vendredi 31 août 2012

une eucharistie à rebours


Avant d’être pris à l’essai par le boulanger de la grand-rue, il s’était lancé dans un projet assez fumeux – l’adolescence a de ces rêves comptables, qui souvent s’égarent dans des délires d’exhaustivité. Il voulut calculer le poids de Jésus à l’heure de la crucifixion et le convertir en hosties. Puisque le Fils de Dieu se trouvait incarné dans le pain liturgique, moléculairement présent bien qu’absent dans sa totalité, Antoine décida d’accumuler son équivalent en pain azyme, se disant sans doute qu’une eucharistie à rebours était possible. Dérobant à chaque office deux ou trois pastilles, les cachant au creux d’une poche cousue dans la doublure de sa chasuble, il entreposait son butin dans une boîte en carton qu’il rangeait sous son lit. Mais le pactole semblait ne jamais croître. Il ignorait en fait si même des milliers d’hosties suffiraient. Certaines étaient blanches, frappées de rien moins que du sceau de l’Invisible. D’autres, curieusement dorées, auraient mérité de tinter dès que brassées. Si leur diamètre les apparentait à des sous anciens, leur pâleur évoquait des paupières obstinément closes.
Antoine capitula. Il lui aurait fallu plus de vingt mille pastilles pour espérer réunir de quoi recommencer charnellement le divin poids welter et, à supposer qu’il pût en dérober quotidiennement deux ou trois sans que le curé s’en aperçoive, cela signifiait au bas mot plusieurs années de larcin, en vérité un vain chapardage car les hosties, bien que consacrées, terniraient, se dessècheraient, perdraient de leur masse, de leur pertinence, le miracle reculerait, le Nazaréen s’étiolerait et jamais du tombeau des siècles Il ne ressortirait, même rampant, malingre, incomplet, encore plus seul et abandonné par son Père que ne l’était Antoine.
 
Claro, Tous les diamants du ciel, p. 23-24, Actes sud, 2012.
 
Tout chaud sorti du four stellaire de Claro, un vrai-faux roman d’espionnage sur fond d’acide et de sixties, aux allures de fresque baroque, dont les protagonistes agissent moins qu’ils ne sont agis, jusqu’à disparaître. Les Parisiens pourront l’écouter vendredi prochain, à la librairie Atout-Livre (203 bis avenue Daumesnil dans le XIIe).
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