vendredi 28 décembre 2012

elle avait un problème avec le figuré


Boris avait un poil qui dépassait de sa narine droite mais ça restait très discret.
– De toutes façons, on passe pas par le centre-ville, on prend le pont de Cheviré.
Emmanuelle était la seule à avoir remarqué le poil. Dans certains vieux films, les hommes se les arrachaient avec une espèce de pince à épiler.
– Peut-être, mais ta mère va pas être contente.
– Elle n’en saura rien.
Emmanuelle remonta sa vitre.
– Elle le saura par Cécile, tu sais bien qu’elles sont entre cul et chemise toutes les deux.
Emmanuelle ne parvenait pas à mémoriser les expressions toutes faites. Elle disait : Se regarder en chien de fusil et Se coucher en chien de faïence. Elle avait un problème avec le figuré.
– Elle ne sont plus comme cul et chemise justement, elles se sont engueulées le week-end dernier. Ma mère avait mis du poivre dans sa quiche au thon, Cécile l’a mal pris.
– Elle est vachement susceptible ta sœur.
– Elle est allergique.
– Ça te dérange pas si je dors un peu ? Parce que je somnole là, je tiens plus.
– Attends, Emmanuelle, on va bientôt s’arrêter, y a une aire dans 3000 mètres.
– Je dors juste 3000 mètres alors.
Elle fermait les yeux mais ça se pressait sous ses paupières. Des pattes, du velu, du mouvant, du noir. Et puis, il y avait l’autre conne de bestiole qu’elle sentait toujours derrière elle, sur la banquette arrière. L’intruse n’avait plus rien de menaçant. Plutôt une grande peluche. C’est la situation qui était effrayante. Ça ne passait pas. Emmanuelle ne pouvait pas dormir. On l’empêchait de dormir. On l’énervait de l’intérieur. Elle ne voulait rien montrer à Boris qui conduisait. Si elle provoquait un accident, elle s’en voudrait. Leur voyage se passait bien, en amoureux. Ça faisait longtemps qu’ils n’étaient pas partis tous les deux. Mais là, ils étaient trois. C’est peut-être pour cela qu’Emmanuelle ne lui en parlait pas. C’était une question de nombre. Boris n’aurait pas été content, il n’y avait pas de place pour trois dans la tente Décathlon.
Emmanuelle ne pleurait pas, ses joues étaient sèches, mais des larmes coulaient à l’intérieur, sur la surface interne de sa peau. La surface invisible. C’est comment de ce côté-là ? Elle avait vu une fois une peau de visage décollée, dans un reportage sur la folie du lifting au Brésil. C’est comme quand on dépèce un lapin, qu’on lui enlève son pyjama.
 
Gaëlle Bantegnie, Voyage à Bayonne, L’Arbalète Gallimard, 2012, p. 78-80.


http://www.laprocure.com/cache/couvertures/9782070138395.jpg

Commentaires

au bout, entrée de Bayonne, le pont Saint Esprit, mais quand on a "du mal avec le figuré" presqu'un mirage
Commentaire n°1 posté par Elise le 29/12/2012 à 13h52
Voilà. (Je suis content de mon titre - même si ou parce qu'il n'est qu'une citation - car plus j'y pense plus je me dis que c'est une bonne clef pour ce livre.)
Réponse de PhA le 30/12/2012 à 17h5

jeudi 27 décembre 2012

une dinde farcie de verre pilé


Quand tu rêves d’une baignoire qui fuit, méfie-toi : le Déluge est proche.
 
Quand tu rêves de rivières et de fleuves écumeux, surveille tes draps à ton réveil.
 
Quand tu rêves d’un poulet déplumé posé sur ta cheminée, ça veut dire que tu ne mangeras pas pendant les Quarante prochains jours.
 
Quand tu rêves d’une dinde farcie de verre pilé, ça veut dire que tu souffriras de rougeurs gingivales.
 
 
 
Voyant son disciple qui cinglait les fesses d’un petit chapardeur avec une fine branche de peuplier, Maître K’ong intervint : « Assez ! » Puis il ramassa une lourde branche et la tendant à son disciple, il lui dit : « Avec ça, il comprendra mieux la leçon. »
 
Francesco Pittau, Une pluie d’écureuils, Les Carnets du Dessert de Lune, 2012, p. 10-11.

mercredi 26 décembre 2012

un petit royaume légendaire


C’est un petit royaume légendaire.
 
C’est un reflet qui lève des mouches.
 
Têtes noires, nègres asiatiques, mes frères humains.
 
Gentille torsadée de la terre et de l’eau, cambrée, longs cheveux noirs, longs cils papillonnants, les épaules rondes, les tétins caramel tendus jusqu’à l’extrême, tu fais la pute et ton frère boxe, il est soldat, la même matière, des yeux de faon, un sourire si vrai dans l’instant, il se démerde, il passe de temps en temps à la télé dans les cordes, voies parallèles, plusieurs entrées simultanées au feu, il bodyguarde, il fait des extras deux ou trois fois par semaine pour une dame-patronnesse, plâtrée, boudinée-bagouzée, qui verse dans les œuvres, dans les indulgences de pagodes, et qui vitriole épisodiquement ses rivales.
 
D’autres courbes et d’autres raideurs.
 
Paupière oblique.
 
Emotionnée.
 
La peau éminemment dans l’ambre de cinq heures du soir.
 
Ta sœur.
 
Ta sœur danse les dix-mille aubes successives-uniques-indigènes ravies par Râvana. La guerre.
 
Un peu d’école.
 
Un bidonville.
 
Des chiens-parias.
 
Somnolant sous les planches disjointes.
 
Petite.
 
Mais un fumet sexuel à rassasier un ogre.
 
Un baiser-fleur.
 
Musique : danse : transe : transporté-répété-dix-mille-fois.
 
Ouvre-moi le chemin.
 
Christophe Macquet, KBACH, éditions Le grand os, 2012, p. 11 à 15.
 
« KBACH, c’est le motif et le modèle, c’est la figure et la technique immémoriablement cambodgiennes.
 
Le mot dérive par infixation du verbe KACH qui signifie "briser, se briser" ».
 
Et lisez donc aussi l’article que Romain Verger a consacré à Kbach dans l’Anagnoste.
https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhpbDnNktBimiacYhREN1Z_rapj2f4yTcThTrkM6Mf4rw7xW4LjLNYuIA4jNB5X7Ho3IYYR0vTpMlQgLx-Fjb_UfWb97xTrfIfUx0R_3n7-hsbS40NQa-kXGY0aBEtKSIxwCqCCGimJPcsx/s1600/KBACH-CouvOK3-Coul.jpg

 

Commentaires

Les "tétins (0_0) caramel tendus"!
Un "baiser-fleur" : miam!
Commentaire n°1 posté par Ambre le 27/12/2012 à 12h28
Un très beau tout petit livre.
Réponse de PhA le 27/12/2012 à 18h49

lundi 24 décembre 2012

en complément

Tiens, en complément à mon billet à propos du délicieux Kiwi de Pierre Alferi, il y a là une interview de l’auteur sur l’état de la poésie qui pose quelques questions qui me touchent (notamment l’imperceptible limite entre la « bonne confidentialité » et « l’antichambre de la mort » – cf  quelques billets récents) ou qui font écho à mes lectures d’Alferi (la perte de tout pouvoir de subversion jusque dans le terrorisme).
Joyeux Noël quand même !

dimanche 23 décembre 2012

Kiwi d’Alferi


« Elle s’imagine même qu’ils savent tous que le boycott d’un fruit frais n’est qu’une visée factice, mais jouent le jeu parce qu’ils savent aussi que sans la fiction, sans l’histoire plus ou moins puérile que chacun se raconte, la réalité ne tiendrait pas debout une minute debout. »
 
Pierre Alferi, Kiwi, POL, 2012, p. 478.
 
Comme vous n’êtes peut-être pas au courant il faut que je vous le dise : Kiwi de Pierre Alferi est un roman vertigineux.
Comme vous n’êtes peut-être pas au courant il faut que je vous le dise : Pierre Alferi est un poète qui écrit des romans qu’il vaut mieux lire avec des verres progressifs – ou à double foyer pour les nostalgiques – parce que selon la distance à laquelle se situe le lecteur il risque de ne pas lire tout à fait la même chose.
Ce qui est pratique avec Kiwi c’est que Pierre Alferi nous prend gentiment par la main pour nous raconter une histoire très facile à lire à une certaine distance, l’histoire très légèrement décalée d’une jeune femme très légèrement décalée comme celle dont on tombe facilement amoureux et qui précisément ne trouve pas l’amour puis le trouve à moins que ce ne soit lui qui la trouve – à moins que ce ne soit pas ça du tout à moins que ce ne soit pas du tout de ça qu’il soit question. Car sous le couvert d’un récit très linéaire – une année découpée en quatre saisons et cinquante-quatre épisodes –, on devine peu à peu que sous la pelure de l’histoire d’amour se cachait en réalité un étonnant thriller fruitier, avec ses associations secrètes et ses mouvements révolutionnaires occultes – on ne sera donc pas surpris d’y retrouver dans un second rôle assez marquant le même Horatio Picq qui naguère fut victime la séquestration des Jumelles, rappelez-vous ce bref et déjà vertigineux roman polysémique. Mais qu’est-ce en réalité qu’un thriller fruitier ? Il faudrait demander à quelqu’un dont le métier serait de raconter des histoires et tiens justement c’est le métier de Maximilien – Maxime – Max – Sénart : le mari. Comment faire confiance à un homme qui prétend gagner de l’argent en racontant des histoires ? Hein, Daniela, comment faire confiance à Pierre Alferi qui vous met des jolis titres pour chaque « épisode », ose à chaque fois résumer le précédent en moins de quinze mots (La vraie Sylvie Vartan affirme que Bidet ne reviendra pas ou bien Anéantie, Daniela Tripp se dit victime d’une attaque d’étrons volants à domicile) parce qu’on est (c’est marqué dessus) dans un roman-feuilleton, et agrémente chaque titre d’épisode d’un joli dessin ? Hein, Daniela, comment lui faire confiance ? – car c’est ainsi que s’appelle l’héroïne : Danie-ela
 

 
 C’est sur Sitaudis que j’ai commencé à lire Kiwi et c’est dans Libération qu’on peut lire un très chouette article d’Eric Loret qui vous en dira un peu plus ou même carrément autre chose – et ça aussi c’est bon signe.

http://www.les-lettres-francaises.fr/wp-content/uploads/2012/04/kiwi.png

Commentaires

Je suis effrayée. Si vous saviez quelle pile m'attend à gauche de mon oreiller! Ca va finir que je finirai étouffée dessous. Mais enfin j'ai lu ce premier chapitre où rien n'arrive, alors forcément, c'est très attirant....
Commentaire n°1 posté par Michèle le 23/12/2012 à 23h31
Le fait est qu'il y a trop de bons livres pour une seule personne. Et en plus il y a tous les autres !
Réponse de PhA le 24/12/2012 à 18h04
Sans doute un fruit à déguster pour changer d'autres mets plus indigestes !
Bonne année, Philippe, avec verres progressifs ou lentilles en forme de hublots !
Commentaire n°2 posté par Dominique Hasselmann le 28/12/2012 à 14h18
Merci Dominique !
Réponse de PhA le 30/12/2012 à 17h48

samedi 22 décembre 2012

le conseil du jour (par Pierre Autin-Grenier)


En toutes circonstances pénibles, hâtez-vous d’accabler Dieu, sinon vous n’aurez bien vite plus un seul coupable à vous mettre sous la main.
 
Pierre Autin-Grenier, Le poète pisse dans son violon (version symphonique), éditions les Carnets du Dessert de Lune, 2010.
https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhXC5eZWbB71k0RI8l0WCKy8JSUVam_Rx6Wma7yiRYaFInuAMyx3zzPccuYBhTQp4lt3g70Z1Rgkk_hFLyyUN1FgnGAWa28RVobwkdT97Sp9o0tTDjUSo_IWXgkfWwCIKPDW8wuqVhJFXJm/s1600/mike-tyson.jpg

lundi 17 décembre 2012

Quidam pour moi – pour vous (9)


Le dernier livre paru chez Quidam que j’ai lu date déjà du printemps dernier. Pour une fois, l’auteur n’était pas pour moi une découverte, car Marie Cosnay, il y a des années que je la lis : elle fait partie de mon panthéon contemporain. Je me souviens de ce petit plaisir gratuit que j’ai éprouvé il y a quelques temps, quand j’ai deviné en la voyant discuter avec Pascal Arnaud (rencontrés tous les deux par hasard au Marché de la Poésie) qu’elle allait rejoindre Quidam. Cette nouvelle était quand même teintée d’une certaine amertume parce qu’elle signifiait la fermeture d’une autre belle maison, celle de Laurence Teper, où j’ai lu la plupart des livres de Marie et qui publiait aussi Cathie Barreau. On comprendra pourquoi l’actuelle situation de Quidam résonne aussi désagréablement à mon oreille.
Ce billet est le dernier épisode de ce petit feuilleton publicitaire et assumé comme tel : quand on aime il faut le dire. Que le titre du roman de Marie Cosnay, l’un de ses plus beaux, reste dans vos mémoires : A notre humanité.

samedi 15 décembre 2012

l’étranger comme valeur littéraire ajoutée


ou : le syndrome de l’échantillon
 
Je ne sais pas si c’est comme ça à l’étranger, mais en France et en littérature l’étranger est clairement une valeur ajoutée. Une histoire d’amour ou de mort, un polar ou un roman d’apprentissage, si ça se passe dans les faubourgs de Maputo, de Punta Arenas ou de Visakhapatnam, c’est que du bonus. La littérature, c’est fait pour ouvrir sur le monde, alors c’est mieux si ça fait voyager. Un roman guatémaltèque traduit directement de l’inuit, y a  pas à dire, tout de suite, ça fait envie. C’est évident, ça ne se discute pas.
Bon. Moi aussi j’aime bien lire des livres écrits dans d’autres langues, avec derrière eux d’autres histoires littéraires, évoquant des lieux, des milieux différents de celui de la Nationale 10. (Je parle de la Nationale 10 parce que moi je passe pas mal de temps, si je fais l’addition, sur la Nationale 10. Et même sur une portion très courte de la Nationale 10, une dizaine de kilomètres environs, que je parcours en moyenne quatre fois par jour. Je connais bien. Enfin, pas mal. Par exemple je peux vous dire qu’au feu de la Grâce de Dieu, sur le terre-plein en plein milieu de la chaussée, celui à côté duquel on s’arrête dans le sens Paris-province, eh bien il y a un minuscule bouleau qui pousse dans un interstice du bitume, que les employés de la voirie coupent à ras du sol une fois par an et qui repousse quand même. En tout cas il était là encore tout à l’heure.)
Ça ne se discute pas et c’est un sacré argument de vente. Même pour un roman en français, d’ailleurs ; c’est forcément mieux s’il est écrit par un Suisse à l’américaine.
D’ailleurs tous les écrivains français sérieux se revendiquent des influences étrangères.
(Je me demande toujours comment un écrivain peut oser reconnaître et avouer ingénument avoir subi des influences sans en rougir jusqu’au front. Moi-même j’ai subi des influences, et je sais bien que c’est pas possible autrement mais franchement quand même j’ai honte. S’inscrire dans une tradition comme on dit, eh bien y a pas de quoi se vanter. D’ailleurs moi j’ai quand même attendu quinze ou vingt ans que ça se voie moins avant d’oser proposer un texte à la publication, on a sa pudeur.)
Tout cela est bien idiot. On croit opposer des littératures différentes – comme si tout n’était pas LA littérature –, alors qu’on ne fait qu’opposer des représentations différentes (et parfaitement stéréotypées) de la littérature. Qui me dit, à moi qui ne lis guère que dans ma langue maternelle et vaguement dans une autre, que l’infime partie de la littérature, disons, japonaise, qui nous parvient à travers le filtre des traductions correspond vraiment à ce que moi, si je vivais au Japon et lisais le japonais dans le texte, j’aurais vraiment envie de lire ? Il y a fort à craindre et cher à parier que très souvent les auteurs traduits le soient notamment, outre leur réel talent, pour leur conformité à une certaine idée qu’on se fait ici de ce que la littérature doit être là-bas. Vous voyez ce que je veux dire ? Je me rappelle à ce propos quelques mots de Gabriel Josipovici (non, pas les mots, mais l’idée) si peu connu en France notamment parce que son œuvre ne correspond pas à l’idée qu’on se fait en France de la littérature anglaise contemporaine. (Alors que Ian McEwan, par exemple, beaucoup plus connu chez nous, y correspond aussi bien davantage. En plus, Gabriel Josipovici, il est même pas fichu d’avoir un nom qui sente bon son outre-manche. Heureusement qu’il y a Quidam.)
Voilà, l’auteur étranger, vu de France, c’est un peu la synecdoque obligée d’une littérature nationale qu’on lui impose de représenter. Si un jour je suis publié et invité à l’étranger, personnellement j’aimerais bien que ce ne soit pas à titre d’échantillon.
 
Tout cela, il faut bien le dire, relève d’une relation bien faible à la littérature. Mettre en avant la nationalité de l’auteur, c’est encore une manière d’éviter de parler de l’essentiel.
 
 

Cliquez donc pour voir le bouleau de la Nationale 10 immortalisé par Google Map.
 
(Et ce matin je me rends compte que j'ai oublié de rappeler l'évidence : la littérature est toujours étrangère. Voilà, c'était le post-scriptum du dimanche matin.)

vendredi 14 décembre 2012

Quidam pour moi – pour vous (8)


Plus récemment, c’était au début de cette année, Crevasse de Pierre Terzian, un premier roman encore, bien présent dans ma mémoire.
Je le disais l’autre jour dans le sixième épisode, à propos de Victoria Horton, des premiers romans, des nouvelles voix et des voies nouvelles, chez Quidam, c’est la règle. Celui-ci est le dernier premier roman paru chez Quidam, je crois bien. J’espère bien que non.

jeudi 13 décembre 2012

On a toujours intérêt à lire André Schiffrin.

On a toujours intérêt à lire André Schiffrin. Il y a une petite interview dans le Nouvel Obs, . Bien sûr ce qu’il décrit se passe aux Etats-Unis, mais quand on a lu Le contrôle de la parole, paru en 2005 à La Fabrique et qui faisait suite à L’éditions sans éditeurs au beau titre explicite, on sait que ce qui se passe là-bas se passe aussi chez nous.
 
« L’obsession de la taille est dangereuse. »
« Ce qui veut dire moins d’ouvrages sérieux, voire difficiles. »
« L’accent mis sur les best-sellers conduit d’abord à négliger les traductions coûteuses, délaissées par les grands éditeurs. »
« Dans l’ancien système, l’argent gagné sur les auteurs à succès permettait la publication d’auteurs tirés à quelques centaines d’exemplaires. La nouvelle idéologie exige que chaque livre soit rentable. »
« A cette aune, Kafka, dont les premières éditions ne dépassaient pas quelques centaines d’exemplaires, aurait été refusé par les commerciaux. »
« Il faut une exposition, des libraires-conseils. Ils disparaissent peu à peu. »
 
Voilà, quoi. (Voilà aussi pourquoi je vais continuer ce blog, tiens.)

mercredi 12 décembre 2012

Quidam pour moi – pour vous (7)


http://www.quidamediteur.com/imagenes/portadas/LePourceauG.jpgEt si parmi vos amis, vous trouvez que la misanthropie de certains est quelque peu exacerbée par l’imminence que vous savez, vous pouvez toujours leur offrir le Pourceau, le Diable et la Putain de Marc Villemain (rappelez-vous).


mardi 11 décembre 2012

un suicide – en rédaction

« Vous venez d’avoir 18 ans. Vous avez décidé d’en finir avec la vie. Votre décision semble irrévocable. Vous décidez dans un dernier élan de livrer les raisons de votre geste. En dressant votre autoportrait, vous décrivez tout le dégoût que vous avez de vous-même. Votre texte retracera quelques événements de votre vie à l’origine de ce sentiment. »
Oh non, ce n’est pas moi qui donnerais un pareil sujet de rédaction à mes 3e. Mais il paraît qu’un professeur l’a fait, quelque part vers la Charente ; réaction des familles (de toutes les familles ?), suspension du professeur par sa hiérarchie, battage médiatique.
Je n’ai pas assisté au cours, je ne sais pas quelles étaient les intentions du collègue, mais je remarque la réaction des familles (de toutes les familles ?), et celle de la hiérarchie, éberluées par l’énormité de la chose. Faire écrire sur un sujet pareil. A leur âge. Vous vous rendez compte ? Un réflexe de protection, quoi.
Je n’ai pas assisté aux cours, je ne sais pas quelles étaient les intentions du collègue, je n’approuve pas la formulation de l’intitulé à la deuxième personne, mais je me dis qu’écrire, quand même, c’est une mise à distance. Dire, c’est souvent une manière de faire – sans le faire. Surtout dire dans le silence de l’écriture.
Des suicides, j’en ai connu ; comme tout le monde au bout d’un certain temps, j’imagine. Trop. A chaque fois, j’ai eu l’impression que ça s’était joué à peu de choses, qu’il aurait sûrement pu en être autrement, que ce n’était pas une fatalité. A chaque fois aussi, j’ai eu l’impression a posteriori que c’était accompagné d’un grand silence : que quelque chose n’avait pas réussi à être dit.
La dernière fois, c’était un élève de 3; gentil, intelligent, un peu trop réservé. C’est le souvenir que je garde de lui. Il ne se résumait sûrement pas à ces quelques mots. J’aurais peut-être dû donner un sujet de rédaction sur le suicide, je n’en saurai jamais rien.

lundi 10 décembre 2012

Quidam pour moi – pour vous (6)


Et puis de Victoria Horton – toujours dans le domaine français malgré les apparences – encore une découverte de Quidam (comme Jérôme Lafargue, Romain Verger, Marie Frering aussi je crois bien et Denis Decourchelle) mais dont j’avais raté le premier roman Grand ménage, je peux à coup sûr vous recommander le deuxième ; Attachements, qui réinvente la forme épistolaire. C’était ici, et j’avais aussi mis deux extraits (pour faire entendre au moins deux voix différentes).

dimanche 9 décembre 2012

il faut dire quand même


Il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal d’éditeurs qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal de journalistes qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal d’éditeurs qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal de journalistes qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal d’éditeurs qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal de journalistes qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal d’éditeurs qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal de journalistes qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal d’éditeurs qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal de journalistes qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal d’éditeurs qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal de journalistes qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal d’éditeurs qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal de journalistes qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal d’éditeurs qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il faut dire quand même qu’on a parfois l’impression qu’il y a pas mal de journalistes qui prennent les lecteurs pour des imbéciles mais on ne peut pas vraiment leur en tenir rigueur parce qu’il
http://www.forumbelfast.org/cmsfiles/events/third/prisoner.jpg

vendredi 7 décembre 2012

Quidam pour moi – pour vous (5)

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Un peu plus tard – car vous avez compris que cette histoire de lecture, je la raconte (à peu près) dans l’ordre chronologique : j’ai commencé vraiment par le début, j’ai fait une entorse à la chronologie pour placer le domaine étranger – retournez-y voir, vous avez peut-être raté un lien ; puis Marie Frering, Denis Decourchelle, c’est bien dans cet ordre-là que je les ai lus, et aujourd’hui : Miguel Duplan et Jacques Josse. Ou plutôt :  Un long silence de carnaval de Miguel Duplan et  Cloués au port de Jacques Josse. De les mettre ainsi côte à côte, je me rends compte que si différents qu’ils soient, ils ont en commun un ancrage profond dans un lieu, Guyane pour l’un, Bretagne pour l’autre, et donnent à lire des personnages comme des silhouettes habitées de violence et de mystère. Je le dis parce que je m’en rends compte à l’instant, par le hasard de la chronologie ; d’ailleurs lisez Duplan, lisez Josse, et voyez combien ils sont diversement habités.
http://www.lekti-ecriture.com/editeurs/local/cache-vignettes/L187xH300/arton4148-e614c.jpg

jeudi 6 décembre 2012

Et si Aurélien Bellanger avait raison ?


Après tout, il est toujours intéressant de partir des hypothèses les plus folles. Alors pourquoi pas celle-là ? Rappelez-vous : ce nouvel oracle des lettres françaises, que j’ai peut-être injustement brocardé (après tout je n’ai pas lu son roman, qui vaut peut-être mieux que ses analyses littéraires ; je ne le saurai sans doute jamais) avait affirmé en substance (et entre autres) que Samuel Beckett ne devait sa survie dans nos mémoires qu’à son physique photogénique.
Mais oublions Bellanger et attardons-nous un instant sur la question de la notoriété de Beckett. Il tient une place particulière dans mon panthéon, même d’honneur ne convient pas, et j’avais déjà lu à peu près toute son œuvre publiée il y a trente ans, avec une prédilection pour les derniers romans et les textes brefs des années 70. (J’en suis sorti singulièrement empêché, et ça n’est pas sans rapport avec le fait que j’ai autant tardé à proposer un texte à la publication. J’aurais sans doute été empêché même sans lui, mais au moins j’ai pu mettre un nom sur mon empêchement : empêchement.)
A cette époque, bien sûr, Beckett était déjà une figure sacralisée. On en aurait presque oublié qu’il était contemporain. Quand, dans le métro, je voyais la couverture des éditions de Minuit – ce qui n’était pas si fréquent –, je me disais que c’était Beckett et la plupart du temps en effet c’était lui. Ça a duré comme ça jusqu’au Prix Goncourt de l’Amant, de Duras, en 84 ; je me souviens de lui en avoir vaguement voulu, à la dame ; comme si Minuit n’était plus tout à fait Minuit avec un pareil best-seller.
Mais autour de moi, je n’avais pas grand monde pour parler vraiment de Beckett. Pourtant il y avait pas mal d’étudiants en lettres. Mais ils connaissaient surtout son théâtre et, au mieux, Molloy. Des gens qui avaient tout lu ou presque, même lesTêtes-mortes, le Dépeupleur, Pour finir encore et autres foirades, je n’en croisais guère. Idem pour l’Innommable ou Malone meurt. Et au fond, ça me convenait. Il n’y avait pas tant que ça de raisons pour que ces livres qui résonnaient si fort en moi résonnent autant pour tout le monde. La lecture, ça se vit au singulier. Un gars passionné par Malraux, par exemple, je n’imaginais pas qu’il puisse vraiment s’intéresser à Beckett. (Je me trompais peut-être, je n’ai jamais pu lire Malraux. Je ne me suis pas beaucoup forcé non plus.)
Et puis, avec les années, il y en a eu de plus en plus, des gens qui avaient lu Beckett – même avant que je côtoie, tardivement, quelques professionnels du livre. Enfin, c’était mon impression : que les gens lisaient de plus en plus Beckett, cet auteur qui écrivait d’abord pour moi. En moi, plutôt. Tous ces gens qui lisaient la même chose que moi, ça devenait un peu suspect. Il y avait peut-être là une certaine affectation. Quand on y pense c’est même un peu dégoûtant, d’être trop nombreux dans les mêmes livres.
Alors qu’un type, ce Bellanger, ne puisse pas entrer dans Beckett, au fond, ça me rassure. L’unanimité, ça craint.
 
Demain, on revient sur Quidam.
http://www.pariscilaculture.fr/wordpress/wp-content/uploads/2011/10/samuelbeckett.jpg

mercredi 5 décembre 2012

Quidam pour moi – pour vous (4)


(Parenthèse pour ceux qui aurait raté le premier épisode, ou le deuxième, ou le troisième.)
Puis j’ai lu  la Persistance du froid, le « premier roman » de Denis Decourchelle. Je mets « premier roman » entre guillemets parce que je n’aime pas beaucoup cette expression qui sent un peu trop son puceau des lettres et ne veut pas dire grand-chose. Car de l’écriture, il y en a sûrement eu beaucoup pour parvenir à cette Persistance du froid, un de mes plus beaux coups de cœur chez Quidam. S’il y avait une justice, ce livre aurait dû rencontrer bien plus qu’un succès d’estime. Et moi j’ai bien envie d’en lire d’autres, du même auteur.
(Pour ceux qui ont bien suivi, il n’y a qu’un lien, alors on ne fait pas son frileux, on clique sur la Persistance du froid pour en lire un extrait et les quelques mots que j’en disais à l’époque. (Et une fois là, comme on est déjà réchauffé, on clique de nouveau sur le titre pour tomber sur la page de Quidam où l’on pourra lire et écouter plein d’avis de personnes de bon goût, et même écouter l’auteur lui-même.))

mardi 4 décembre 2012

Quidam pour moi – pour vous (3)


(Parenthèse pour ceux qui auraient raté le premier épisode, ou le deuxième.)
 
Et maintenant les autres auteurs français du catalogue. Je n’ai pas beaucoup de temps mais peut-être aussi que vous non plus : alors je vais faire court et un par un, un par soir. N’oubliez pas de cliquer sur les liens si vous voulez être touchés par la grâce de Marie Frering, l’auteur de Désirée et de l’Ombre des montagnes.
quidam.gif (On peut aussi cliquer sur le quidam.)

lundi 3 décembre 2012

Quidam pour moi – pour vous (2)


Voilà, c’est la suite d’hier. C’est toujours Quidam, c’est toujours aussi beau, et c’est toujours bientôt Noël et peut-être la fin du monde pour un des éditeurs les plus engagés qui soient pour la littérature contemporaine.
Le catalogue de Quidam, c’est aussi de la littérature étrangère. C’est là que j’ai découvert B.S. Johnson, à qui Laure Limongi consacre l’une des quatre parties de ses Indociles, B.S. Johnson dont ni les trous dans les pages d’Albert Angelo (« pour voir le futur de la fiction ») ni la boîte dans laquelle peuvent être mis dans n’importe quel ordre les différentes sections des Malchanceux ne doivent faire oublier à quel point ces apparents artifices sont d’abord l’expression d’une tentative aussi belle qu’impossible d’atteindre l’homme lui-même, dans son humanité la plus immédiate. R.A.S. infirmière-chef et Christie Malry règle ses comptes, formellement très construits (R.A.S. infirmière-chef est une succession de huit monologues intérieurs – ceux des pensionnaires d’un hospice pour vieillards – parfaitement simultanés : même les pages se correspondent ; et pour Christie Malry règle ses comptes , cliquez donc dessus, vous allez voir), sont aussi les plus drôles et les plus acides ; quant à Chalut, s’il n’a pas encore sa place dans ces Hublots, c’est tout simplement pour faire durer encore un peu la perspective d’avoir un autre livre de B.S. Johnson à découvrir. En revanche, j’ai lu la passionnante biographie (moi qui ne suis pas du tout porté sur les biographies) que lui a consacrée Jonathan Coe : BS. Johnson, Histoire d’un éléphant fougueux. L’idée en soi (une biographie de B.S. Johnson vous savez par qui ? par Jonathan Coe !) est déjà suffisamment insolite ; quant au résultat, il se lit comme j’imagine que se lit un thriller.
Mais j’en vois qui commence à sauter des lignes, alors je vais peut-être accélérer. Dans le domaine anglais aussi, mais complètement contemporain cette fois, Gabriel Josipovici a été un plus récent coup de cœur, aussi bien la foisonnante promenade parlée de Moo Pak , ce livre qui évoque un livre sans être vraiment ce livre (je ne sais pas si ça vous fait envie, ça ; mais à moi – et à l’auteur en moi – ça parle terriblement) que cet autre livre qui est presque stylistiquement son contraire,  Tout passe, à l’épure quasi beckettienne (même si personnellement je vois aussi quelque chose de beckettien dans la réalisation de Moo Pak).
Oui, vous avez raison, un écrivain est un lecteur un peu particulier, notamment quand il commence à lire des livres à travers le prisme de son propre travail. N’empêche, il n’est pas tout à fait indifférent qu’en lisant le Son de ma voix, de Ron Butlin, j’ai cru retrouver des accents de mon Par temps clair : c’était à mes yeux l’un des signes que ma présence dans le catalogue de Quidam avait une réelle signification. Le sujet premier pourtant l’en distingue : c’est l’alcoolisme. Mais précisément : la destruction de la personnalité qui en résulte est un thème qui m’est cher.
Si je serai plus bref sur le domaine allemand, c’est surtout parce que le chef-d’œuvre (c’est comme ça qu’on dit pour certains livres, mais à celui-là je trouve que ça ne va pas mal) de Reinhard Jirgl, Renégat, roman du temps nerveux, malheureusement pour vous, est épuisé, ainsi que son autre roman chez Quidam, les Inachevés, que je n’ai pas encore lu. Le but de ce billet, comme du précédent, comme du prochain, c’est aussi tout simplement de rendre leur réimpression possible. Mais il reste une autre somme, plus ancienne, un autre OLNI comme on ne disait pas encore à l’époque (surtout en allemand), c’est Rome, regards, de Rolf Dieter Brinkmann, cet étrange anti-journal écrit lors de la résidence de l’auteur à Rome, et contre cette résidence en même temps, et qui mêle à son texte furieux photos et cartes postales. Et puis, plus contemporain, très contemporain même, et délicieusement déroutant par la manière dont l’auteur évite le sujet dont on ne redécouvre qu’à la fin, longtemps après le titre, qu’il est vraiment l’essentiel, il y a aussi Mourir de mère, de Michael Lentz.
J’avoue que je n’ai pas lu les autres auteurs étrangers. Mais je me suis laissé dire que les Grecs du catalogue étaient très « abordables », je dis ça parce que je sais qu’il y a des lecteurs timides, qui ne se font pas assez confiance et qui croient – à tort – que certains livres sont trop difficiles pour eux, alors que pour les aborder il faut juste admettre qu’ils sont un peu différents de ce à quoi on a été habitués.
Je reviens bientôt sur les autres auteurs du français du catalogue.

dimanche 2 décembre 2012

Quidam pour moi – pour vous (1)

La lecture est affaire de plaisir et de désir. Faire naître le désir n’est pas chose facile quand le plaisir est incertain, et il est incertain quand on ne connaît pas le travail d’un éditeur. Mais il arrive aussi, hélas, que faire naître le désir soit tout simplement vital.
L’écriture, c’est pareil : histoire de plaisir et de désir. Et la publication une sorte de réalisation, souvent frustrante même dans le plaisir, de ce désir.
Quand j’ai eu connaissance de l’existence de Quidam, j’avoue que ce n’était pas le lecteur qui était en quête d’un bon livre qui m’animait, mais l’auteur dont le précédent éditeur, Melville, venait de disparaître, qui cherchait tout simplement un nouvel éditeur.
J’avoue que je n’ai pas tout de suite désiré Quidam, dont je n’avais lu aucun titre. Même si je sentais qu’il y avait là quelque chose de sûrement intéressant, je restais sans doute encore marqué par le confort un peu superficiel qu’on a à être publié par un éditeur puissant, puisque j’avais commencé au Seuil, sur une sorte de quasi-malentendu sur lequel je reviendrai un jour dans d’autres circonstances.
J’ai commencé à désirer Quidam quand j’ai entendu chroniquer l’un de ses titres, l’Ami Butler de Jérôme Lafargue, aux mardis littéraires de Pascale Casanova alors que je roulais sur la N10 pour aller faire imprimer quelques manuscrits de Liquide, en vue d’envois prochains. C’était bien sûr un désir clairement éditorial, mais les difficultés que j’avais eues à imposer Chroniques imaginaires de la mort vive après Une affaire de regard, cet espèce d’invraisemblable grand écart qui m’a fait paraître suspect aux yeux de tout éditeur prudent (invraisemblable mais vital et toujours recommencé), m’avait fait comprendre qu’il me fallait savoir à l’avance à qui vraiment j’avais affaire. Alors j’ai lu l’Ami Butler.
J’ai lu l’Ami Butler et dès ce moment-là, avant même que je me décide vraiment à envoyer un manuscrit à Quidam, mon rapport avec cet éditeur est devenu celui d’un lecteur. Car j’ai aimé l’Ami Butler, et par la suite Dans les ombres sylvestres, et plus récemment l’Année de l’hippocampe, ces livres qui osent travailler le romanesque comme je ne le ferai jamais, qui jouent délicieusement de la fiction à l’intérieur même de la fiction – et que je vous recommande chaleureusement.
Puis très vite je suis tombé, complètement par hasard, sur Grande Ourse, de Romain Verger – et là c’est la puissance de l’imaginaire, un imaginaire des entrailles, une manière de vous tenir le cœur à la main à l’intérieur de la cage thoracique pour le cas où il tomberait, qui m’a retenu, et que j’ai retrouvé dans son premier roman Zones sensibles, et plus récemment dans Forêts noires.
Entre temps, la chronologie s’embrouille un peu dans ma mémoire, Quidam m’avait dit son désir de publier Liquide puis Monsieur Le Comte au pied de la lettre, car les deux sont quasi jumeaux – siamois, même – malgré les apparences que j’aime trompeuses, et nous nous étions rencontrés. Très vite on avait surtout parlé de littérature, et des goûts que nous avions en commun, dans le contemporain aussi : Raymond Federman, Céline Minard… Pascal Arnaud, l’homme derrière Quidam, est très vite devenu un de mes principaux prescripteurs, et ce bien au-delà de son catalogue.
 
Mais c’est son catalogue, vous l’avez compris, qui est menacé aujourd’hui. Et c’est là que j’ai envie de vous donner envie.
 
Voilà, j’ai envie de vous donner envie. Mais si je vous donne tout, comme ça, en une seule fois, ça va être beaucoup trop long. Je sais bien comment c’est, sur les blogs ; j’en ai vu, là, déjà, parmi vous, qui n’ont pas cliqué sur tous les liens. Et puis des livres du catalogue, non, je vous rassure : je n’ai pas tout lu ; mais tout de même, j’en ai lu, attendez que je compte… vingt-six, si je ne me suis pas trompé, sans compter les deux miens. Alors on va s’arrêter là pour aujourd’hui, allez déjà jeter un œil sur Lafargue et Verger, six titres à eux deux, et demain j’essaie de mettre la suite.

Commentaires

Moi aussi je suis très morose en ces derniers jours. J'aime, j'adore comme vous Lafargue et Romain Verger. Mais c'est par Padovani que j'ai découvert les éditions Quidam, un peu par hasard... Et j'ai tant aimé que j'en ai lu beaucoup. Sûrement les 2/3 du catalogue. Et bien sûr, j'ai lu aussi Liquide. 
J'espère que ceux qui vous suivent auront envie de vous faire confiance et d'acheter quelques livres. Je recommande aussi Ron Butlin, Le Son de ma voix ou encore les B.S. Johnson. 
Merci pour ce billet !
Commentaire n°1 posté par Anne-Sophie le 02/12/2012 à 20h48
Merci Anne-Sophie, et vous faites bien de mentionner Stéphane Padovani que je n'ai pas lu et serait oublié sur ces Hublots. Je compte bien faire une piqûre de rappel pour BS Johnson et Ron Butlin.
Réponse de PhA le 02/12/2012 à 22h41
On ne peut pas résister à l'appel du plaisir.... Mes amis recevront des Quidam pour Noël et je penserai à m'en offrir aussi...  Je passerai le mot...
Commentaire n°2 posté par Michèle le 03/12/2012 à 09h41
Merci pour le plaisir partagé, car je n'en doute pas !
Réponse de PhA le 03/12/2012 à 20h49
bonsoir,
je viens de passer pour la première fois sur votre blog et je le trouve très interessant.
bonne continuation.
Yselann
Commentaire n°3 posté par dinasblog le 03/12/2012 à 18h09
Merci.
Réponse de PhA le 03/12/2012 à 22h03

samedi 1 décembre 2012

Belle soirée, matin gris ; de Pierre Jourde à Quidam.


Hier soir j’ai passé une bonne soirée. Je suis allé à la bibliothèque de Chartres écouter Pierre Jourde qu’interviewait Olivier L’hostis (la belle librairie l’Esperluète) à propos du Maréchal absolu, récemment paru et que je me suis offert. C’était une bonne soirée parce qu’on y a vraiment parlé de littérature. Parce que l’intervieweur connaît vraiment bien l’œuvre de l’auteur (je le savais déjà, nous avions eu l’occasion d’en discuter). Parce que l’auteur a des préoccupations qui me touchent (là aussi, je le savais déjà ; je le lis depuis une dizaine d’années) : la fiction d’abord dans le réel, avant toute littérature, et le roman qui en devient révélateur ; la fiction de soi dans ce Maréchal qui se dédouble et disparaît (mais dont je n’ai pas honnêtement le droit d’en dire plus avant de l’avoir lu), le goût affirmé de l’auteur pour un certain égarement, pour le rêve et aussi cette réponse toute simple que j’ai moi-même faite si souvent : qu’il écrit le livre qu’il aurait envie de lire. Une réponse si simple qu’elle ne mériterait peut-être pas que je la rapporte si, précisément, elle ne perdait pas de plus en plus de son évidence. Les écrivains sont lecteurs, ils sont aussi leurs propres lecteurs comme le cuisinier a le droit de se régaler de ses plats ; la littérature est affaire de plaisir, et parfois ce plaisir mérite d’être partagé. C’est la raison pour laquelle je me moquais hier des conseils prodigués par Frédéric Beigbeder (dont au fond je ne doute pas vraiment de la bonne volonté, et c’est bien ce qui chagrine) qui considère que l’auteur (en l’occurrence c’était Eric Chevillard mais bien sûr je le prends aussi pour moi et pour d’autres auteurs que j’aime) doit se préoccuper des attentes du public, comme si le public était une entité clairement définie et distincte de l’auteur. Alors que le public, c’est celui qui lit. Le premier public, c’est soi-même. Et comme soi-même bien sûr ne suffit pas, c’est ensuite l’éditeur, naturellement moins indulgent pour la bonne et juste raison que c’est lui qui va engager son argent sur le texte, et souvent le perdre. Et puis le public enfin, celui qui a acheté et lu le livre. Et c’est la troisième raison pour laquelle la soirée d’hier était bonne : le public de Pierre Jourde à Chartres, et la qualité de ses interventions. C’est rassurant.
 
Pourquoi, maintenant, après une bonne soirée, la matinée est-elle morose. Voilà, je vous recopie l’appel de Quidam, mon éditeur bien sûr, mais pas seulement le mien. Un éditeur qui fait ce à quoi il croit, et dont les lecteurs « avertis » s’accordent sur la qualité rare du catalogue. Je vous assure que quand je rencontre un écrivain, un libraire, un éditeur qui ne me connaît pas (oui, il en reste encore quelques-uns) et qu’il apprend que je suis publié chez Quidam, ça fait toujours de l’effet. C’est la classe, quoi. (Enfin, parmi les écrivains, les éditeurs ou les libraires qui sont en même temps des lecteurs un peu curieux, évidemment.)
 
L’appel de Quidam (aux libraires) :
 
AVIS AUX LIBRAIRES…
 
Pendant deux mois, décembre et janvier,
- 45% sur tout le catalogue jusqu’à 3 exemplaires,
- 48% jusqu’à 6,
-50% au-delà,
en ventes fermes (sans possibilité de retours), port partagé en province (poste), paiement à réception ou à 30 jours, merci.
Prise de commande : quidamediteur@free.fr
Précision : les titres de Reinhard Jirgl, Les Inachevés et Renégat, roman du temps nerveux, sont épuisés, La Femme du métro de Ménis Koumandaréas quasiment. Votre soutien nous aidera peut-être à les réimprimer.
Au-delà de janvier, nous ne répondons plus de rien… si d’aventure nous survivons à la fin du monde.
 
 
L’appel est déjà relayé par la librairie Ptyx à Ixelles (en Belgique), qui connaît bien le catalogue de Quidam, lisez donc son article.
Voilà. Si je ne me sens pas trop bien ce matin en écrivant ce billet, c’est que je sens bien que les difficultés de Quidam et d’autres éditeurs (récemment les Allusifs, par exemple, chez qui Pierre Jourde, tiens, a fait paraître la Présence, que je vous recommande aussi), je sens bien que tout ça donne raison à la logique marchande sous-jacente dans les bons conseils de Beigbeder – et ça me désespère de laisser la littérature aux marchands.