trop difficile. Pardon : "exigeant", c'est comme ça qu'on dit.
Réponse de PhA le 15/03/2012 à 16h18
Pour couronner le tout : un lapsus... "les auteurs que je lis, qui produisent...."
Commentaire n°8 posté par Anonyme le 15/03/2012 à 09h13
à Aukazou
En dépit de la magnificence de votre citation, je m'insurge : nous serions, nous, Européens, les seuls héritiers de l'amour du verbe? Je m'insurge, oui, contre cet européanocentrisme, si répandu.... Voyagez, regardez, écoutez : l'inventivité langagière, la poésie, le "vrai style", le talent sont de toutes les cultures.
Il existe, entre autre, à Madagascar, un art de la parole qui est une des bases de la culture malgache. C'est le "kabary" qui consiste en de véritables joutes oratoires qui peuvent durer des journées entières et qu'on retrouve partout, lors des retournements des morts traditionnels, jusque dans le théâtre populaire.... Et pour avoir tenté d'apprendre la langue malgache, je peux vous dire qu'on n'y appelle jamais un chat, un chat, qu'on passe toujours par des métaphores, que la construction grammaticale des phrases suppose une autre vision de la société et que c'est très compliqué pour les Cartésiens que nous sommes...
Il me semble que, pour pouvoir juger, il nous faudrait connaître bien d'autres langues que la nôtre.....
Commentaire n°9 posté par Anonyme le 15/03/2012 à 11h36
Ecoutez, je n'ai pas la patience, ni la courtoisie de vos interlocuteurs habituels et vous n'avez pas le niveau de culture requis pour faire partie des miens. Que vous ayez une envie pathologique de vous regarder écrire, c'est votre problème mais ne venez plus m'apostropher.
Commentaire n°10 posté par Aukazou le 15/03/2012 à 11h49
J'ai l'impression que le grammairien voit la coquille à la place de l'oeuf.
Commentaire n°11 posté par David Marsac le 15/03/2012 à 12h16
A table servons-lui la couille du boeuf.
Réponse de PhA le 15/03/2012 à 17h09
A l'Ânonyme !
Désolée (quoique...) j'aurais dû fumer une clope avant de vous répondre mais le chant me l'interdit.
Très lapidairement, parce que l'absence de nicotine me rend expéditive :
a)- Nous parlions de littérature américaine. Je n'entendais donc pas faire le tour du globe avec vous !
b)- L'européanocentrisme n'a rien à voir avec ma conception de l'écriture. Il ne me semble pas qu'un débat d'idées relatif à l'ethnocentrisme ait été ouvert sur cette note. J'en juge que vous vous dispersez beaucoup et que votre souci n'est pas tant de réfléchir sur une question donnée que de rebondir sur les quelques mots qui pourront éventuellement alimenter votre logorrhée.
c)- Que savez-vous des langues que je pourrais parler et des pays dont la culture m'a nourrie ? Je n'aurais selon vous ni voyagé, ni expérimenté l'immersion dans d'autres langues que celle de Vaugelas. Parmi le nombre considérable d'inepties que vous avez pu proférer, je me demande si ça n'est pas la plus énorme... Pour info : mon père est iranien, ma mère flamande, mon arrière grand-mère maternelle d'ascendance maranne, mon mari turc et j'ai vécu en Grèce. Combien de langues croyez-vous que je parle ?
d)- Je ne vous ferai pas l'injure de revenir sur votre méconnaissance de Selby que vous vous êtes crue obligée de placer dans votre discours, histoire de me faire croire que vous auriez pu le lire. Ne vous fiez pas à la notice Wikipedia dans laquelle vous êtes allée mettre votre nez ! Selby n'expérimente aucune forme d'écriture qui n'ait déjà été élaborée par d'autres avant lui. Il ne rompt pas non plus avec la linéarité du récit, même s'il introduit, in Le Démon, une conception du temps augustinienne qui brise l'horloge sociale. C'est un romancier aussi intéressant, aussi créatif, que peut l'être le Céline du Voyage, mais rien d'absolument novateur dans son écriture ne le rattache à la littérature expérimentale.
e)- J'aurais bien aimé savoir en quoi des gens comme Volodine, par exemple, se sentent affranchis du genre romanesque, étant donné que le roman est un genre bâtard, polymorphe et relativement extensible. Et dans la foulée, j'aurais aimé savoir si des gens comme Volodine ou Chevillard (que je n'ai pas encore lus, je le précise...moi ! ;-)) considèrent que Queneau serait ou non un romancier, si le Cortazar de Marelle s'inscrit dans le genre du roman et si le Lee Siegel de L'amour dans une langue morte, voire le Danielewski de La Maison des feuilles et leur écriture expérimentale se rattachent ou non au roman ?
J'aurais aimé savoir encore si, en dehors des formes de l'Essai, de la poésie, du théâtre, de la Nouvelle, de la biographie, de l'autobiographie et du Roman, il existait une nouvel art d'écrire qui ne se rattache à aucune de ces catégories ?
Seulement, j'irai poser mes questions ailleurs parce que j'ai horreur qu'on me court sur le haricot quand ça ne s'impose pas ! Merci madame Ânonyme, j'suis pas prête de repasser dans le coin !
Commentaire n°12 posté par Aukazou le 15/03/2012 à 13h37
Ps : Et tenez, toujours dans l'idée que vous n'écoutez pas la parole de l'autre ! Si j'ai cité Millet et choisi un extrait de Ma vie parmi les ombres, ce n'est pas tant pour la richesse du style que pour invalider l'idée selon laquelle nous ne saurions, en France, écrire sur les "vrais gens". Le roman, à caractère rural, de Millet, nous démontre précisément le contraire !
Commentaire n°13 posté par Aukazou le 15/03/2012 à 14h34
à Aukazou,
Merci pour l'accent circonflexe...
Et je n'aurais pas lu Selby, tiens donc....
Et il vaudrait mieux écrire : je n'aime pas qu'on me courre sur...
Quant à la littérature américaine, elle est multiple, produit d'un melting pot de Turcs, d'Iraniens, de Grecs... alors...
Calmez-vous, allez fumer une clope. En ce qui me concerne, je préfère en rire. Et basta.
Commentaire n°14 posté par Anonyme le 15/03/2012 à 18h17
Philippe, j'ai exactement le même moment : voiture, France Culture et Russel Banks commencé au petit déjeuner, LA question de Brice Couturier et le malaise qui m'a suivie la matinée
Au moment de la réponse, au moment de l'écrivain chinois, eh bien j'étais déjà garée depuis un moment et ça pouvait plus attendre, ça sonnait, et les vraies petites gens de 3ème m'attendaient....
Commentaire n°15 posté par marie cosnay le 18/03/2012 à 19h14
Serions-nous nous aussi de vraies gens avec des vies parallèles ? (En traversant la cour j'avais déjà décidé d'en faire mon billet hygiénique du soir - du coup : pas de malaise !)
Réponse de PhA le 18/03/2012 à 21h01

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