jeudi 6 décembre 2012

Et si Aurélien Bellanger avait raison ?


Après tout, il est toujours intéressant de partir des hypothèses les plus folles. Alors pourquoi pas celle-là ? Rappelez-vous : ce nouvel oracle des lettres françaises, que j’ai peut-être injustement brocardé (après tout je n’ai pas lu son roman, qui vaut peut-être mieux que ses analyses littéraires ; je ne le saurai sans doute jamais) avait affirmé en substance (et entre autres) que Samuel Beckett ne devait sa survie dans nos mémoires qu’à son physique photogénique.
Mais oublions Bellanger et attardons-nous un instant sur la question de la notoriété de Beckett. Il tient une place particulière dans mon panthéon, même d’honneur ne convient pas, et j’avais déjà lu à peu près toute son œuvre publiée il y a trente ans, avec une prédilection pour les derniers romans et les textes brefs des années 70. (J’en suis sorti singulièrement empêché, et ça n’est pas sans rapport avec le fait que j’ai autant tardé à proposer un texte à la publication. J’aurais sans doute été empêché même sans lui, mais au moins j’ai pu mettre un nom sur mon empêchement : empêchement.)
A cette époque, bien sûr, Beckett était déjà une figure sacralisée. On en aurait presque oublié qu’il était contemporain. Quand, dans le métro, je voyais la couverture des éditions de Minuit – ce qui n’était pas si fréquent –, je me disais que c’était Beckett et la plupart du temps en effet c’était lui. Ça a duré comme ça jusqu’au Prix Goncourt de l’Amant, de Duras, en 84 ; je me souviens de lui en avoir vaguement voulu, à la dame ; comme si Minuit n’était plus tout à fait Minuit avec un pareil best-seller.
Mais autour de moi, je n’avais pas grand monde pour parler vraiment de Beckett. Pourtant il y avait pas mal d’étudiants en lettres. Mais ils connaissaient surtout son théâtre et, au mieux, Molloy. Des gens qui avaient tout lu ou presque, même lesTêtes-mortes, le Dépeupleur, Pour finir encore et autres foirades, je n’en croisais guère. Idem pour l’Innommable ou Malone meurt. Et au fond, ça me convenait. Il n’y avait pas tant que ça de raisons pour que ces livres qui résonnaient si fort en moi résonnent autant pour tout le monde. La lecture, ça se vit au singulier. Un gars passionné par Malraux, par exemple, je n’imaginais pas qu’il puisse vraiment s’intéresser à Beckett. (Je me trompais peut-être, je n’ai jamais pu lire Malraux. Je ne me suis pas beaucoup forcé non plus.)
Et puis, avec les années, il y en a eu de plus en plus, des gens qui avaient lu Beckett – même avant que je côtoie, tardivement, quelques professionnels du livre. Enfin, c’était mon impression : que les gens lisaient de plus en plus Beckett, cet auteur qui écrivait d’abord pour moi. En moi, plutôt. Tous ces gens qui lisaient la même chose que moi, ça devenait un peu suspect. Il y avait peut-être là une certaine affectation. Quand on y pense c’est même un peu dégoûtant, d’être trop nombreux dans les mêmes livres.
Alors qu’un type, ce Bellanger, ne puisse pas entrer dans Beckett, au fond, ça me rassure. L’unanimité, ça craint.
 
Demain, on revient sur Quidam.
http://www.pariscilaculture.fr/wordpress/wp-content/uploads/2011/10/samuelbeckett.jpg

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