dimanche 30 mars 2014

les paysages de Derek Munn


A n’avoir devant soi qu’un paysage ordinaire on ne remarquerait rien mais Derek Munn si. Ce recueil de nouvelles tout récemment paru aux non moins récentes éditions Christophe Lucquin nous fait traverser des maisons pas tout à fait finies déjà presque abandonnées, mais aussi des musées, des prés, des chantiers, d’autres maisons encore, des trottoirs, un théâtre, des sièges d’entreprise, des endroits ordinaires où quelque chose se passe qu’on ne verrait pas, des lieux parfois qui ne disent pas même leur nom. On les regarde à peine, sans doute les traverse-t-on tous les jours ; ce qui s’y passe ne peut être que le quotidien le plus banal et le voilà qui pourtant relève soudain de la pure tragédie. Mais cela reste une tragédie quasi invisible, discrète, qui n’embête personne, ou à peine. D’ailleurs parfois elle n’est pas vraiment triste, elle a même ses moments de grâce mais il faut savoir les voir : une trace de peinture rouge sur un petit débris en plâtre qu’éclaire la lumière du soir et qu’on glisse dans la poche avant de quitter le chantier, ou la trace de rouge à lèvres sur un sandwich abandonné qui évitera d’avoir trop faim ce soir-là. Le genre veut que souvent la nouvelle se close sur une chute. Il n’y a pas assez à raconter dans tous ces paysages ordinaires pour se livrer vraiment à cet exercice trop attendu ; alors Derek Munn, plutôt qu’une chute, nous désigne un vide et d’un discret coup de coude nous pousse dedans : ce vide, c’est l’histoire qui n’a pas été racontée et dont on découvre d’un coup qu’on vient de la vivre.
http://www.christophelucquinediteur.fr/wp-content/uploads/2013/09/couv_un-paysage-ordinaire_300.jpg

Commentaires

Je suis en train de le lire.
Commentaire n°1 posté par Anna de Sandre le 18/04/2014 à 20h31
Tu ne seras pas déçue. (Je ne sais plus si je dis tu ou vous alors on va dire tu, hein ?)
Réponse de PhA le 18/04/2014 à 20h34
Tu as raison, je ne suis pas déçue.
Commentaire n°2 posté par AdS le 18/04/2014 à 22h34
Je le savais.
Réponse de PhA le 22/04/2014 à 16h37

samedi 29 mars 2014

Mon jeune grand-père (31)

  Le 18 avril 1917. Mes chers parents. Cette carte est particulièrement facile à lire. Elle n’a guère jauni et le crayon à papier était bien taillé. L’écriture elle-même est peut-être moins serrée. Elle donne l’impression qu’Edmond a le temps d’écrire. Pourtant Edmond a toujours le temps d’écrire.
  Je n’ai reçu comme courrier ces quatre derniers jours que les cartes de Papa des 30 mars et  2 avril. Je suis content de savoir que Louis est enfin arrivé et qu’il a fait un gon voyage. Je te l’avais dit, de ne pas t’en faire. Je comprends que l’arrivée d’un jeune chien dans la maison ne vous enchante pas beaucoup. Les colis Edmond n’en dira pas plus. Je crois deviner que c’est Louis qui ramené ce jeune chien à la maison, et que les parents doivent trouver qu’ils n’avaient pas besoin de ça, que c’est une drôle d’idée. Ils doivent déjà avoir un chien, Bibi, à moins que ce ne soit un chat, et Louis après sa permission – il est sans doute en permission, puisqu’il est un peu plus âgé qu’Edmond – le laissera à ses parents. A sa mère, surtout, puisque le père doit vaquer à ses responsabilités militaires. Edmond, lui, n’aurait pas fait ça. Il comprend ses parents à demi-mots. Louis est différent. J’imagine, bien sûr. Au fond je n’en sais pas grand-chose. Les colis gare marchent très bien en ce moment ; ils sont même plutôt en avance ; il n’en est pas de même des colis poste qui eux sont très en retard. J’ai reçu les 15 et 16 gare en bon état et 2 postaux les n°s 13 et  17. D. reçoit aussi bien ses colis (« aussi » a été rajouté) en ce moment ce qui fait que nous sommes bien approvisionnés pour le moment. Toujours ce « moment » qui se répète. Rien n’est vrai au-delà du moment. Nous avons même une petite advance (c’est bien « advance », à l’anglaise, qui est écrit ; je ne sais pas si c’est une coquille ou une coquetterie, voire un mot d’époque), ce qui est intéressant, car on ne sait jamais si le service des colis sera toujours aussi régulier. Je viens de terminer la glace pour ma chère sœur, J’ai beau m’y attendre, à chaque fois je me sens comme frappé par cette irruption du présent dans le passé. Edmond ne la décrit pas davantage, mais je peux préciser – c’est ça : je peux préciser – que cette glace a un manche, je ne m’y connais pas, elle est en bois bien sûr, le miroir est ovale, le temps ou le vernis a patiné le bois au point que j’ai toujours un peu de mal à croire que les motifs qui ornent le manche et l’envers ont été creusés par les gouges de mon jeune grand-père., et j’ai commencé le service à fumeurs pour Louis. Ça me parle moins. Je ne sais pas bien ce qu’est un service à fumeur, avec ou sans s. J’imagine que c’est le petit présentoir où mon père range ses crayons et ses stylos. Je crois que je vais pouvoir vous faire bientôt (« vous » surcharge un « bien » qui était sûrement le début de « bientôt ») un envoi. Le temps est assez beau en ce moment quoiqu’il fasse encore un peu frais et qu’on ait par moment de fortes ondées ; mais enfin on peut se promener dans le parc et c’est le principal. Nous avons mangé ces jours-ci la première boîte de beefsteak, elle était très bonne et la viande était très tendre. Les pommes de terre sont très bonnes et nous permettent de faire des ragoûts. Mon associé m’en fait d’excellents ; c’est un vrai cordon bleu. Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort tous les deux, ainsi que Geneviève et Louis, Madeleine et  Jean et toute la famille. Votre fils qui vous aime de tout son cœur.
Edmond

vendredi 28 mars 2014

Oui-Merci


Oui-Merci se dé-robe et s’avance nue dans l’épaisseur de l’obscur.
Elle traîne comme une peau ses vêtements derrière elle.
Parvenue au seuil de sa chambre, elle respire enfin, s’engouffre et referme silencieusement la porte.
Son ours démembré est là pour l’accueillir, et sa poupée sans tête. Elle gagne le coin de sa chambre où trône la tête de porcelaine. Elle se souvient lorsque son père lui avait offert cette poupée si fragile, et ses sanglots incontrôlables qui couvraient la colère de sa mère la voyant ainsi pleurer alors qu’on lui faisait un cadeau. Seule la Nonna avait compris. C’était avant qu’on ne l’enferme dans cette maison pleine de cellules, pleine d’ombres froissées et immobiles dans leurs chambres dans les couloirs, dans le jardin.
Elle lui avait glissé dans l’oreille, à l’abri de sa fille : « Si la tête est trop fragile, enlève-la, pose-la de côté. Et joue avec le corps, le corps est bien suffisant pour jouer. »
 
Perrine Le Querrec, Coups de ciseaux, Les Carnets du Dessert de Lune, 2007, p. 19.
 
Parfois les enfants ont des amis imaginaires. Oui-Merci en a une qui lui ressemble, démembrée et sans parole. Oui-Merci, elle, a des membres mais ses jambes sont trop courtes ; elle saurait parler aussi mais ne sait qu’acquiescer poliment aux remontrances de sa mère, qui lui reproche de n’être pas ce qu’elle attendait. Mais Oui-Merci a aussi deux amies pas tout à fait imaginaires, plutôt pleines d’imagination : Perrine Le Querrec qui sait faire parler même le Plancher de Jeannot, rappelez-vous, et Stéphanie Buttay dont je découvre le très beau travail graphique.
Coups-de-ciseaux-Le-Querrec-Buttay.JPG 
Cliquez donc pour voir comme c’est beau.

jeudi 27 mars 2014

leçon du jour


Les jours sont pourtant des célébrités. Aujourd’hui, par exemple, nous sommes le jeudi 27 mars 2014. Tout le monde est plus ou moins au courant. Sans même avoir besoin de le traduire, on lui rend hommage dans plusieurs milliers de langues différentes. Plus tard, il fera date – notamment sur des pierres tombales où son nom fera mine de résister aux intempéries.
Pourtant, il n’en rajoute pas, le jeudi 27 mars 2014 ; il fait son modeste, comme si de rien n’était. C’est à peine si on le remarque. Il a bien compris qu’il n’était qu’une vue de l’esprit.
http://peripeties-infirmiere.com/wp-content/uploads/2013/01/%C3%A9l%C3%A8ve-peripeties-infirmiere.jpg

lundi 24 mars 2014

Mon jeune grand-père (30)

Le 14 avril 1917. Mes chers parents. 14. Donc celle-ci c’est bien 1917.
J’ai reçu pas mal de courrier ces quatre jours-ci. Ce sont les cartes de Papa des 23 24 26, 27 28. 29. 31 et la lettre de maman du 1er avril. Comme colis j’ai reçu les paquets postes n° 11. 15. 16 et les colis gare n° 12. 13. 14. Tout est arrivé en bon état. Je confirme ce que je vous ait dit ma précédente carte (« dans » manque) au sujet de paquets poste, j’aimerais mieux en recevoir mieux si cela ne vous dérange pas car on perd un temps énorme à la distribution. C’est en effet ce que disait Edmond dans sa carte du 10. Je me dis qu’il y a peu de chances que ses parents l’aient déjà reçue. Nous sommes à court de thé en ce moment et on n’en vend plus ici, envoyez-moi une certaine quantité pour en avoir un peu d’avance (« un peu » rature d’autres mots illisibles). Voulez-vous me mettre aussi quelques lames Gillette pour mon rasoir. Des lames Gillette, je vais en manquer bientôt. Mon jeune grand-père se rasait déjà avec la même marque de lames que son jeune petit-fils – car il y a bien longtemps qu’au lieu de me raser Gillette je me tonds à la Remington. La Remington. Mais c’est une autre histoire. Le gris Deverly a de la chance. Je ne suis pas sûr de bien lire. A moins que ce ne soit Le gros Deverly a de la chance. Mais « Deverly », ça ne me dit rien. Je ne vois ce que viendrait faire Beverly dans ce contexte mais de toute façon ça ressemble plutôt à Deverly. Bon. Lisons donc Le gros Deverly a de la chance, il est vrai qu’il a bien le droit de se reposer un peu. Présentez-lui aussi mes amitiés. Cette pauvre tante sera en effet mieux là-bas, d’autant plus que ce doit être plus calme maintenant et puis ce n’est peut-être pas pour longtemps. Quelle tante ? Où ? Pourquoi ? Les (je n’arrive pas à lire ; je lis « cables », ça ne peut pas être ça) ne sont pas trop rassis quand ils arrivent, ils sont encore très bons. Maman fait bien d’augmenter les œufs : ils arrivent toujours en bon état et c’est certainement ce qu’il y a de plus agréable à manger. Ici le temps est assez beau maintenant, il paraît qu’il n’en est malheureusement pas de même chez vous. Chez vous. Je crois qu’Edmond est parti à la guerre avant que mon arrière-grand-père ne soit nommé à Quimper. Alors, « chez vous », d’accord. Je suis depuis quelques jours en relation avec un Russe à qui j’apprends le français et avec qui en échange je parle allemand. J’espère que Louis sera enfin arrivé et qu’il aura fait un bon voyage. Ne t’inquiète pas pour Louis, allez.
Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis, Madeleine,  Jean et toute la famille.
Votre fils qui vous aime de tout son cœur. Edmond

dimanche 23 mars 2014

salon des livres


Le Salon du Livre, c’est quand même bien. On a le plaisir de retrouver des personnes qu’on n’a pas souvent l’occasion de voir, et celui d’en rencontrer qu’on ne connaissait que virtuellement, comme on dit aujourd’hui. Ça fait plaisir. On dédicace quelques livres, pas mal même tout compte fait même si on n’a pas fait les comptes, c’est l’occasion de rager et de s’amuser de son ignoble écriture, ça rappelle les petites classes, très bien partout sauf en écriture.
Non, le problème, c’est que ça a beau être le Salon DU Livre, figurez-vous qu’il y en a plusieurs. Et ça, quand même, quand on pense à tous ceux qu’on a laissés, parce que de toutes manières on en a déjà des centaines qui attendent à la maison, ça nous rappelle que les soixante-dix années qui nous restent à vivre ne suffiront peut-être pas. Salaud de salon, va.
 

jeudi 20 mars 2014

Je n’ai jamais entendu parler d’Etienne de Montety…


… donc son avis ne vaut rien.
Cet illustre inconnu s’indigne dans les dignes pages du Figaro de la présence dans l’Anthologie de la littérature contemporaine française, de Dominique Viart (que, tiens, je citais récemment à propos de, ou plutôt Pour Eric Chevillard) de son illustre inconnue à lui, Marie Cosnay. C’est écrit en gros et gras, avec une belle élégance, au milieu de l’article :

Un nom nous est apparu, parfaitement inconnu.

Comme ça, carrément. Marie Cosnay, si vous ne la connaissez pas, vous pouvez déjà jeter un œil dans en bas à droite de ces Hublots, il y a toute une liste alphabétique d’auteurs, vous trouverez facilement, il y a quand même quelques entrées qui la concernent. Allez-y, c’est beau.
Mais Etienne de Montety, dont je n’ai jamais entendu parler, n’a jamais entendu parler de Marie Cosnay, donc selon lui ça ne vaut pas la peine qu’on en parle. C’est le syndrome Patrick Besson, quoi. Patrick Besson, vous vous souvenez ? Ce type qui brandit son ignorance en guise d’argument, sûr d’avoir tous les ignorants pour lui – ce qui, stratégiquement, est plutôt intelligent, il faut le lui reconnaître.
D’ailleurs tiens, regardez mieux, notre indigné s’indigne aussi de l’absence dudit Patrick Besson. Avouez que c’est drôle.
 

lundi 17 mars 2014

les trois premières lettres de Liscorno

Les trois premières lettres de Liscorno sont les mêmes que celles du verbe lire à telle ou telle forme conjuguée, et pourtant Liscorno est le nom d’un lieu. C’est aussi le titre du livre de Jacques Josse qui vient de paraître aux éditions Apogée, comme Terminus Rennes avant lui, rappelez-vous. Comme Terminus Rennes mais avant Terminus Rennes, puisque Liscorno est le nom du village où Jacques Josse a grandi – bien avant Rennes où il vit.
Liscorno est donc l’évocation d’un lieu mais aussi celle d’un temps, une tranche de vie essentielle, de la petite enfance lors de l’emménagement de la famille jusqu’au départ du jeune adulte, vers sa propre vie. Et c’est aussi la vie d’un lecteur, un lecteur en formation : le Bildungsroman du lecteur. Le souvenir du lieu
« Dans le lointain se dessinait un semblant de montagne légèrement bleuté et rabotée. C’était le Menez Bré. Il rehaussait d’un cran la ligne d’horizon. Que j’observerais mieux plus tard, perché sur une chaise, devant la lucarne grande ouverte, dans la mansarde qui allait peu à peu se muer en invisible (et minuscule) port d’attache… »
se double du souvenir de ce qui s’y est lu
« La nuit où Tristan Corbière s’est invité dans la mansarde à Liscorno pour ne plus vraiment en ressortir est bien cochée dans ma mémoire. Je dois au poète contumace, au crapaud qui chante, à celui qui savait plus que quiconque ce que rogner (et rognures) voulait dire en poésie, la première lecture qui m'a physiquement bousculé. »
comme si vivre et lire était une seule et même chose. Et c’est véritablement ce qui ressort de la lecture de Liscorno : on passe insensiblement de la lecture à la vie, de la vie à la lecture sur la durée qui feront du petit garçon un jeune homme, et l’on voit se former un regard sur le monde et sur les hommes qui est aussi celui d’un lecteur : les silhouettes des personnes dessinées par Jacques Josse (dont certaines évoquent parfois les personnages de Cloués au port) sont à mettre sur le même plan que les auteurs qu’il lit, ils sont porteurs des mêmes histoires et le monde est un vaste livre mouillé par un océan, l’Atlantique, parce qu’il borde et la Bretagne de Jacques et l’Amérique, où naquirent beaucoup (mais pas tous) des auteurs qui ont nourri sa jeunesse.

Commentaires

Merci de votre vigilance et du partage.
Je m'étais dit que je ne laisserais plus de commentaires sur Hublots tant que je n'aurais pas lu tous vos livres. Et puis voilà, venir ici c'est aussi vous lire et ce n'est que du bonheur. Alors je laisse la vie se vivre et se lire...
Commentaire n°1 posté par Michèle P le 17/03/2014 à 17h45
Pensez-vous ! On n'est pas obligé de tout lire et on a bien le droit d'écrire.
Réponse de PhA le 19/03/2014 à 19h11
J'aime beaucoup cet écrivain, et s'il a l'âme bretonne ce n'est pas un écrivain régional; son talent dépasse largement les frontières de ses origines. Et ce n'est pas Mona Ozouf qui démentirait.
"comme si vivre et lire était une seule et même chose". C'est bien de cela qu'il s'agit.
Commentaire n°2 posté par Ambre le 17/03/2014 à 22h23
Je suis bien d'accord, à la fois sur son âme bretonne et sur son talent qui dépasse les frontières de ses origines, et vous le dites si bien que je me contenterai de faire le perroquet.
Réponse de PhA le 19/03/2014 à 19h14
"Rien" reçu. Ravie!
Lisant "Cannibale Lecteur", je décide d'acheter "Mes prix littéraires". La libraire me demande : en un mot ou en deux? Je suis encore ravie. Le titre allemand ne permet pas le jeu de mots.
Commentaire n°3 posté par Michèle le 19/03/2014 à 12h17
Rien reçu ? Excellente nouvelle !
Réponse de PhA le 19/03/2014 à 19h

dimanche 16 mars 2014

dernières recommandations

Songez bien, avant de prendre un bain dans votre maison de poupée, que le coefficient de viscosité de l’eau augmente proportionnellement à la réduction de votre personne : vous risquez fort de flotter à la surface de la baignoire.

samedi 15 mars 2014

Onfray mieux de changer de théorie


En faisant l’autre jour mon rapprochement entre littérature et politique j’avais été tout naturellement amené à la question du sujet, et notamment du mauvais sujet. Pour mémoire : celui qui ne s’impose pas mais qu’on impose artificiellement parce qu’on cherche à en retirer un bénéfice personnel. Certains écrivains comme certains politiques s’y entendent. La théorie du genre en est un bel exemple, il y a même des politiciens qui en profitent pour chercher des poux dans la littérature jeunesse, grand bien leur fasse. Du coup le mauvais sujet qui ne s’imposait pas (personne n’en aurait jamais entendu parler et tout le monde s’en fout) finit par s’imposer. Des intellectuels s’en mêlent : Michel Onfray. Il consacre à ce sujet un article édifiant sur son site. Du coup le sujet s’impose encore un peu plus. Ce qu’il raconte est peut-être exact (je n’irai pas vérifier puisqu’au fond je m’en fous) et il le termine joliment, on sent les trémolos, par ces mots : « Un jour viendra où l’on fera le compte des ravages effectués par cette sidérante idéologie post-moderne. Quand ? Et après quels considérables dommages ? »
Ohlala. Ça rigole plus. Du coup j’ai un peu honte de m’en foutre. Ça la fiche mal. Je n’arrive même plus à m’en fiche, ni même à m’en moquer gentiment. La situation est grave. Il va se passer des choses terribles, qui concernent nos enfants, et moi aussi, puisque j’en ai. Sans parler de mes élèves. Que va-t-il leur arriver ? Michel Onfray ne nous le dit pas, il préfère s’arrêter là et faire résonner son silence terrible. De toutes façons on a compris : on va obliger nos petits garçons à devenir des petites filles et nos petites filles à devenir des petits garçons. Rien de moins. Je n’irai pas le raconter à mes élèves, ça les ferait bien rire et comme je n’ai pas besoin de la théorie du genre pour les faire rire, nous continuerons notre étude de l’Odyssée.
Mais pourquoi ce billet, alors, sur un aussi mauvais sujet, me direz-vous ? C’est justement parce que des jeunes gens, des collégiens, j’en côtoie tous les jours. Et qu’il m’arrive aussi de constater des évolutions que je trouve inquiétantes, figurez-vous, notamment concernant l’inscription de chacun dans son sexe (ne comptez pas sur moi pour dire « genre », cet anglicisme est insupportable). Du coup me voilà amené à jouer aussi mon père la morale, car j’en ai une, tiens donc, et défendre des idées d’un autre temps. Ce qui m’inquiète, moi, bien plus que la théorie du genre, c’est par exemple le nombre de fillettes qui se maquillent dès la 6e pour venir au collège, et qu’on voit parfois (même si les parents ne les voient pas forcément) embrasser avec une voracité quasi spéléologique des partenaires certes à peine plus âgés. Ou ce sont des garçons d’une dizaine d’années dont les plaisanteries laissent entendre qu’ils ont vu bien plus qu’ils n’en auraient dû voir (je n'ose dire faire). Quand on regarde l’offre commerciale destinée aux jeunes, on ne peut pas ne pas se rendre compte à quel point elle insiste lourdement sur l’inscription dans le sexe. Les fillettes deviennent des femmes miniatures, je ne vais pas insister avec les concours de mini-miss et toute cette sorte de choses. Bref, s’il y a une quelque chose d’inquiétant, c’est plutôt cette hyper-sexualisation de plus en plus précoce que la prétendue théorie du genre. Et maintenant à cause d’Onfray je vais passer pour un vieux barbon.
 
http://www.miss-mini.fr/wp-content/gallery/mini-miss/mini-miss-girl.jpg

vendredi 14 mars 2014

vitesse de libération


Délibérément méta-littéraire, l’œuvre de Chevillard n’entend pas construire son propre discours d’accompagnement, pas plus qu’elle ne cherche à invalider les formes littéraires reçues : son intention tient plus d’une volonté d’affranchissement. Ce qu’en physique on nomme la « vitesse de libération » : jusqu’où lui faut-il accélérer le rythme de ses inventions pour s’arracher à l’attraction topique, au déjà-dit, aux lieux communs les mieux partagés ?
 
Dominique Viart, « Littérature spéculative », Pour Eric Chevillard, Collectif, Minuit, 2014, p. 71
 
Et si commenter l’œuvre d’Eric Chevillard, ce n’était rien d’autre que de parler de littérature ?



 

dimanche 9 mars 2014

Mon jeune grand-père (29)

Avant même de la lire cette carte-ci m’arrête par son aspect : l’écriture est encore bien plus serrée que d’habitude – et pourtant elle est toujours très serrée. Je sais pourtant combien il y a peu à dire.
   Le 21 avril 1916 – Ma chère Maman. C’est d’abord l’adresse inhabituelle qui me retient, au lieu de l’habituel « mes chers parents » (mais il y a eu aussi des « mon cher papa », je m’en souviens maintenant) puis je remarque la date. 1916 ? Une simple erreur de chiffre ou bien est-ce vraiment une carte d’avril 1916 qui s’est retrouvée classée par erreur avec celles d’avril 1917 ?
Je suis bien heureux que tu reçoives à peu près régulièrement mes lettres. Cependant il me semble que tu n’as pas reçu celle du 6. C’est dans celle-là que je demandais de réclamer au beau-père de Beauger (je ne suis pas sûr de bien lire) les plaques d’identité pour le poignet que Daussy et moi nous avions commandées à Beauger avant d’être pris. Cette carte est évidemment plus ancienne, elle est vraiment de 1916. Je n’étais même pas sûr qu’Edmond connaissait Daussy avant sa captivité. Bien sûr le mot « pris » m’arrête. Il y a longtemps que je sais qu’il a été pris, mais j’ai l’impression que je ne l’avais pas lu. Ce mot, « pris », me fait quelque chose. Je reçois aussi toutes vos lettres mais elles n’arrivent pas dans un ordre régulier. Le 17 j’ai reçu les cartes de papa des 7, 8 et 10, le 18 la lettre du 6 et ce matin seulement la lettre de papa du 9. Comme colis j’ai reçu le n°4 le 17 les œufs étaient encore complètement pourris et tout abîmés le chocolat les nouveaux biscuits sont très bons. Comme conserve la langue est très bonne. Comme paquets le 17 le n°29 le 18 celui de (je n’arrive pas à lire, c’est trop serré contre le bord) J’ai fait faire plusieurs photos et j’en enverrai comme réponse à tous ceux qui m’écriront. J’en ai déjà envoyé à ma Tante et à Lucie. Je vous envoie aujourd’hui la 2me. Quand j’aurai reçu ma tenue je me ferai faire seul. Quand je vous ai demandé des photos ce n’était pas seulement des vôtres que je désirais mais encore de toute la famille. Madeleine et Louis Lucie et Louise mes tantes. Comme alcool solidifié, envoie-moi une grande boîte comme la dernière « Alcool solidifié » ? Comment recopier ça à l’ordinateur sans demander à Internet de quoi il s’agit ?
(Ces sauts de ligne juste pour marquer la pause, Evidemment Edmond ne va pas à la ligne.)
Ah évidemment. C’est pour le réchaud, pour la cuisine. Tous les mois Madame Beauger a répondu au Commandant et hier donné des nouvelles des officiers du Bataillon qui ne sont pas avec nous. Il paraît qu’il y en a un qui a pu rentrer sain et sauf. Quel veinard ! Peut-être. Il a quand même dû avoir d’autres occasions de mourir après son retour. Je me dis souvent en  recopiant ces lettres que la vie de mon père (et la mienne) doit peut-être quelque chose à ces deux années de captivité. Le temps qui avait été très beau pendant quelques jours est maintenant très mauvais il pleut et même il fait froid. Je suis bien content que vous vous occupiez des bouquins, car je ne sais quoi faire, je peux bien me procurer des bouquins à lire, mais je voudrais quelque chose de plus sérieux. Ce sont sans doute des livres pour étudier qu’Edmond attend, ceux grâce auxquels il étudie dans les lettres précédentes. Je pense bien souvent à toi ma chère maman ainsi qu’à papa. Quelle joie quand nous serons réunis ! J’espère que ce sera bientôt, je prie pour cela. Cette semaine nous avons eu une représentation artistique franco-russe. C’était très gentil, cela a fait passer agréablement une soirée. Une soirée. Je suis tombé dans une bonne chambre on y est assez gai, on y fait beaucoup de plaisanteries et on dit de bons mots. Rappelle-toi la grande illusion. Je te quitte ma chère maman en t’embrassant bien fort ainsi que mon cher papa et toute la famille. Mon bon souvenir à tous les amis et une caresse au petit Bibi. Ton fils qui t’aime de tout son cœur. Edmond Tout est tellement serré que « tout son cœur. Edmond » est écrit en tout petit sous la dernière ligne.

vendredi 7 mars 2014

littérature et politique, deux ou trois trucs

Disons, pour faire court, que la politique dans la littérature ne m’intéresse pas. Pour autant, quand je m’interroge sur les difficultés que rencontrent l’une et l’autre dans notre beau pays, je ne suis pas loin de me dire que dans les deux cas elles ont trait à une crise de la représentation. Quelle représentation avons-nous de la politique / de la littérature aujourd’hui ? Et accessoirement, qui représente l’une et l’autre ? Ou plutôt : jusqu’à quel point faut-il qu’elles soient représentées par des noms propres ?
Vite fait, la question du sujet aussi croise les deux domaines. Le sujet, bon ou mauvais. On dit un peu vite qu’il n’y a pas de mauvais sujet en littérature. Je préférerais dire qu’il n’y en a pas a priori. A priori, tout est bon à la littérature. Sauf quand le sujet est choisi – choisi parce que l’on devine qu’il déterminera du coup le choix du lecteur. Ce sujet-là est mauvais. Le sujet n’est bon que lorsqu’il s’est imposé à l’auteur avec la force de l’évidence. De la même manière, il y a de mauvais sujets en politique. Des sujets artificiels, biaisés, faux, comme en littérature. Des sujets qu’on tente d’imposer à la place de ceux qui s’imposent. (En grammaire aussi on parle parfois de sujets apparents et de sujets réels. On ne devrait jamais oublier la grammaire.)
La politique peut quand même être un sujet pour la littérature, à l’évidence. (A l’évidence aussi : pas nécessairement bon.) La littérature ne devrait-elle pas être un sujet pour la politique ? Hors des livres c’est pourtant en politique que souvent il me semble voir la fiction à l’œuvre.

 

jeudi 6 mars 2014

à propos de lettres d’amour


lettres-d-amour.jpg
Il faut quand même que je vous dise que si je m’y connais un peu en lettres d’amour, c’est que j’en ai plein à la maison. C’est Pascale Petit qui a imaginé celles que vous voyez ci-dessus et dont, je m’en rends compte à présent, j’ai cité hier la deuxième.
Pascale a toujours été une grande spécialiste des lettres d’amour, rappelez-vous :
 
Journal du coiffeur
2 juillet
 
Un jour, j’écrirai une lettre d’amour et je trouverai le moyen qu’elle la lise.
Je ferai courir le bruit que je vais monter sur mon beau cheval blanc.
Ou j’achèterai un trésor, des cordes, des munitions et deux redingotes de damas à fleurs.
Et je ferai un feu pour m’introduire chez elle et je mettrai ma main devant sa bouche pour l’empêcher de crier et pour l’embrasser.
Ou je dessinerai des lettres et des violons sur son grand lac gelé jusqu’à ce que je devienne son petit esquif brinquebalé par les flots et la tempête et conduit de force s’il le faut jusqu’à sa fondrière : « nous vivions dans une coquille, nous allons voler en éclats ».
(Mais si je ne lui écris pas en vers, voudra-t-elle s’enfuir avec moi ? Et qui lui dira, « je m’intéresse à vos déplacements car ils intéressent, le ciel, la terre, les tremblements de terre, tout mes tourments", SI CE N’EST PAS MOI ?)

*
 
14 juillet
(Soir)
 
Un jour, j’écrirai une lettre d’amour et je trouverai le moyen qu’elle la lise.
Un jour, elle comprendra que j’aurai écrit toutes ces lettres parce que je n’arrivais jamais à écrire la même.
Un jour, elle trouvera toutes ces phrases et elle pourra choisir la plus belle.
 
 
 

Extraits du journal du coiffeur. Manière d’entrer dans un cercle & d’en sortir, éditions du Seuil, 2007.
 
 
C’est avec ce livre, lu dès sa parution, que je suis tombé amoureux du travail de Pascale Petit. Depuis j’ai lu tous ses livres. Je ne pourrai pas vous dire lequel est le plus beau.




Commentaires

je suis cachée sous des vêtements
et de moi tu as peut-être une idée fausse
là, debout, un peu fléchie pour mieux solliciter une faveur
là, ouverte pour preuve que je t'accueille
là, pointée vers le ciel pour invoquer un autre monde
là, des petits oiseaux qui volent des figues
là, des tortues qui clapotent
là, des poissons collés aux parois
là, ce que tu prends pour une attitude altière
n'est que mon empressement
ma position entre deux mondes
pour explorer le passé
visiter le futur
et t'adorer sous une forme banale
 
Brouillon(s) de lettre(s) de la reine
20 juillet
Commentaire n°1 posté par Michèle P le 06/03/2014 à 17h30
Vive la reine.
Réponse de PhA le 06/03/2014 à 19h56
C'est très beau. Je ne connais que son Histoir d'Ouf mais je songerai à plus. Entre vous et Claro, trop de livres (non, pas trop) s'empilent (le dernier reçu est celui de Didier Da Silva) et je ne vais pas assez vite....
Commentaire n°2 posté par Michèle le 06/03/2014 à 18h04
On ne peut pas tout lire, mais on lira encore de très beaux livres de Pascale Petit et de Didier da.
Réponse de PhA le 06/03/2014 à 19h58
22 décembre 2011
 
Rosalie,
 
Je te regarde, tu ne me vois pas.
 
Je pense à toi, tu m'ignores.
 
Je t'espère, tu t’éloignes.
 
Chaque jour j'attends une parole, un geste, un sourire de toi. Je ne récolte que ton silence, ta froideur, ton indifférence, peut-être même ton mépris, comme si j'étais invisible à tes yeux, mort à ton coeur.
 
Alors que je veux t'approcher, tu me fuis. Quand j'essaie de t’aborder mes mots s'envolent, tu ne les entends plus. Et lorsque je tente de te faire deviner mes sentiments, trop timide pour les dévoiler avec des roses, ce n'est jamais le bon moment...
 
A croire que l'Univers entier me refuse la moindre de tes attentions.
 
Tu ne te rends pas compte que depuis si longtemps je cherche tes yeux, ton souffle, tes mains. Hélas ! Je retourne à ma solitude chaque soir. Avec pour unique réconfort mes rêves de toi.
 
Qui demeurent à l'état de rêves.
 
Je suis la flamme et le vent, je suis le ciel bleu et la tempête, je suis l'orage et je suis la brume, je suis l'aube fraiche appelant le feu du crépuscule et la nuit impatiente de retrouver la lumière.
 
De même que le soleil fixe la lune, je te contemple en rayonnant, toi l’insaisissable... Comme lui, je règne isolé dans mon ciel immense et t'aime à la folie.
 
Incompatibles amants qui, l'un au zénith, l'autre au firmament, se suivent et se fuient, s'opposent et se complètent, se cherchent et se cachent. Et pas une fois ne se rencontrent.
 
Malheureusement, tel Hélios courant en vain après Séléné, c'est de loin que je brûle d'amour pour toi.
Moi, l'astre inconnu de ta vie, la muette étoile de ton quotidien, la lueur esseulée que tu côtoies sans vraiment la regarder... Seul un "OUI" de toi me fera apparaître, tel que Dieu m’a fait, à la porte de ton coeur.
 
Sauf que peut-être un serment l'enchaîne déjà ailleurs... En ce cas dis-le moi franchement (aussi je t’en prie fais vite) : si tu n'es plus libre je me retirerai de la scène sans un mot, devenant simple étoile filante.
 
Signé : ton plus grand secret
 
 
Commentaire n°3 posté par Armand Yzixalymède le 14/05/2014 à 00h34

lundi 3 mars 2014

tout ce qu’on avale


du cheval pour du bœuf
du kangourou pour du koudou
du centriste pour du socialiste
de la charcuterie pour de la littérature

 
Le règne de la confusion est déjà dans la nature. Il est sans doute naturel que l’homme persiste à le propager.
 
 

Cette couleuvre a été photographiée et identifiée par mes soins aux abords du lac Powell. Il s’agit selon toute vraisemblance de Pituophis melanoleucus deserticola. Une confusion demeure possible, elle n’en serait pas moins involontaire.

dimanche 2 mars 2014

le nom de Lola Lafon


– Vous voyez, ce n’est pas moi qui trace le portrait, que vous redoutiez, d’une Roumanie tragique ! »
Elle rit doucement à l’autre bout du fil, sur le fond d’écran de mon ordinateur, une photo de  Montréal, la petite communiste qui ne souriait jamais, puis elle ajoute : je déteste avoir froid, c’est une obsession aujourd’hui encore. Mais malgré tout, il manque à vos descriptions des choses… qui n’existent plus aujourd’hui.
– Comme quoi ?
– Je ne voudrais en aucun cas qu’on imagine que je minimise ce qui a eu lieu mais… comment vous dire… On était ensemble. Contre un ennemi commun. On ne s’est pas laissé piétiner. Il fallait s’entraider, s’organiser, tenez, les gens se prêtaient leurs enfants pour aller faire les courses car ceux-ci avaient droit à des rations supplémentaires de lait et de viande. Et… je sais que ça va vous paraître superficiel, mais la queue prenait tellement de temps que c’était un haut lieu de drague, on se maquillait, on se parfumait avant d’y aller. Les vieux se retrouvaient entre eux, ils dépliaient une petite chaise de camping et jouaient aux cartes. Des détails, je sais. Enfin… est-ce que ce que ce sont des détails, ou une façon de survivre ? Et ça aussi, personne ne vous le dira parce que ça n’est pas spectaculaire, mais si on réussissait à voir un film étranger, souvent français d’ailleurs, eh bien, c’était un genre d’obligation morale, on se devait de le raconter en long et en large à tous ses amis, on mémorisait les bonnes répliques, les costumes, tout, pour partager ce bonheur. »
Pouvez-vous me faire parvenir une liste de vos souvenirs des années 1980, votre quotidien, je demande à Nadia. Elle soupire, vous êtes incroyable, on en a parlé mille fois, puis comme j’insiste, elle susurre, acide : « Je ne vous mets pas les bons souvenirs, je sais qu’ils ne vous intéressent pas ! »
 
Lola Lafon, la petite communiste qui ne souriait jamais, Actes Sud, 2014, p. 220.
 
Et tandis que je lis ce récit d’une biographie en train de s’écrire, work in progress fictif d’un récit lui non fictif – ce qui donne à ce roman son épaisseur, avec la possibilité de la contradiction à l’intérieur même du récit, que la fiction s’autorise rarement – et qu’une partie de mon esprit continue à tourner autour de la question de la vérité historique, cette vis sans fin,
voici soudain qu’à cette page 220 une phrase me retient, à laquelle je ne résiste pas : Pouvez-vous me faire parvenir une liste de vos souvenirs des années 1980.
Pas une liste de mes souvenirs, non, mais un seul. Ce doit être en 1983 ou 84, dans le Nord de Paris, petit campus où je suis censé étudier, quand mon esprit n’est pas absorbé par quelque projet d’écriture. J’échange quelques mots avec une jeune fille inscrite aux mêmes cours. Je ne me souviens d’aucun des mots, en revanche je revois assez nettement son physique, surtout une natte blonde, portée haut – je pense à une danseuse. Il me semble aussi qu’elle porte du rouge. Il doit y avoir quelque chose de singulier en elle, ou disons de mémorable, qui à ce moment-là va prendre pour moi une forme toute verbale : son nom. C’est là que mon souvenir est le plus net, décisif  – il faut dire que je passais plus de temps peut-être qu’aujourd’hui à écrire. En tout cas je me rappelle avoir pensé à propos de son nom qu’on aurait dit un nom de personnage, un nom qu’on penserait trouver dans un livre plutôt que dans la réalité. Elle s’appelait Lola Lafon.




Commentaires

Belle histoire.
Elle est danseuse :)
Et je pense comme vous que Lola Lafon c'est un beau nom de personnage. Philippe Annocque c'est pas mal non plus :)
Commentaire n°1 posté par Michèle P le 05/03/2014 à 20h00
Je crois que c'est le contraire : Philippe Annocque est un nom difficile à mémoriser. Prénom le plus courant de sa génération, patronyme difficile à orthographier et difficilement identifiable... Il y a peu de chances que Lola Lafon s'en souvienne.
Réponse de PhA le 06/03/2014 à 19h33
Un prénom et un nom sont d'abord portés. Par un personnage comme par une personne.
Dès lecture s'y glisse la fiction que s'invente le lecteur.
Et je peux vous dire que je retiens mieux Philippe Annocque que Ron Rash
Je retiens bien Pascale Petit aussi (sourire).
Commentaire n°2 posté par Michèle P le 06/03/2014 à 20h07
C'est vrai. (Je veux dire : que le nom c'est la fiction qui s'installe.) (Le reste me fait plaisir.)
Réponse de PhA le 06/03/2014 à 21h11
Quand on a vécu une période de pénurie, où tout manquait, on apprécie ce récit qui nous parle d'une époque où la solidarité et le système D ont permis de survivre.
Commentaire n°3 posté par Lza le 07/03/2014 à 09h06
Et même sans l'avoir vécue...
Réponse de PhA le 09/03/2014 à 21h05