mercredi 4 juillet 2012

Lamont


Ce jour-là, le jour où trois champs brûlèrent, je vis une bête assez grosse traverser le chemin devant moi – une bête au poil sombre, moins trapue qu’un sanglier, et le museau très anguleux. Parfois les oiseaux chantaient et faisaient bruisser les branches ; à d’autres moments l’on ne les entendait plus, ni rivière, ni vent ; mais mon pas – et mon cœur – et d’autres bruits sourds qui semblaient venir du haut des collines, majeure et mineure. Puis à deux ou trois cents mètres après le passage de l’animal, je vis bouger la terre pâle du chemin. En me penchant – la rivière, plus calme à cet endroit, scintillant à travers les arbres, la calme rivière brune – je vis qu’était couchée sur le bord du chemin une chose vivante, longue peu près comme la main, et se tordant dans la poussière, gémissant – gémissant à. la façon d’un enfant ; cette chose, faite d’ailleurs comme un enfant – ayant deux jambes minuscules, et deux bras, et deux poings faibles aux doigts délicats – et la tête petite, ronde, au minuscule visage plissé, à la bouche ronde d’où sortait un gémissement horrible. Son corps était couvert d’un duvet rendu beige par la poussière.
A genoux et la touchant d’une branche, je dus la blesser, car elle cria plus fort, et son corps eut un grand tremblement. Il me vint la tentation de la toucher encore, pour entendre son cri, et celle aussi de lui écraser le crâne sous mon soulier de marche.
 
Anne-Sylvie Salzman, Lamont, « Sur la Thay », éditions le Visage Vert, 2009, p. 35-36.
 
Lamont est un beau recueil de huit nouvelles qui explore sur le mode fantastique les thèmes de la faute, la monstruosité, la disparition. Je l’ai terminé il y a déjà quelques jours et le texte persiste dans la mémoire. Il y a notamment une nouvelle, l’Invention de Brunel, terrible dans son oubli de dire – mais je ne n’en dis pas plus.
http://www.levisagevert.com/images/salzman_lamont.jpg

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