jeudi 31 octobre 2013

Complications de Nina Allan


Au début j’ai cru que ce livre avec son titre pluriel était un recueil de nouvelles et je n’avais rien contre et puis je me suis rendu compte que non et qu’au lieu de n’avoir rien contre j’avais tout pour. Car ces Complications horlogères me font lire plusieurs réalités contradictoires sans qu’une ait la primauté sur l’autre et c’est quelque chose que j’aime comme une vérité cachée. Par exemple Dora est la sœur morte de Martin le narrateur qui l’aime d’un amour trop absolu et Dora est devenue la collègue et l’amie de Martin le narrateur qui a fait sa connaissance quand il lui a vendu son appartement puisque Martin est agent immobilier et aurait bien une aventure avec Dora s’il n’était déjà mariée avec Miranda. A moins que Martin n’exerce un tout autre métier, par exemple représentant pour le compte d’un éditeur de carte de vœux. A moins que Miranda ne soit depuis vingt ans que la collègue de Martin qui n’est plus narrateur et que leur histoire d’amour n’ait pas eu lieu ou pas encore, si j’en crois Sylvester John. Tout dépend peut-être d’Andrew Owen – à moins que ce ne soit Owen Andrews. On ne demandera pas à Nina Allan, puisque c’est Sylvester John et non Lovecraft qui est l’auteur véritable de ces récits ; mais on ne lui demandera pas non plus, à Sylvester John : il est mort, comme Lovecraft, en plus d’être fictif, tout comme Malcolm, son principal exégète ; à moins que la fiction ne soit qu’un autre possible ? Après tout rien de tout cela n’aurait été écrit sans le tourbillon de Breguet, l’homme qui abolit la pesanteur et fait quand même partie de l’Histoire, au moins celle du temps.
On pourrait croire que je vous en ai déjà trop dit en si peu de mots mais non, je ne crois pas, si je me fie à ce que je ressens en écrivant ces quelques lignes : l’envie de relire ces Complications qui viennent de paraître aux éditions Tristram dans une traduction de Bernard Sigaud.
 


http://media.biblys.fr/book/31/43731-w300.jpg

Commentaires

Quelle façon rafraîchissante de parler de l'attente d'un livre, de la lecture d'un livre, du mystère d'un livre...
Commentaire n°1 posté par christiane le 31/10/2013 à 11h04
Merci ; je me demande toujours comment donner envie de lire un livre alors qu'en même temps je n'ai pas souvent l'envie ni le temps ni les mots pour écrire une vraie critique qui serait forcément assez longue - et du coup pas forcément lue.
Réponse de PhA le 31/10/2013 à 17h48
Vous avez raison. Il faut ouvrir le cercle fermé des auteurs et des critiques littéraires qui finissent par être dépendants les uns des autres.
Commentaire n°2 posté par christiane le 31/10/2013 à 17h50

lundi 28 octobre 2013

Bleu horizon de Danielle Auby


Je viens seulement de voir que Jérôme Garcin avait fait paraître chez Gallimard un roman intitulé Bleus horizons autour de la figure de Jean de la Ville de Mirmont et je me souviens qu’on croisait déjà ce poète dans un autre Bleu horizon mais au singulier celui-là même si les destins brisés d’écrivains s’y écrivaient au pluriel. C’était dans le beau livre de Danielle Auby, Bleu horizon donc et paru chez Flammarion il y a juste vingt ans ; j’ai même écrit quelques mots dessus avant l’ouverture de ce blog ; il en aurait mérité davantage :
 
Dire la vie de ceux qui n’ont pas vécu
 
La littérature n’est jamais si belle que lorsqu’elle reconnaît d’avance l’impossible et l’admet, et qu’elle se fait quand même avec et contre lui. Impossible de dire la vie de ceux qui n’ont pas vécu. C’est pourtant ce qu’entreprend de faire Bleu horizon : redire avec les mots de l’imagination (pas ceux de la fiction) la vie possible et arrêtée – arrêtée par la guerre qu’on appela « grande » – d’une cinquantaine d’hommes (parmi 560) qui pour la plupart n’avaient en commun que l’ambition d’écrire et auxquels une forêt du Languedoc plantée en 1931 a voulu rendre hommage. En commun, l’Histoire leur donna l’uniforme « d’un bleu délavé qu’on appelle horizon » (je cite de mémoire) et cette fin de fer et de boue ; si bien qu’au bout du compte, dans les mémoires s’appauvrissant, dans les hommages gauches ou gauchis ils finissent par tous se ressembler, quasi indistincts les uns des autres, comme sur la photo de couverture. Impossible si longtemps après de dire vraiment qui ils furent, eux qui ont cessé d’être même lorsque, privés de l’usage de leurs jambes, ils ont officiellement survécu. La force du livre, c’est de redonner vie à des instantanés singuliers : un enfant étreignant un lilas et s’en barbouillant la figure, un autre en contemplation d’un plancher de verre que des années plus tard il ne quittera plus, un jeune cavalier élégant entraînant son cheval aux cercles parfaits dans la neige, auxquels viennent se superposer les personnages de leurs livres aussi interrompus, dans l’attente de ce qui ne viendra pas.
 
Mai 2007.

Commentaires

Dans le même esprit j'ai lu les"poèmes de Büchenwald", recueillis par André Verdet, et publiés par Gallimard. Lui aussi avait recueilli et réussi à sauver des poèmes dont les auteurs sont morts là-bas.
Commentaire n°1 posté par Lza le 30/10/2013 à 09h13
Là ce sont des moments de vie, comme pris sur le vif. Et comme ma lecture n'est pas récente ça devient des souvenirs : maintenant je me souviens d'eux. C'est ce qu'il fallait.
Réponse de PhA le 31/10/2013 à 17h44

samedi 26 octobre 2013

Mon jeune grand-père (14)

Le 30 janvier 1917 - Mes chers parents.
Je n’ai pas reçu grand’chose de vous ces quatre derniers jours ; j’ai reçu la carte de papa du 15 (ou du 16, c’est difficile à décider) et sa lettre du 17. Le temps vraiment doit passer très lentement. Je le sens qui peine à passer. C’est pour ça sans doute que sur cette carte l’écriture est un peu moins serrée, plus élégante aussi : parce que le temps passe si peu qu’il y a de moins en moins à dire et tout le temps pour bien écrire. Et l’écriture décidément est bien plus lisible et plus jolie que celle de mon père, sans parler de la mienne. Comme colis j’ai reçu un kg de pain du 6 janvier et le colis poste n° 6. Avant lui, il y a encore le 5 à arriver (je lis plutôt « il y a encore 15 à arriver » mais je corrige d’après le contexte), j’espère qu’il n’en se perdra pas trop (ce genre d’étourderie est tout à fait exceptionnel) et qu’ils ne seront pas trop abîmés. Je suis bien content que tu aies écrit au commandant. Je serai très heureux de recevoir de ses nouvelles. Pour les personnes qui demandent à ce que j’écrive en pays envahis (comme un frisson à la lecture de ces deux mots qui tranchent par leur ton), répondez-leur ce qui est l’exacte vérité, que je ne le peux pas, que cela m’est formellement interdit de servir d’intermédiaire. Toute cette soudaine insistance, je ne peux m’empêcher de la lire comme l’expression de l’empêchement de dire. Toutes ces cartes ne diront jamais ce qu’Edmond voudrait vraiment dire, parce que c’est impossible, parce que c’est interdit, parce qu’il y a un regard par-dessus son épaule. Aujourd’hui il y a un autre regard par-dessus son épaule, le mien, et même le vôtre par-dessus le mien, qui au contraire attend qu’il dise ce qu’il voudrait vraiment dire, qui essaie de lire à travers les mots ; mais c’est trop tard, les mots ne disent que ce qu’ils disent ; d’ailleurs même sans ce regard allemand les mots pourraient-ils faire mieux quand ils ne sont là que par procuration ? Tout à l’heure, dans quelques lignes que je n’ai pas encore lues, je sais déjà qu’Edmond embrassera bien fort ses parents, mais qu’en réalité il ne fera que dire qu’il les embrasse, parce que faire est impossible ; et en même temps me reviendront en mémoire quelques souvenirs de lecture de pragmatique linguistique, et le titre d’un chapitre d’un livre d’Alain Berrendonner « Quand dire équivaut à faire », reprise critique du Quand dire c’est faire d’Austin, me paraîtra à la fois juste et triste. Le froid continue à être très vif, il gèle et il neige. Cela ne m’empêche pas cependant de faire une petite promenade le matin. J’écris aujourd’hui à ma tante Maria. (C’est bien « Maria » que je lis. Ce mystère n’est toujours pas résolu.) Nous avons mangé hier une boîte de blanquette de veau, c’est épatant et puis ça change. D a reçu l’autre jour un jeu d’oie, nous faisons de longues parties avec nos voisins, cela nous amuse beaucoup il faut peut de chose pour nous distraire en ce moment. Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis et toute la famille Votre fils qui vous aime de tt son cœur. Edmond

jeudi 24 octobre 2013

ce soir, soirée western


Ce sera avec Céline Minard, pour son formidable Faillir être flingué à la non moins formidable librairie Charybde. Volez donc un cheval et venez !
http://static.squarespace.com/static/50f3485fe4b09d40370ed6da/50f72be7e4b069260620a046/50f72bece4b069260620a33c/1335831924000/horses-1024x768.jpeg?format=original

Commentaires

Hélas! Il manque un fer à mon sabot! Y aura-t-il une retransmission vidéo?
Commentaire n°1 posté par Michèle le 24/10/2013 à 13h54
Je ne crois pas, mais l'écurie était plus que pleine.
Réponse de PhA le 29/10/2013 à 15h25
Ce soir, soirée western
Ce sera avec Céline Minard, pour son formidable (je ne suis pas encore certain du qualificatif car en train de le lire) "Faillir être flingué" et la non moins formidable "Grande Librairie" (France 5). Volez donc un cheval et venez !
Commentaire n°2 posté par Thyone le 24/10/2013 à 22h15
Son cheval est si rapide qu'elle arrive à être à deux endroits en même temps.
Réponse de PhA le 29/10/2013 à 15h26
Assise bien confortable dans mon fauteuil, j'ai pu écouter Céline Minard dans la Grande Librairie. Pas mignarde du tout, d'une grande sobriété. L'auteure me plait. Je vais chercher son livre
Commentaire n°3 posté par Zoë Lucider le 25/10/2013 à 15h39
C'est vrai qu'elle a une sacrée présence, même en vrai. (Evidemment je n'ai pas vu l'émission.)
Réponse de PhA le 29/10/2013 à 15h27
Moi aussi, j'ai vu Céline Minard dans la Grande Librairie. Ce que je regrette, avec cette émission, c'est qu'il me semble souvent que les questions posées ne sont pas les bonnes, ou plutôt qu'elles sont un peu "bateau", au point que certains écrivains en paraissent gênés, voire interloqués.
Commentaire n°4 posté par Michèle le 27/10/2013 à 23h39
C'est bien possible (je crois que je ne l'ai jamais vue - il faut dire que je regarde vraiment très rarement la télé). (Cela dit j'aimerais bien la voir interloquée, ça doit être drôle.)
Réponse de PhA le 29/10/2013 à 15h32
Sauvage, haletant, hi-la-rant! Un livre qui se dévore.
Commentaire n°5 posté par Michèle le 05/11/2013 à 10h48
Même moi qui lis lentement je l'ai lu au galop.
Réponse de PhA le 06/11/2013 à 19h44

lundi 21 octobre 2013

un mur au bout de la course


Au petit déjeuner le lendemain matin dans ce café, 1h30 de l’aprem, Iris portait un pull marron très joli et un jean délavé fraîchement repassé. Son visage était lavé de frais, ses cheveux peignés, elle ressemblait à n’importe quelle jeune fille de la grande ville. Comme si j’étais son grand frère qui lui payait à manger en ville.
On avait commandé du jambon et des œufs, des grands verres de jus d’orange, du café. Elle m’a parlé d’elle. Comment elle s’était mise avec Sport. Où elle habitait avant. Pittsburgh. Je me disais que rien n’était impossible, les gens peuvent se parler s’ils font un effort. J’ai pensé qu’Iris et moi on pouvait faire l’effort d’être amis. J’avais pas peur de Sport ou du vieux.
J’ai dit : « Pittsburgh. J’y suis jamais allé, mais ça me paraît pas si moche.
– Pourquoi est-ce que tu veux que je retourne chez mes parents ? Ils me détestent. » Iris haussait de nouveau le ton. Elle était vraiment à cran. « Pourquoi tu crois que je me suis barrée ? Y a rien là-bas. » J’ai recommandé du café. J’ai dit : « Tu peux pas vivre comme ça. C’est l’enfer ici. Si t’es pas malade maintenant, tu seras bientôt accro ou tu mourras ou je sais pas quoi. Les filles ont besoin d’être protégées. »
Iris a voulu vanner là-dessus : « T’as jamais entendu parler de la libération des femmes. »
Bon, comment lui dire que j’avais besoin de l’aider. Comment lui dire qu’elle était tout ce qui se dressait entre moi et cette chose horrible qui allait se passer.
 
Richard Elman, Taxi driver, traduit par Claro, Inculte, 2013, p. 145-146.
 
N’est pas le roman qui a inspiré le film mais le roman inspiré du film et Claro est bien placé pour vous en dire plus. Ça se lit comme un taxi conduit à toute allure même par moi qui lit comme une tortue même si je me suis pris cet été une amende pour excès de vitesse en Suisse non mais franchement. Et le fait qu’on sache comment ça va finir (mais pas comment ça va être dit) est comme un mur au bout de la course.
https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg1qOSpyHTTsTXjt7dYOp8pHCYon8AtSaM5Q3mXIlt3ooc_ak-2K9lbXnukNegmw7Vek1TVKvRtxsZ_LHoU-NVWArapFMuzHmig1UDLz_1YZJNydOpQH6TqUu3aAzzu1W0dn5N06ZHTMFc/s1600/15212_365125570272824_1000070473_n.jpg

jeudi 17 octobre 2013

toujours cette fichue représentation de la littérature


Alors si je comprends bien, pour obtenir le Prix Nobel, l’auteur doit représenter un pays et un genre ? Bon là je dis le Nobel parce qu’on nous dit surtout que l’auteur écrit des nouvelles et qu’elle est canadienne. Et que c’est une femme, aussi, j’oubliais. Comme si c’était l’essence de son œuvre – que je ne connais pas, et encore moins après ces précisions. Bref. Mais il n’y a pas que le Nobel : la littérature, il faut toujours qu’on la ramène à autre chose qu’à elle-même.
representation-de-la-litterature.JPG

mercredi 16 octobre 2013

ses yeux tournés vers l’intérieur


[…] En effet, il arrive quelquefois que le liquide propre et homogène du crâne, la cervelle sollasi (comme nous l’appellerions) s’altère. J’ai pu voir moi-même de ces substances corrompues et moisies que j’appelle des composés organiques recouvrir le sol propre en de nombreux endroits. Ces substances périmées, toxiques, peuvent pénétrer dans la tête des Sollasis et empoisonner leur organe de la réflexion. Dans de tels cas un épais dépôt visqueux précipite sur la paroi dorée du crâne, il trouble la pureté de la lentille de l’œil, les rayons extérieurs ne sont plus en mesure de pénétrer le cerveau mais, se réfractant dans ce dépôt translucide, ils altèrent la vraie image des choses, ils créent de fausses notions. Un Sollasi souffrant ainsi peut être identifié par ses yeux alors tournés vers l’intérieur ; ses paroles perturbées et fiévreuses prouvent qu’il voit son propre cerveau à la place du monde qu’il devrait voir, et il parle de son cerveau, de cet instrument simple et insignifiant qui ne vaut quelque chose que par son emploi, comme si celui-ci était lui-même un univers.
 
Frigyes Karinthy, Farémido, le cinquième voyage de Gulliver, Cambourakis, 2013, p. 48-49.
 
Paru en 2013 en France grâce aux éditions Cambourakis, c’est en 1916 qu’est paru en Hongrie cet addenda aux Voyages de Gulliver, sous la plume de Frigyes Karinthy ; à la fois tout à fait dans le ton de son illustre aîné et en même temps ancré dans le présent puisque c’est en pleine première guerre mondiale que Gulliver, revenu de son dernier voyage chez les Houyhnhnms et parfaitement inconscient d’avoir laissé passer plus de deux siècles (Karinthy oublie volontiers ce détail inintéressant avec une élégante désinvolture), se retrouve sur Farémido après avoir tenté une fuite inespérée en hydravion. Chez les Sollasis, habitants de Farémido dont le langage est musical, la vie est une maladie et les êtres vivants des germes pathogènes, susceptibles d’altérer passagèrement les mécaniques merveilleuses et quasi-éternelles que sont les Sollasis, comme on le voit dans le passage ci-dessus.
Si j’ai choisi ce passage, c’est sans doute à cause d’une sorte d’ironie du sort : Frigyes Karinthy (lequel est aussi, rappelons-le, le père de l’auteur du formidable Epépé qui ressort ces jours-ci chez Zulma) sera vingt ans plus tard, à l’occasion d’une tumeur au cerveau – pardonnez-moi ce ton léger que je lui emprunte – l’auteur d’un mémorable Voyage autour de mon crâne, ouvert comme un œuf à la coque parfaitement éveillé pour les besoins de l’opération.
(Et si j’ai choisi ce passage, c’est aussi parce que moi aussi j’ai souvent du mal à faire la différence entre ce que je vois à l’extérieur et ce que je vois à l’intérieur.)
Merci enfin à Didier da Silva, sans qui cette ironie du sort aurait pu m’échapper.
http://www.cambourakis.com/IMG/gif/Faremido-couv.gif

Commentaires

La saga Karinthy continue ! 
(Je te remercie de mon côté pour le discret teasing — même s'il est un peu tôt pour ça ? (moi, je n'ose pas encore (après tout, je viens tout juste d'achever la correction des épreuves...)))
Commentaire n°1 posté par Didier da le 17/10/2013 à 08h18
Ah mais je n'y suis pour rien si l'ironie du sort a frappé ce malheureux Frigyes et si c'est toi qui me l'as fait connaître. Moi je ne fais qu'écrire sous sa dictée, à l'ironie du sort.
Réponse de PhA le 17/10/2013 à 16h50
Ce style de livre m'est très familier. Merci pour le partage :)
Commentaire n°2 posté par Evénement Socrate de Paulin Ismard le 17/10/2013 à 10h13
http://www.eklablog.com/
c'est vous aussi ?
Commentaire n°3 posté par lopap le 17/10/2013 à 16h32
Je ne suis pas sûr de comprendre votre question mais je l'aime beaucoup.
Réponse de PhA le 17/10/2013 à 16h55

mardi 15 octobre 2013

Mon jeune grand-père (13)

Le 26 janvier 1917 - Mes chers parents (Cette fois « 1917 » n’a pas l’objet d’une surcharge. L’année nouvelle enfin s’impose.)
Les colis n’arrivent pas encore très bien, mais cependant j’en ai reçu quelques uns qui nous permettent d’attendre encore un peu. Ce sont les colis gare 13 et 14, les colis poste 24-25-27 et 1 pain du 28 déc. Les « colis gare », les « colis poste ». Il y avait donc des colis gare et des colis poste et ce n’était pas la même chose. Peut-être que si j’avais quelques notions d’histoire je comprendrais cette différence. Le chandail est enfin arrivé et va très bien. Le paquet 24 était avarié, les souris avaient mangé le papier, le chocolat avait disparu et la farine de marrons à peu près complètement aussi. La farine de marrons. Le peigne est très bien. Le peigne comme le chandail. Objets immédiatement utiles et durables qui pour cela deviennent un luxe. J’ai presque le peigne dans la main, oubliant que je n’en aurais aucun usage. Comme correspondance j’ai reçu les cartes de papa des 11 13 15, la lettre de maman du 14. Jusqu’ici je n’avais pas eu d’engelures ; mais depuis quelques jours j’en ai une au talon gauche qui me fait assez souffrir quand je mets mes bottines. J’attends les pantoufles pour pouvoir rester quelques jours sans me chausser. J’ai aussi reçu une gentille lettre de Madeleine qui m’envoie ses vœux de bonne année. Remerciez-la et embrassez-la pour moi ainsi que son petit frère (Jean, donc, si je me souviens bien) et son cher papa. J’ai reçu aussi une aimable carte de Mme Gillet qui m’envoie aussi ses vœux ainsi que ceux de sa famille. Elle se met à ma disposition pour m’envoyer des livres si j’en ai besoin. Présentez-lui mes remerciements et mes meilleures amitiés pour elle et toute sa famille. Les formules de politesse prennent de la place sur une carte où pourtant chaque centimètre carré est utilisé. La politesse est peut-être à l’écriture l’équivalent de la propreté ou du soin vestimentaire, une affaire de dignité. J’ai aussi reçu un mandat ici une surcharge illisible Thérèse la suite est sans doute un nom de famille mais je ne le lis pas mieux. Suit une autre surcharge qui doit être le mot aussi et qui précède une lettre suit sans doute. Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis et toute la famille. Votre fils mais je ne peux que deviner la suite serrée dans le coin droit en bas en de la carte. Les derniers mots toutefois sont son cœur.

lundi 14 octobre 2013

Un avenir pour le Pavé du Canal

Le Pavé du Canal, c'est la librairie de Montigny-le-Bretonneux, en plein centre de la ville nouvelle de Saint-Quentin en Yvelines, dont je relaie volontiers l'appel. (Cliquez pour lire.)
Apero-avenir.JPG

jeudi 10 octobre 2013

les genres que j’aime

La question du genre est à coup sûr passionnante mais la question du genre n’est sûrement pas le « c’est quel genre ? » si souvent entendu et qui précède d’un pas à peine le « moi j’aime bien j’aime pas [barrer la mention inutile] tel genre » comme si les genres étaient des genres de sac dans lequel on pouvait ranger d’un côté les qu’on aime et d’un autre les qu’on aime pas. Celui-là je vais l’aimer parce qu’il fait partie du genre que j’aime mais celui-là non parce que c’est un genre que j’aime pas. Ah tiens c’est des nouvelles j’aime bien les nouvelles. Voilà. D’abord. Parce que tout se définit d’abord par le genre. Dis-moi ton genre et je te dirai si je t’aime. C’est le genre qui fait le choix. Moi je vais peut-être lire ce bouquin-là parce que j’aime les romans qui racontent des grandes sagas familiales qui se passent très loin de chez nous genre à Haïti Miami ou Pontault-Combault (par contre celui-là on dirait de la poésie j’aime pas la poésie vous avez pas plutôt des histoires de vampires ?). (Remarquez j’aurais pu le prendre aussi pour ma femme parce que ma femme elle aime la poésie même si elle aime aussi les histoires de vampires c’est pour ça qu’elle m’a tout de suite plu et aussi parce que j’aime le genre grande brune avec un grand nez mais c’est dommage elle s’est barrée avec un type pourtant c’était pas du tout son genre alors tant pis pour le truc qu’on dirait de la poésie – comment ça c’est un roman ??? C’est un roman ça ???? J’ai jamais vu ça un roman comme ça !!!!!)
Non moi les genres j’ai toujours cru que c’était des trucs faits pour jouer avec. Pas des grands ou des petits sacs où ranger les livres mais juste des idées de livres qu’on n’écrirait jamais mais qu’on pourrait faire semblant d’écrire en faisant semblant d’en écrire un autre, ou alors entre lesquels on se faufilerait comme si c’était des trous où ne pas tomber. Des choses comme ça c’était, les genres que j’aime. Sinon non. Non. C’est vrai – à la fin.

mercredi 9 octobre 2013

C’est Albin qui se livre en papier.


vendredi ou les pieds dans le plat
Comme une fleur, zou, de l’arbre à l’escargot, du cafard à l’étoile, de l’état liquide à l’état gazeux, de la graine à l’âne et de l’âne au coq les Albin se succèdent et ne ressemblent à rien, pas un pour rappeler l’autre, celui-ci est plutôt engourdi.
Vendredi ? Samedi ? Ne sait plus trop quel jour il est. Par la porte entrouverte entend la voix, dans la cuisine.
… j’enfile mon tablier, je mets mes chaussons, je fais bouillir l'eau…
… demain j’emmène le petit au jardin botanique…
… le lundi j’attaque le jardin et mardi je vide les placards du haut…
Quand elle a circonscrit l’immédiat, Madame Marcel prend de l’avance, met tranquillement le futur dans sa poche en le conjuguant au présent, Albin lui envie sa virtuosité à faire corps.
Comment faites-vous pour vous projeter aussi facilement, Madame Marcel ?
Lui inapte au présent. Infichu de penser je ferai sans un spasme. Lui le passé le laisse désemparé.
Me projeter ? Je ne comprends pas. Que voulez-vous dire…
Albin se lève, tend craintivement le pied vers le couloir, revient sur ses pas. Trop lointain. Trop incertain. Retourne au bureau, prend son calepin, rapidement note, conjuguer au minimum/ dans le temps comme une goutte dans l’eau/ ou hors de l’eau, comment savoir.
 
Albin Bis, Albin, saison 1, cent épisodes, éditions Louise Bottu, 2013, p.117-118.
 
Vous vous rappelez ? C’était un blog, Albin journalier, que je ne suivais peut-être pas tout à fait journalièrement mais presque, et qui aujourd’hui donc est aussi un livre et ça me fait plaisir, parce que je me disais Ça quand même, ça ferait bien un livre (c’est écrit avec presque rien, trois figures qui sont à peine des personnages, un seul temps et guère plus de lieux et soudain c’est comme ce gars qui sur le coin d’une nappe en papier en trois coups de crayon vous fait dire Mais c’est moi !). Ça ferait bien un livre donc me disais-je et voilà que les éditions Louise Bottu me donnent raison, merci. Bien sûr comme je ne connaissais pas cette maison discrètement pingetienne, je vais voir où notre Albin a trouvé refuge et voici que je l’y vois attablé avec Jean-Louis Bailly, Antoine Bréa et Lucien Suel. La belle compagnie !
http://www.lefestin.net/sites/default/files/u232/Capture%20d%E2%80%99e%CC%81cran%202013-08-29%20a%CC%80%2014.05.35.png

Commentaires

C'est beau, la fidélité, cher Philippe Annocque.
Commentaire n°1 posté par L. Suel le 10/10/2013 à 06h56
Et ça rappelle que celui qu'on est est encore un peu celui qu'on a été.
Réponse de PhA le 10/10/2013 à 22h14
Ce livre avait été refusé par Albin Michel : Lucien Suel peut s'en féliciter à bon droit !
Commentaire n°2 posté par Dominique Hasselmann le 10/10/2013 à 08h36
C'est vous , Albin ? j'ai si souvent laissé des messages sur votre blog, autrefois... et un jour j'ai perdu vos coordonnées. Et voilà que par l'ami dominique je tombe sur l'incroyable : vos histoires très... spéciales ont fait livre. Grande joie ! Alors ces livres on les achète où ?
Commentaire n°3 posté par christiane le 11/10/2013 à 23h46
Ah non, Christiane ; même si parfois j'en aurais volontiers l'impression je ne crois pas que je sois Albin, et j'ajouterai que je ne sais pas non plus qui il est (mais cette question du qui est une vis sans fin). J'ai suivi longtemps et avec beaucoup d'intérêt Albin journalier, dont l'auteur visitait aussi parfois ces Hublots. Et quand j'ai appris la parution de ce livre ; grande joie partagée et hop, je l'ai commandé en librairie.
Réponse de PhA le 12/10/2013 à 11h08
Merci, mille fois ! Oui, c'était Albin journalier... vous n'êtes pas mal non plus ! je vais découvrir votre blog.
Commentaire n°4 posté par christiane le 12/10/2013 à 12h03
Bienvenue donc !
Réponse de PhA le 17/10/2013 à 16h43

vendredi 4 octobre 2013

lire pour se faire une opinion, suite sur un extrait de naissance


On n’est pas à une contradiction près. Hier, entre diverses rencontres bien intéressantes, j’ai profité de ce que j’étais en librairie pour ouvrir quelques livres que je ne lirai pas, pour savoir pourquoi je ne les lirai pas. Pour me faire mon opinion, quoi. La mienne à moi. Il y en avait un qui commençait comme ça :
 
« J’allais naître. Pour moi, l’enjeu était de taille. Si c’était à refaire, je naîtrais beaucoup moins – on naît toujours trop.
– Il surnaît ! s’était indigné mon père à ma sortie des viscères maternels.
On devrait arriver en silence, faire son entrée sur la pointe des pieds. Se faire oublier d’avance. On n’est jamais  si  prétentieux qu’en naissant. Il n’y a pourtant pas de quoi […] »
 
Et puis là, je me suis arrêté, mon opinion faite. Pour ce qu’elle vaut, comme je disais avant-hier, je ne vais pas lui consacrer plus de temps.
Que s’est-il passé dans mon esprit pendant que je lisais ces lignes ? Bien sûr, dès le départ, j’avais un a priori très négatif sur l’auteur ; sans évidemment l’avoir lu car le meilleur moyen d’avoir des a priori est encore de ne pas lire. Je crois quand même que j’étais tombé il y a longtemps sur une critique de la Littérature sans estomac de Pierre Jourde, ah oui ça doit faire plus de dix ans, je crois bien que c’était dans Elle ; c’était très « C’est toi qui l’as dit c’est toi qui l’es ». Une certaine fraîcheur, quoi. Rafraîchi en effet, j’oublie l’auteur et voilà qu’il y a quelques semaines, je n’étais pas couché et allumant la télé je tombe sur lui qui parlait de son dernier roman. Il avait l’air heureux comme s’il avait inventé la littérature, alors qu’en réalité c’est moi. (Je résume pour faire plus simple, hein.) Du coup hier, soucieux de laisser quand même une chance à cet auteur mal informé mais sans doute sincère, j’entreprends de lire ses premières lignes. (En général, les premières lignes, on les soigne. Ça n’est pas une règle absolue, bien sûr – mais ça l’est quand on vise un prix d’automne.)
Je lis donc la première phrase. Ça va, elle est courte. Et puis, je me dis, pourquoi pas. Je lis la deuxième, qui enfonce un peu le clou, certes ; mais jusque là honnêtement, il n’y a rien d’irrémédiable. Honnêtement, je pourrais lire un livre qui commence par ces deux phrases. Bien sûr l’épaisseur de celui-ci n’est pas un argument très favorable, mais enfin. Il y a des avis très élogieux, sur ce livre. Cherchez, vous trouverez. A en lire certains, il s’agit ni plus ni moins que d’un miracle.
Je lis donc la troisième phrase (« Si c’était… »). Là, malaise. Je suis gêné pour lui. Il fait de l’esprit. Il essaie. Je suis tellement gêné que ça me le rend sympathique, d’un coup. Je n’ai plus aucun a priori. Je lui prendrais bien la main, gentiment, pour lui faire comprendre, avec délicatesse, que cette phrase n’est peut-être pas nécessaire. Pourquoi tant de tendresse ? C’est que, je m’en rends compte d’un coup, c’est tout à fait le genre de celles qui émaillaient mes propres romans, quand j’avais quinze ou seize ans, cet âge où en effet on ne doute de rien.
Cela dit ce n’est jamais qu’une phrase. Des repentirs sur une phrase, quel écrivain n’en a pas. Lisons la suivante. Oh ! un néologisme. J’aime bien les néologismes. Bien sûr il faut que ce soit bien trouvé. « Il surnaît. » J’ai des doutes. Mais bon, ce n’est pas de sa faute : c’est le père du narrateur qui parle. Et puis comme ça l’auteur est en train de nous construire un champ lexical de l’excès, on avait déjà « de taille », « beaucoup » et « trop », c’est l’occasion de nous le faire comprendre au cas où la chose nous aurait échappé : comme on le chantait jadis de Stéphane Collaro, ce mec est trop. C’est pourquoi aussi son bouquin est trop gros : tout se tient.
Mais je vais quand même lui laisser encore une chance : après tout il sait accorder « viscères ». Allez, encore une ligne, une autre, une autre encore… Bon. Ça ira comme ça. Je me suis fait mon opinion à moi qu’elle m’est propre.
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mercredi 2 octobre 2013

lire un livre pour se faire son opinion


Il y a toutes sortes de bonnes raisons pour lire un livre, pas vrai ? Ce n’est pas vous qui allez me dire le contraire, sinon vous ne liriez pas ce blog (j’imagine). Parmi ces raisons, il y en a une que je vois souvent invoquée, et formulée à peu près de la sorte : je vais le lire pour me faire mon opinion. Parfois on précise même : pour me faire ma propre opinion. La mienne à moi, quoi.
Les opinions, c’est vrai, c’est important. La preuve : parfois, on les sonde. Quand on va voter, par exemple, avoir une opinion, ça sert. Si on n’en a pas, on s’informe, pour se la faire, son opinion. C’est même un devoir citoyen, qu’on appelle ça. J’y souscris.
En revanche, j’ai un peu de mal à comprendre l’utilité de se faire son opinion sur un livre. Non que je n’en ai pas après lecture, bien sûr, on n’y échappe pas ; mais mon opinion de lecteur n’est jamais que la conséquence de cette lecture, elle n’est en rien sa motivation. D’ailleurs, je dois l’avouer, il arrive parfois que mon opinion soit flottante même après ma lecture. Mais franchement, peu importe. Qu’est-ce que je vais en faire, de mon opinion ? Quelle valeur a-t-elle ? (Financièrement parlant, je connais la réponse, merci.)
Non, moi, si je lis un livre, c’est pour me faire plaisir à moi. C’est moi d’abord, quoi. Après, s’il se trouve que j’ai une opinion, je veux bien la donner ; la littérature, on peut aussi en parler. Mais franchement, je n’en ferai jamais la raison principale de ma lecture. Parce que ça signifierait que je m’oblige à lire certains livres dont – peut-être à tort, certes – je n’ai aucune envie. Il y en a déjà tellement qui me font envie et que je ne pourrai jamais lire, que non merci, quoi.
Et puis lire un livre pour se faire son opinion et savoir en final exactement les raisons pour lesquelles on ne l’aime pas, ce bouquin (et que souvent on soupçonnait déjà avant), c’est aussi suivre ce courant majoritaire, toujours plus fort en cette saison entre rentrée littéraire et prix littéraires, tous ces événements littéraires qui sont censés nous dire quoi lire pour être bien dans le coup littéraire. A vouloir ne pas être dupe de la dernière daube à succès sur laquelle on aura gagné au prix de l’ennui le droit de cracher, on se retrouve quand même dans le troupeau, plus rebêle que rebelle.

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