jeudi 25 avril 2013

le travail de l’écrivain


On a travaillé beaucoup. On n’en avait pas toujours conscience parce que travailler c’était écrire, c’était lire, et si on a connu pas mal de déceptions on y a pris aussi tant de plaisir qu’on oubliait que c’était du travail. Pour espérer peut-être enfin savoir un peu écrire, un peu lire aussi.
Travail après tout n’est peut-être pas le meilleur mot mais on y a consacré du temps et de l’énergie.
Et puis, arrivé là, on était en fait juste sur le seuil. Il fallait accomplir tout un autre travail encore, et là peut-être encore travail n’est peut-être pas le meilleur mot mais pas le pire non plus car il demandait peut-être encore plus de temps et d’énergie : il fallait oublier sans oublier. Désapprendre en connaissance de cause. Renoncer à la facilité acquise au prix de la pratique quotidienne. Renier ses modèles. Voir s’il n’y avait pas quelque chose qu’on n’ait pas vu encore. Faire mentir ceux qui il y a trois siècles, il y a deux millénaires disaient que tout avait été dit déjà. (Et leur donner raison aussi : car c’était bien afin que deux mille ans, trois cents ans plus tard on tente encore sa chance qu’ils avaient osé une telle profération).
La création n’était pas immédiatement reconnaissable. Il y avait là bien sûr matière à frustration : l’ego pour sa part tenait à la reconnaissance. Mais il fallait bien admettre que c’était naturel : on ne pouvait pas espérer que des gens reconnaissent ce qu’ils ne connaissaient pas. On pouvait juste espérer qu’ils fassent connaissance avec. Parfois, on avait l’impression que cela arrivait. Ça faisait plaisir. D’autres fois on se rendait compte que la création n’était qu’une illusion : il n’y avait rien sur la table où on croyait l’avoir laissée. Pour soi-même non plus, la création n’était pas immédiatement reconnaissable.
Quand tout allait bien, la solution de simplicité aurait consisté à exploiter le filon découvert. La plupart des confrères ne s’en privaient pas, et cela semblait plutôt leur réussir. Mais on n’était pas trop sûr non plus que c’était cela, la réussite. On avait à peu près réussi à se défaire de l’essentiel des influences, si impérieuses autrefois, ce n’était pas pour devenir le singe de soi-même.
Il fallait encore, il faudrait à chaque fois se défaire de soi – pour avoir peut-être une chance de l’être enfin, juste un instant.
 

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