vendredi 27 juin 2014

la grammaire au brevet 2014, un divorce confirmé

J’annonçais il y a un an jour pour jour le divorce officiel entre la grammaire et l’épreuve de français du brevet, c’est une affaire confirmée. Le texte de Charlotte Delbo (saluons quand même l’effort notable pour sortir un peu des sentiers battus – non sans regretter l’absence d’un vrai paratexte introductif qui aurait permis d’éviter quelques hors sujet en rédaction) n’a inspiré aux concepteurs encore une fois qu’une seule et malheureuse question de grammaire : la 5b (il y en avait 8) :
« J’avais toujours pensé que nous tomberions ensemble », identifiez le temps du verbe tomber et justifiez son emploi.
Le conditionnel présent (réponse attendue mais on admettra aussi la seule mention du conditionnel sans précision supplémentaire) est en effet un temps de l’indicatif, ça ne fait aucun doute à mes yeux mais force est de constater que beaucoup de mes collègues le présentent encore comme un mode, j’espère que ça n’aura pas troublé les plus sérieux de nos élèves (car celui qui aura juste répondu « présent » en considérant qu’on ne lui demandait pas le mode n’aura pas le demi-point).
Le demi-point suivant portait donc sur l’interprétation de ce conditionnel – et bien sûr c’est là que les choses deviennent intéressantes : quand la question de grammaire est au service de l’interprétation. « J’avais toujours pensé que nous tomberions ensemble », avec cette subordination à une principale au plus-que-parfait, aucun doute possible, le conditionnel a valeur de futur dans le passé. Bravo. Sauf que. Sauf que la phrase reproduite dans la question est tronquée, Charlotte Delbo a écrit : « J’avais toujours pensé que nous tomberions ensemble, si nous tombions. » Cette hypothétique finale évidemment change la donne. On est dans le cas, tout à fait passionnant à condition d’être loin du collège, d’une syllepse des valeurs temporelle et modale du conditionnel : le système hypothétique justifie le conditionnel aussi bien que la concordance des temps. Passionnant, non ? Entre d’autres termes, le candidat qui parle d’hypothèse mérite autant son demi-point que son camarade qui a reconnu un futur du passé. Et voilà comment la question de grammaire est annulée – sauf à savoir reconnaître un conditionnel par sa terminaison.
Concernant l’évaluation de la maîtrise des outils de la langue, comme on dit aujourd’hui, ce sera tout. Vous me direz qu’il y a la réécriture, remplacer une deuxième personne du singulier par une troisième du pluriel : « Je sais que tu es brave, je sais que tu sauras vivre sans moi. Il faut que tu vives, toi. » Je ne commenterai pas la longueur de l’exercice (4 points quand même, 0,5 par changement correct effectué), mais faites-le, observez le résultat. L’intérêt ne me paraît pas évident. (J’ai la faiblesse de penser que la réécriture est un exercice d’orthographe qui doit faire sens, qui doit faire réfléchir à la forme choisie par l’auteur. D’accord, ce n’est pas toujours facile à trouver.)
Il nous reste la dictée. C’est un peu comme l’an dernier : il faut montrer qu’on est exigeant sur l’orthographe. Du coup on a encore un texte difficile. Piégeux, même. Bien trop, à mon avis. Mais comme il faut bien que les élèves réussissent, on va faire des tolérances. Le candidat qui aura écrit  « Toutes confidences, tous contacts exigent un déplacement. Et il y a les distributions d’armes, de journaux, de postes émetteurs, de matériels de sabotages. Ce qui explique la nécessité d’une armée d’agents de liaisons qui tourne à travers la France comme des chevaux de manèges » aura la même note que celui qui aura procédé à des accords moins étonnants. Dans des cas pareils, si on ne veut pas pénaliser la majorité des candidats, qu’au moins on bonifie ceux qui pratiquent les accords les plus conformes au sens du texte.
Enfin, tout ça ne concerne que les élèves qui ne sont pas officiellement reconnus comme dyslexiques. Car ceux-là, à moins de souffrir d’une dysorthographie profonde, n’ont pas grand-chose à craindre de leur dictée à choix multiple. Sur un paquet de 39 copies, les deux dyslexiques avérés ont obtenu respectivement 6 sur 6 et 5,5 sur 6. Il y avait sans doute bien d’autres candidats dont les difficultés spécifiques auraient justifié au minimum le même traitement, mais certaines familles n’ont pas forcément conscience de la nécessité d’une prise en charge, et d’autres préfèrent aider leurs enfants à surmonter les difficultés plutôt que de les aplatir devant eux.

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