dimanche 6 mai 2012

billet pour un aller simple

Longtemps, j’ai regardé ailleurs. Pendant cinq ans au moins. Je ne faisais pas exprès, je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Et puis un jour, à la cantine, c’était sept ou huit mois après son élection, j’écoutais deux collègues qui disaient que partout on ne voyait que lui, on n’entendait que lui, et je me suis rendu compte que moi je ne l’entendais plus. Sa voix, son phrasé si caractéristique, cela appartenait déjà au passé. Bien sûr je savais qu’il n’y avait rien de vrai dans ce que je ressentais, je savais que c’étaient mes deux collègues qui étaient dans le vrai : partout, on ne voyait, on n’entendait que lui. Mais pas moi. A bien y réfléchir, quand même, il y avait bien, quelque part dans un coin de mon champ de vision, une petite forme floue qui s’agitait pour attirer mon attention : c’était lui. Mais je ne le voyais plus. Je ne l’entendais plus. Je n’étais même pas sûr de l’orthographe de son nom.
Il n’y a pas de quoi se vanter, hein. C’était juste un symptôme. Cet homme, je m’étais forcé à l’écouter durant sa campagne électorale, sans parvenir à imaginer – tout en le sachant – que les gens allaient l’élire. Cet homme dont l’activité principale avait consisté à se montrer. Qui s’était fait connaître du grand public en se montrant, lors d’une prise d’otages dans une maternelle où l’on n’avait pas réussi à arrêter vivant le preneur d’otages, et qui m’était immédiatement apparu comme, non, pas antipathique, d’ailleurs le mot ne m’est pas venu tout de suite, il m’est venu plus tard, sans doute au moment du Kärcher, ou du Fouquet’s, ou du yacht, ou à un autre moment encore. Obscène. Alors après son élection, le regarder, l’écouter encore, non, ce n’était plus possible. Lire après tout était bien suffisant. La télé pendant des siècles on s’en est passé.
Obscène le mot est fort peut-être. Question de sensibilité. Et puis l’obscénité, ou ce que moi je prends pour de l’obscénité, est bien partagée. Tiens, la récente candidature de Patrick Poivre d’Arvor à l’Académie Française, ça avait bien quelque chose d’obscène aussi (mais au moins c’était drôle). L’obscénité est peut-être dans l’air du temps, montrez-vous montrez-vous, il y en aura bien pour finir par croire que vous existez. Sarkozy, certainement, a bien incarné l’air du temps. On ne peut pas lui retirer ça. Il reste encore à changer l’air.



Commentaires

Merci, Philippe, pour ce texte dont le propos est la copie de ma pensée depuis 5 difficiles et honteuses années.
Commentaire n°1 posté par chris le 06/05/2012 à 20h25
Ne crions pas victoire non plus : nous sommes seulement débarrassés d'un symptôme, certes spectaculaire et pernicieux, j'ai peur que le mal soit plus profond.
Réponse de PhA le 07/05/2012 à 17h53
Oui, je souscris à tout ce que vous dites (de ce que vous "disez", comme disait ce personnage à BFMTV, si bien que je me demande si lui-même est bien sûr de l'orthographe de son propre nom). J'ai eu peur jusqu'à 19 heures, quand la presse belge a annoncé la bonne nouvelle. Pour tromper ma peur, j'ai passé les derniers jours à ranger mes livres. Mais je n'ai pas bien dormi, pas bien pu lire non plus en dépit de l'arrivage tout récent de Dachau....
Obscénité, c'est le mot juste, jusque dans le discours de ce soir où il jouait à celui qui arrache des lambeaux de son coeur pour l'offrir à son public. Margot était en larmes. Pourquoi ai-je regardé? Peut-être pour en croire mes yeux. Obscénité aussi pour le journaliste en question, bien évidemment....
Commentaire n°2 posté par Anonyme le 06/05/2012 à 21h24
Ah c'était un beau moment, ces adieux...
Réponse de PhA le 07/05/2012 à 17h54
et d'obsène il passa à obsolète... hum c'est bon la langue française... Ouvrons nos oreilles endormies et soyons attentifs.
Commentaire n°3 posté par Gab le 06/05/2012 à 21h54
Tout à fait : qui est à la mode - se démode.
Réponse de PhA le 07/05/2012 à 17h55
Il va va falloir qu"il trouve un nouveau poste, d'autant plus que, grâce à lui, l'âge de la retraite... Depuis la mort de Louis De Funès, il y a un emploi vacant dans le cinéma...
Commentaire n°4 posté par Lza le 07/05/2012 à 09h28
Oh, on ne lui en voudra pas de prendre une retraite anticipée, ce serait mesquin.
Réponse de PhA le 07/05/2012 à 17h57
Excusez-moi, il y a un "de" en trop dans ma parenthèse, c'est l'émotion....
Commentaire n°5 posté par Anonyme le 07/05/2012 à 12h13
ce qui est sidérant c'est que malgré cette obscénité, 48% de français ont voté POUR lui ! il n'y a quand même pas 48% de très riches en France ! 
Commentaire n°6 posté par Mme de K le 07/05/2012 à 12h29
En fait je crois que c'est justement cette obscénité qui a fait son succès - ou ce que nous percevons comme tel et qui, à d'autres yeux, passent pour une sorte de décomplexion (inventons le mot pour lui, il le vaut bien). Ne perdons pas de vue que certains de nos jeunes ne rêvent que de grosses voitures, de gourmettes en or et de belles nanas. Le comportement de certains membres l'équipe de France de football a été un autre bel exemple de cette obscénité ambiante. Sarkozy et Riberi passent pour des winners qui ont bien raison d'en profiter.
Réponse de PhA le 07/05/2012 à 18h06
et l'obsénité est ausi faire croire à ces jeunes-là, qui rêvent grosse voiture, grosse montre, grosse maison, grosse b (oh pardon...) qu'il suffit d'y croire pour l'avoir. Et que cela peut les rendre libres et heureux. Je crois que je rêve d'un pouvoir dont la priorité serait d'offrir à tous ces jeunes vides de quoi remplir de richesses humaines leur vie à venir. Un truc comme ça quoi, utopiste, souriant, léger et qu prenne un peu aux tripes. Vous voyez ?
Commentaire n°7 posté par Gab le 07/05/2012 à 18h43
Oui. En même temps, les obscènes, ou tout au moins les outrecuidants finissent en général par offrir un exemple à méditer ; aussi bien cette équipe de France qui s'y croyait que ce président qui ne pouvait imaginer à quel point son image était dégradée, au point de précipiter délibérément son parti dans un échec prévisible. J'ai longtemps craint que dans un instant de lucidité il renonce à sa candidature, mais dans son aveuglement il s'est révélé un auxiliaire précieux pour la victoire de la gauche (enfin, de la "gauche"...).
Réponse de PhA le 09/05/2012 à 15h08
Euh...oui...Une "gauche" plutôt très décentrée vers un centre à fond rosé...:-)
Commentaire n°8 posté par chris le 15/05/2012 à 18h34
En même temps, ne gâchons pas non plus notre plaisir d'un retour à une certaine normalité qu'on n'osait plus espérer.
Réponse de PhA le 15/05/2012 à 21h34
(le commentaire est à fond indéfini décoloré comme le "sujet" évoqué!)
Commentaire n°9 posté par chris le 15/05/2012 à 18h37
Oh!Combien je suis d'accord avec toi, Philippe!
Depuis quelques jours, je ressens cette impression d'un certain apaisement ce qui, en soi et objectivement, n'a pas vraiment lieu d'être mais c'est ainsi...
Avec le rongeur et ses acolytes, leurs propos, leurs actes calamiteux, haineux, violents, au quotidien, préjudiciables à la société en général et, en corollaire, aux relations entre citoyens" ordinaires, j'en étais arrivée à un véritable état de stress permanent, une "pression", un état de fureur que je n'avais jamais connus auparavant: oui, un soulagement, comme une respiration...
Commentaire n°10 posté par chris le 16/05/2012 à 04h20

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