mardi 30 septembre 2014

hublot domestique : les toilettes


Les WC n’osent plus dire leur nom.



(Waters ou toilettes, un singulier pluriel.)



C’est toi qui es le roi.

lundi 29 septembre 2014

Lettre d’expertise psychiatrique



Cette fille a perdu le point de son i qui s’est enroulé sur lui-même et ça l’a rendue folle.

dimanche 28 septembre 2014

Relire Goldberg : Variations de Josipovici



J’ai relu Goldberg : Variations, de Gabriel Josipovici. Je l’avais déjà lu tout récemment, et j’ai bien d’autres livres à lire, mais il fallait que je le relise. La première fois, je ne l’avais pas lu dans de bonnes conditions. Mais lit-on jamais dans de bonnes conditions ? Comment les conditions pourraient-elles vraiment être bonnes ? Les conditions extérieures, bien sûr, on peut essayer de les améliorer. Mais on sait bien que la lecture est surtout tributaire de conditions intérieures au lecteur, à propos desquelles celui-ci ne peut à peu près rien. Bref. J’avais besoin d’un prétexte pour le relire, je l’ai relu.

Comme je m’y attendais, ce n’est pas exactement le même livre, que j’ai lu. Ballantyne, par exemple, pour prendre un exemple, plutôt, vous savez, l’ami de Westfield, eh bien il y jouait cette fois-ci un rôle plus effacé. Je vous dis cela pour le seul plaisir de vous le dire, car ça n’a aucun sens, pour vous. Ça n’a de sens que pour celui qui a fait cette première lecture Goldberg : Variations, une lecture singulière qui malgré les mauvaises conditions mériteraient un nom propre, puis cette autre lecture également singulière, dans d’autres conditions que j’ai souhaitées meilleures et qui sans doute l’ont été, jusqu’à un certain point. Jusqu’à un certain point que j’ai du mal à dépasser et que je pourrais appeler l’oubli d’un autre moi-même, qui quand il lit ne cesse d’écrire encore. Vous voyez ? Oui, là, vous voyez ; ça ne fait pas l’ombre d’un doute.

Une deuxième lecture, donc. Avec, tiens, c’est tout à fait anecdotique car après tout Ballantyne n’est qu’un personnage secondaire parmi beaucoup d’autres, un relatif effacement de sa présence par rapport à la première lecture. J’aurais sans doute pu trouver une autre différence entre ces deux lectures, elles sont pléthore, mais c’est la première qui, curieusement, m’a traversé l’esprit. (Il faudrait quand même demander à des personnes qui viendraient juste de terminer leur deuxième lecture de Goldberg : Variations si elles ont remarqué elles aussi un relatif effacement de Ballantyne dans cette deuxième. Après tout il y a peut-être quelque chose dans le texte même qui induit cet effacement progressif de Ballantyne. Après tout Westfield et Ballantyne n’ont plus grand-chose à se dire.)

En relisant Goldberg : Variations, j’ai eu plus nettement encore l’impression par moment de lire à travers les pages. Je crois que je l’avais déjà la première fois, mais cette fois c’était plus net encore. Mais dire cela n’a aucun intérêt : Goldberg : Variations est écrit pour qu’on lise à travers les pages. Qu’on lise ce qu’on est en train de lire en même temps qu’on relit ce qu’on a déjà lu quelques pages auparavant. Et ce qu’on lira quelques pages plus loin et qu’on a déjà lu dans une précédente lecture.

Je me demande si Gabriel Josipovici n’a pas glissé l’idée subliminale (car littéralement je ne l’ai pas trouvée mais ça ne veut rien dire) l’idée subliminale de trente lectures successives. Trente variations de lecture.

En relisant Goldberg : Variations j’ai eu envie de choisir un autre extrait pour vous. Ou plutôt de laisser un extrait s’imposer. Celui-ci est à la page 269, c’est le Wander-Artist de Paul Klee qui naturellement à ce moment-là n’est plus seulement le Wander-Artist de Paul Klee qui parle. Ça n’a rien à voir avec les propos décousus que j’ai tenus plus haut. Ou peut-être que si :



« Le monde ? Quel monde ? Le monde que vous pensiez connaître se gauchit à mon passage et se reforme de manière inattendue. Ce n’est pas le monde que vous connaissiez, mais pas plus d’ailleurs que l’est le monde autour de vous. S’il avait pu être ainsi alors il n’aurait pas eu besoin d’être celui-là, mais il fallait bien qu’il soit d’une manière ou l’autre.

Vous n’écoutez pas ce que je dis. Vous êtes trop occupés à m’observer passer de l’autre côté, un bras levé pour saluer. Et c’est ainsi que cela doit être, car ce que je dis n’a pas de signification, on ne peut même pas dire que je le dis, seulement que je forme les mots des autres avec ma bouche, et ce que vous avez entendu, vous ne l’avez pas vraiment entendu, ce que vous avez vu, vous ne l’avez pas vraiment vu. Et pourtant me voici, en route, bras levé pour saluer, et puis je ne suis plus. »



Voilà. Mais peut-être ne savez-vous pas vraiment quel est ce livre, Goldberg : Variations, que je viens de relire. Peut-être venez-vous juste de tomber sur ce blog et aimeriez en savoir plus. Si vous cliquez ici, vous tomberez sur tous les billets de ce blog consacrés à Gabriel Josipovici. Mais vous pouvez aussi avoir envie de lire l’avis d’un libraire, et dans ce cas allez donc faire un tour chez Charybde ou chez Ptyx. Et pendant que vous y êtes lisez aussi ce qu’en dit Jacques Josse sur Remue.net et Christophe Kantcheff si vous êtes abonné à Politis. Entre autres. Allez, bonnes lectures.

samedi 27 septembre 2014

hublot domestique : le séjour (4)



La salle est la femelle du salon – ce qui ne les empêche pas de faire chambre à part.
  


La commode l’est plutôt moins que le buffet pour ranger les assiettes.



Les bibelots les plus kitch encombrent souvent le dessus de la cheminée. Heureusement qu’il suffit de claquer dans les mains pour faire s’envoler ce couple de pigeons amoureux.

vendredi 26 septembre 2014

Mon jeune grand-père (52)



Le 26 Juillet 1917 – Mes chers parents.

Je n’ai reçu ces cinq jours-ci qu’un seul colis, le n°2. Les pommes de terre nouvelles étaient en bon état. Comme courrier j’ai reçu les cartes de papa des 7-9-11-12 et la lettre de maman du 8. Comme je vous le disais dans ma dernière carte, forcez pendant quelque temps les envois de pâtes, légumes secs, graisse, cubes (« cubes » ?), et toutes denrées pouvant se conserver très longtemps, car je voudrais augmenter mes réserves, car on ne sait jamais avec tous ces arrêts, ils pourraient quelquefois durer plus longtemps que les précédents – surtout que ce qu’il y a de mangeable ici a encore diminué. Envoyez-moi du savon en assez grande quantité car mon Russe ne peut en recevoir et m’a demandé de lui en revendre. J’ai terminé le plateau à liqueurs destiné à Mme Gillet. Je n’ai pas de souvenirs de ce plateau à liqueurs. Ça veut sans doute dire que Mme Gillet l’a bien reçu. Je ne saurai jamais qui est Mme Gillet. Je ne l’ai pas mal réussi. Je te fais confiance. Je fais en ce moment une petite boîte pour moi, puis je ferai le coffret à ma chère sœur. Je crois bien reconnaître la petite boîte. J’aurai du travail dessus, car le dessin ne me plaît pas, et je vais en changer une partie. Pour Adeline, je lui ferai un petit cadre, pour mettre un buste. Je crois bien qu’il n’a jamais été fait mention d’Adeline. Je vérifie.

 Non, jamais. Je n’ai aucune idée non plus de son identité. Un prénom à la mode d’alors, de nouveau en faveur cent ans plus tard. Il y en de très gentils. Il doit parler des cadres. Des bustes, ça n’aurait pas de sens. Je m’étonne très fort que vous n’ayez pas reçu de nouvelles de Thérèse, c’est bizarre car elle est en France maintenant. Dans la carte du 23 juin, elle était en Suisse. Pour la blanche ce n’est pas la même chose, elle est pas loin d’Eugène. Cette phrase est bien mystérieuse. Eugène dont on est pas loin sans négation ressemble peu à l’oncle Eugène de la tante Jeanne de 3 août précédent. Quant à cette « blanche »… Papa serait bien gentil d’essayer d’avoir des nouvelles de Lévêque et de Mme Arthur qui sont tous deux à Quimper. Lévêque, je crois bien que c’est le nom de famille de Thérèse.

Attends.

Pas du tout. Je confonds. Thérèse, c’est Déqueuse ou Dequenne. Lévêque, c’est le nom de Blanche ! Blanche Lévêque, de la carte du 18 juin, et dont le mari a été à Quimper. « Lévêque », c’est sûrement son mari, dont elle cherchait à avoir des nouvelles, et qui est bien à Quimper. Pourquoi Edmond, lui si respectueux des manières, pourquoi l’appelle-t-il « la blanche » ? Et cet Eugène ? Eugène Lévêque ?

Poser ces questions c’est en même temps poser celle de leur validité. Qui ça intéresse. Ça a eu une signification, tout ça, à une époque. Je ne saurai jamais laquelle. Et si je le savais ça ne m’intéresserait pas, ou alors quelques secondes, parce que comme Edmond j’aurais quelque chose à écrire, un petit truc auquel m’accrocher.

Blanche c’est bien pour un prénom de fantôme.

Le temps est revenu au beau depuis hier. Voilà. Le temps. Celui qu’il fait. Parce que celui qui passe… Le soleil a fait sa réapparition, mais sans être trop chaud. A part cela rien de neuf, toujours la même vie monotone, c’est rare qu’Edmond le dise. C’est presque une liberté : dans l’attente d’événements qui n’arrivent jamais, bien au contraire. On en arrive à se demander si cela pourra finir un jour. Je travaille toujours un peu en alternant avec les promenades, les parties de tennis ou de football. Je pense souvent à vous tous, à toute la famille, à tous les amis. Je pense au moment du retour et au moment où nous serons tous réunis de nouveau, mais il me paraît encore loin ce jour-là.

Je vous quitte mes bien chers parents en vous embrassant bien bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis et toute la famille. Amitiés et bon souvenir à tous les amis, particulièrement à Adeline. Votre fils qui vous aime de tout son cœur. EAnnocque

mercredi 24 septembre 2014

Voyez grand



Le cerf trouve la tortue bien mesquine, lui qui sur sa tête transporte toute sa forêt.

mardi 23 septembre 2014

hublot domestique : le séjour (3)



La télévision est une fenêtre aux paysages si désespérants qu’on la place contre un mur pour n’être pas tenté de se jeter au travers.

Le temps que je comprenne comment programmer mon magnétoscope, mon lecteur de DVD était déjà obsolète.

Il faut quand même avouer que le téléphone sans fil n’est pas un progrès pour qui envisage le suicide par pendaison.

lundi 22 septembre 2014

mon portrait liquide

Regardez le magnifique cadeau que me fait Quotiriens ! (et ce n'est même pas mon anniversaire) J'en reste sans voix, malgré les apparences. (C'est une interprétation liquide d'un portrait réalisé par un autre magicien : Olivier Roller.)

dimanche 21 septembre 2014

Considérez-moi comme votre ardoise.



Il rangeait ses coupures tenues ensemble par des ficelles, des élastiques, des pinces à linge. Un long moment, aucune attention à moi. Puis remet sa valise dans le coin gauche de sa niche en disant oubliez ce qui vous tracasse, monsieur Dodo, sûrement pas du sérieux. Quand on vous regarde on envie votre état diaphane. Tout transparaît sur votre visage. Vous avez beau barrer, rayer, effacer… Considérez-moi un peu comme votre ardoise, je ne retiendrai de vos paroles que ce qu’il vous en plaira.

Robert Pinget, le Chrysanthème, éditions Zoé, p. 28.

samedi 20 septembre 2014

billet programmatique



« Traitez chaque œuvre comme si elle était vos dernières volontés. »
Pour ma part je préfère faire comme si c’était tout simplement la première au monde.

vendredi 19 septembre 2014

Josipovici en Charybde*



Et l’enregistrement de la soirée organisée par la librairie Charybde à l’occasion de la parution du formidable Goldberg : Variations de Gabriel Josipovici. D’ailleurs, je vais le relire, tiens.

* Heureux hasard des titres :

– Vous êtes un érudit, Mr Goldberg, dit Hammond. Cela fait longtemps que j’ai envie de vous demander : Quelle est la raison, à votre avis, qui fait qu’Homère décrit Ulysse comme un menteur invétéré ?

(C’est à la page 88, dans la huitième Variation, et c’est l’un de mes nombreux passages préférés.)

jeudi 18 septembre 2014

Mon jeune grand-père sur Hublots2



Voilà, tous les billets de Mon jeune grand-père ont été rapatriés sur ce blog. On y a accès en cliquant à droite sur Hublot pour mon jeune grand-père, figurez-vous.

mercredi 17 septembre 2014

Mon jeune grand-père (51)



Le 21 Juillet 1917. Mes chers parents.
Après avoir attendu deux jours après l’annonce « l’annonce » surcharge un mot inachevé et illisible des journaux, on nous a redistribué nos colis comme par le passé. Inutile de vous dire que nous avons été tous très heureux. « Par le passé » en effet le dit déjà, la disette renvoyant à un jadis quasi idyllique la captivité d’hier où l’on pouvait manger. J’ai eu de la chance. Car tous mes colis de la semaine sont arrivés après le rétablissement. Je crois que c’est ça. Le rétablissement d’un certain ordre des choses qui rend la vie possible. Aujourd’hui et hier j’ai reçu le colis poste n°2, les colis-gare n° 30-1-3 et 4 plus mon complet de toile et un colis de pain d’Annecy encore ce fameux pain d’Annecy du 28 juin le dernier vraisemblablement. Tout était en bon état sauf le pain, les 2 colis étaient complètement moisis. Vos pains ont belle apparence mais je n’ai rien pu en retirer. C’est ennuyeux. Daussy a reçu un pain en bon état. C’est du pain ordinaire coupé en tranches assez minces et repassées au four. Pour que faire disparaître son humidité et éviter le moisissement. Bien pensé. Cela fait du pain grillé très mangeable mais naturellement pas aussi tendre que du pain entier. Je suppose que par « pain entier » il faut comprendre « pain non tranché ». Mon complet de toile est très bien et me va parfaitement. Mais il n’est pas kaki comme vous me l’annonciez, il est brun foncé. J’imagine une petite inquiétude liée à l’impératif carcéral de ne recevoir que des vêtements militaires impropres à l’évasion, je me rappelle qu’Edmond en avait parlé. Ma vareuse de drap est rectifiée, elle va aussi très bien. Depuis quelques jours nous avons des difficultés pour le chauffage, le 21 juillet ? nous ne pouvons plus avoir de charbon, aussi D. va faire la cuisine sur un réchaud à charbon de bois. D’accord. Il faudrait donc que vous m’en envoyez. Il manque le i. En tout cas les colis peuvent être lourds, on dirait que la question d’une limite ne se pose pas. Un colis de 5 kg toutes les 2 et 3 semaines serait suffisant. Comme courrier, j’ai reçu les cartes de papa des 3-5-4-6 (manière de dire l’ordre de réception) une lettre de Lucie et une carte de ma Tante Maria du 22 juin, elle est toujours en bonne santé et vous embrasse tous bien fort. Les œufs sont arrivés en parfait état la phrase est précédée d’un tiret marquant le changement de sujet. Le temps s’est bien rafraîchi depuis quelques jours. Il fait même frais pour la saison. Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis et toute la famille. Votre fils qui vs aime. Edmond

mardi 16 septembre 2014

brevet discuté


Alors comme ça l’homme se rengorge d’avoir inventé la roue ? disait le paon au dindon.

lundi 15 septembre 2014

Terminus radieux de Volodine


On a lu Terminus radieux. On a envie d’en parler. On tente de se remémorer comment ça a commencé, cette lecture, il y a longtemps, combien de siècles. Attends. Rappelle-toi. C’était juste après la chute de l’Orbise, à la fin de la deuxième Union Soviétique. Il y a si longtemps. Volodine commençait son livre comme si ça allait être un roman, comme à l’époque bien plus ancienne où on écrivait encore des romans. Ça commençait comme ça : « Le vent de nouveau s’approcha des herbes et il les caressa avec une puissance nonchalante… » « … Le ciel était couvert d’une mince laque de nuage. » « … Aux pieds de Kronauer, la mourante gémit. »
Oui, il y avait eu une époque où des écrivains écrivaient des romans, on s’en souvenait ; et ça ressemblait pas mal à ça, les romans qu’on lisait. Mais c’était il y a longtemps. Déjà à l’époque de Volodine les livres ne ressemblaient plus vraiment à des romans. D’ailleurs Volodine lui-même ne les appelait pas des romans ; il appelait ça des narrats, des entrevoûtes, des shaggas, des romances avec un rond sur le a. Des récits qui ne ressemblaient à rien sinon peut-être aux rêves que faisait parfois l’écrivain qu’on croyait être.
« – Elli, soupira-t-elle. »
C’était donc quand même un roman, cette fois, avec des dialogues, et c’était comme ça qu’on apprenait le prénom du personnage qui serait le héros, Elli Kronauer ; même si « héros » a aussi un autre sens dans la bouche des personnages de Volodine, même si sans doute il y en aurait beaucoup d’autres, des personnages, vu l’épaisseur du livre, à laquelle Volodine ne nous avait pas vraiment habitués.
Le nom nous était familier, il y a tellement de noms propres dans les livres de Volodine, parfois on pourrait confondre, mais non, Elli Kronauer, même si on ne l’avait pas lu, on savait bien que c’était le nom d’un écrivain, un écrivain post-exotique bien sûr comme tous ceux qu’on croise dans tous les livres de Volodine, mais qui était l’un des rares – à notre connaissance il n’y en avait que trois, outre Volodine lui-même – à avoir acquis une sorte d’existence autonome, nous n’avons pas tous le même degré d’existence, et à avoir ses titres publiés chez des éditeurs qui n’étaient pas spécialisés dans la littérature post-exotique : comme Manuela Draeger, Elli Kronauer avait publié plusieurs livres à l’Ecole des Loisirs. (Bien avant la chute de la deuxième Union Soviétique, avant même son avènement, l’Ecole des Loisirs était le nom d’une maison d’édition spécialisée pour la jeunesse.) Mais il se peut aussi que ce ne fût là qu’une coïncidence, un cas d’homonymie : le Kronauer de Terminus radieux dont le prénom ne serait si on se souvient bien plus jamais prononcé était présenté comme un soldat, un combattant de l’Orbise, comme nous l’avons tous été. Non ? On ne l’a pas tous été ? Lui ou nous peu importe.
D’ailleurs il ne faisait preuve d’aucune velléité littéraire, à l’époque. Rien d’un écrivain. Son langage même était plutôt fruste. Plutôt qu’un écrivain, Kronauer, c’est le gars que vous préfèreriez avoir comme compagnon, lui plutôt qu’un autre, au moment de la fin du monde, histoire d’être tranquille et pas tout seul.
Pourtant, malgré l’apparente indifférence de Kronauer à son égard, la littérature était partout dans Terminus radieux. Etait-ce l’influence du précédent livre de Volodine, sobrement intitulés Ecrivains, rappelez-vous, qui nous incitait à chercher partout dans la steppe et la taïga autour de Terminus radieux, le kolkhoze mystérieux, la présence souterraine de la littérature à l’œuvre ? Peut-être.
Terminus radieux. Un paradis sur Terre, quoi. Un roman qui commençait par le début d’une fin, parce que c’est long, la fin. La mourante était mourante, elle ne s’en sortirait pas, il ne restait déjà presque plus que son nom, Vassilissa Marachvili, qui lui survivrait longtemps, mais Kronauer ne valait pas beaucoup mieux. Sans autre issue possible, ils avaient délibérément pénétré, avec leur camarade Iliouchenko, pour tenter de finir ensemble, dans une zone où la vie n’était plus possible. Les radiations en avaient décidé ainsi. Celles, notamment, de Terminus radieux. La vie n’y était plus possible mais la mort guère davantage, on le comprenait très vite après avoir fait connaissance avec la Mémé Oudgoul, révolutionnaire immortelle et double obscure de la Mémé Holgolde qu’on avait déjà rencontrée dans les Onze rêves de suie de Manuela Draeger, rappelez-vous, au point qu’on avait d’abord cru que c’était la même, qui nourrissait amoureusement la pile atomique de Terminus radieux, retournée à l’état sauvage comme toutes les centrales de la seconde Union Soviétique et sans doute du monde, mais qui n’en finissait plus d’irradier les éternels survivants.
C’était elle peut-être le personnage principal, mon pauvre Kronauer, la pile qui brûlait jaune au fond de son puits à deux kilomètres de profondeur, c’était elle ou c’était Solovieï, le « président du kolkhoze », qui se piquait de poésie et dont les yeux brûlaient jaunes au fond de leur orbite.
On a lu Terminus radieux, on a envie d’en parler. On raconterait bien toute l’histoire, puisqu’il y en a une et qu’on est comme dans un roman d’autrefois. Mais on sait qu’on en aurait pour mille huit cent treize années lunaires et quelques. Ce serait comme d’entrer dans vos têtes sans en avoir le droit. Solovieï me dirait sûrement que je fais du mal à ses lectrices. Ce double obscur de Volodine. Je préfère terminer radieux qu’irradié.

dimanche 14 septembre 2014

considérations sidérales



Si vous ne pouvez pas me dire combien d’étoiles il y a dans le ciel, dites-moi au moins combien de branches compte chaque étoile.

Le concept même du trou noir est troublant.

La Voie Lactée, cette pollution nocturne.

vendredi 12 septembre 2014

Hublots en chantier



Alors où en sont ces Hublots de l’avancée des travaux ? Eh bien l’essentiel du Hublog à lecture a été rapatrié avec mes petits doigts musclés, le verbe copicoler n’a plus de secrets pour moi. Il manque souvent les illustrations et je ne garantis pas la pertinence de tous les liens, ça fait quand même plus de 400 billets, dont il faut l’avouer la plupart n’ont de valeur que sentimentale ; des billets doux, quoi. D’ailleurs en général j’ai même conservé les commentaires de l’époque, il y en a de l’ami Dominique,  Depluloin dans la blogosphère, qui avant même de commencer le sien (de blog) avait porté l’art du commentaire à des sommets inégalés ; je n’avais pas le cœur de jeter tout ça. Bref. Tout cela est disponible en cliquant à droite sur « Hublog à lecture ». Si vous voyez de grosses bizarreries signalez-les-moi, ça peut me rendre service. Un avantage tout de même à cette affaire : Blogspot propose le nuage de tags, j’en ai fait un pour les auteurs et un autre pour les éditeurs. Plus c’est écrit gros, plus il y a d’occurrences ; comme ça on peut tout de suite dénoncer les chouchous. On a le droit de cliquer aussi sur les petits caractères, il y a des merveilles que je n’ai fait qu’effleurer.
Allez, on s’attaque au reste.

jeudi 11 septembre 2014

hublot domestique : le séjour (2)



Le fauteuil est un canapé pour célibataire.



Si la chaise est un fauteuil manchot, que dire du tabouret ?



Et au terme de toutes ces amputations : le pouf.

mercredi 10 septembre 2014

mon jeune grand-père (50)



Le 17 juillet 1917 Mes chers parents.
Les journaux allemands nous ont appris ce matin que la mesure de représailles concernant les colis était levée. Voilà. C’est de ça que parlait Edmond dans la carte ou plutôt la lettre manquante précédant celle du 7 juillet. Nous ne sommes pas encore (je n’arrive pas à lire, on dirait « avires ») mais nous le serons sans doute ce soir ou demain. Avisés. Ce doit être « avisés ». « Avisés » devait faire partie du vocabulaire d’Edmond. C’est un officier, fils d’officier. Ce doit être exact car la nouvelle est donnée dans les journaux comme officielle. Donc inutile de vous dire de reprendre l’envoi (un mot court et raturé) mal des colis, en forçant un peu pendant quelque temps pour rétablir l’équilibre. Forcez surtout sur la graisse, car je n’en ai pas du tout en réserve, et si cela avait duré un peu j’aurais dû manger mes nouilles à l’eau. Enfin tout est bien qui finit bien. Voilà encore un 14 juillet passé dans des conditions pas très gaies espérons que l’année prochaine nous le fêterons ensemble. J’avoue que je suis tenté de regarder dans le paquet les cartes de juillet 1918. Et en même temps, non. Comme courrier j’ai reçu les cartes de papa des 28-19-29-30 juin et 2 juillet la lettre de maman du 1er j et une lettre de Wallard du 23 juin. Wallard. Oui, correspondant déjà nommé le 26 février et le 2 mai. Je n’en sais toujours rien. Comme colis je n’ai reçu que le cake n°1 en bon état. Comme il y a des chances pour que nous passions encore l’hiver ici – alors qu’en février de la même année il espérait du nouveau –, il est temps de prendre des dispositions. Papa serait donc bien gentil de voir s’il peut avoir au dépôt 2 manteaux de cavalerie de la plus grande taille pour moi et Daussy, et de les envoyer le plus tôt possible – on est pourtant en juillet – pour que nous ayons le temps de les faire rectifier. Qu’il y joigne pour moi une culotte de troupe très grande. Je sais qu’Edmond était grand mais ce n’était tout de même pas un géant. Il doit y avoir une raison pratique. Vous pourrez mettre les lames de rasoir dans un prochain colis. Présentez mes remerciements à ma Tante et à Tante Marie pour leurs cadeaux. La température est assez fraîche en ce moment. Les fortes chaleurs de l’autre jour ne sont plus revenues, tant mieux ! Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis Madeleine et Jean et toute la famille. Votre fils qui vous aime de tt son cœur. EA

mardi 9 septembre 2014

Myopie de la peau



Myopie de la peau : il suffit de quelques millimètres pour ne plus percevoir la douceur de l’autre.

lundi 8 septembre 2014

lettre volée



Il existe en français deux verbes voler dont l’un, curieusement, ne s’écrit pas avec deux l.

jeudi 4 septembre 2014

Goldberg : Invitations



Sa chambre était plongée dans l’obscurité quand je revins, mais il m’appela de son lit et, quand je lui eus répondu, il me pria de m’asseoir et de commencer dès que je serais prêt. Je m’installai dans le fauteuil, j’ajustai la lampe et je commençai. Mais après quelque temps, il m’appela de nouveau et me demanda d’entrer dans la chambre. La lumière de la lampe me permettait de discerner le grand lit à baldaquin où, je le supposais, il était couché. Je restai près de la porte, mais sa voix, venant de la profondeur de son lit, me demanda de m’approcher et de m’asseoir à son chevet. Lorsque je l’eus fait, il resta si longtemps silencieux que je pensai que ma seule présence ici, près de lui, avait suffi à produire ce que tout le talent de mon élocution n’était jusque-là pas parvenu à faire, mais il finit par parler, tout doucement, et me posa des questions sur toi et les enfants. Je répondis à toutes ses questions aussi simplement et clairement qu’il m’était possible. Il me demanda ensuite si j’avais moi-même écrit quelque chose que je pourrais lire au lieu des livres que j’avais apportés. Je lui répondis que j’avais beaucoup de choses, mais rien avec moi. Je me demandai s’il allait proposer d’envoyer un domestique les chercher le lendemain, mais il resta étendu quelque temps en silence et me demanda ensuite si j’étais prêt à écrire quelque chose spécialement pour lui que je pourrais lui lire, soir après soir.
— À quel genre de choses pensez-vous ? lui demandai-je.
Il se mit alors à rire et me dit qu’il n’était pas lui-même écrivain et qu’il préférait me laisser ce genre de décision. Je compris alors la raison du bureau sous la fenêtre, des différents types de papier et de plumes qui y avaient été posés. Je lui dis que j’essayerais.
— Je ne veux rien d’autre qu’une nouvelle composition de votre main, dit-il.
Il retomba dans le silence et je me demandai ce que je devais faire. Désirait-il que je retourne dans l’autre pièce pour reprendre ma lecture, ou bien que je m’en aille complètement, ou encore que je reste là au cas où il aurait d’autres questions auxquelles il aurait voulu que je réponde. Je m’interrogeais sur ces diverses possibilités lorsqu’il dit :
— J’ai lu tous les livres qui ont été écrits, Mr Goldberg, et cela me rend mélancolique. Un profond ennui s’empare de moi chaque fois que j’ouvre une fois de plus un de ces volumes ou même quand une autre voix m’en livre le contenu.
— Mais un nouveau livre ne va-t-il pas par trop éveiller votre intérêt ? lui demandai-je, n’aurait-il pas pour effet de vous tenir éveillé au lieu de l’effet désiré qui est de vous endormir ?
— Mon ami, me dit-il, vous parlez sans réfléchir. Une nouvelle histoire, une histoire qui est vraiment nouvelle et vraiment une histoire, donnera l’impression à la personne qui la lit ou l’écoute que le monde a repris vie pour lui. Voici comment je pourrais le dire : le monde recommencera à respirer pour elle alors qu’auparavant il avait paru être fait de glace ou de roche. Et ce n’est que dans les bras de ce qui respire que nous pouvons nous endormir, car ce n’est qu’alors que nous pouvons être certains que nous nous réveillerons vivants. N’ai-je pas raison, mon ami ?

Gabriel Josipovici, Goldberg : Variations, Quidam éditeur, 2014.

C’est le livre qui paraît chez Quidam en ce moment, de l’auteur de Moo Pak et de Tout passe, et c’est formidable. Et ce qui est formidable aussi, c’est que Gabriel Josipovici sera en France et plus précisément à la librairie Charybde, 129 rue de Charenton (dans le XIIe, métro Gare de Lyon) demain à 19h30 (j’y serai) et au Comptoir des mots, 239 rue des Pyrénées (dans le XXEe, métro Gambetta), mardi  prochain à 20h.


mercredi 3 septembre 2014

mon jeune grand-père (49)


   Le 12 juillet 1917 Mes chers parents.

La distribution des colis se fait toujours de la même façon, nous continuons à ne recevoir séparément que les gâteaux et bonbons. Les camarades chargés de s’occuper de la cuisine s’en occupent très bien, ce qui fait que nous mangeons convenablement. J’ai, pour ma part, sérieusement alimenté la communauté ces jours-ci, car outre les colis postes 29 et 30, j’ai reçu les colis gare n°s 25-26-27-28-29, plus un colis de pain d’Annecy. Encore ce pain d’Annecy. J’ai tenté une requête Google, qui n’a rien donné de probant. Autant que j’ai pu le voir quand les colis ont été déballés devant moi, tout est arrivé en bon état (à chaque ligne j’ai l’impression que je ne vais pas arriver à déchiffrer, et puis finalement si) sauf le pain qui était complètement moisi alors que par une ironie du sort, le pain d’Annecy était assez bon. L’ironie du sort veut que cette ironie du sort m’échappe complètement, le pain d’Annecy n’étant pas resté dans les mémoires. Mais avant de juger il est peut-être bon d’attendre quelques arrivages. Souvent à mon avis la moisissure est due à ce que le pain était trop frais quand il a été emballé. Je me contenterai donc de cette ironie du sort-là. La vareuse est très bien. Je l’ai portée chez le tailleur qui va me l’arranger. Comme lettres j’ai été également plus favorisé ces jours-ci. J’ai reçu les cartes de papa des 21.22.23.25.26.27 ainsi que la lettre de maman du 24. Le temps s’est également bien rafraîchi ici. Nous avons eu deux jours de pluie continue et maintenant il fait assez frais. Je ne pourrai vous dire si les pommes de terre nouvelles sont arrivées en bon état car je n’ai pas pris le temps de les regarder. Malgré cela cela va très bien, je suis toujours en excellente santé et ai le moral très bon. Je pense toujours bien à vous, j’ai peur que vous vous fassiez du mauvais sang sur mon compte. Je me doute que maman sera ennuyée de ne plus pouvoir m’envoyer tant de bonnes choses, mais espérons que cela changera bientôt. Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort ts les 2 ainsi que Geneviève et Louis et tte la famille. Votre fils qui vous aime de tt Toute cette fin est très serrée et le dernier mot est illisible.

lundi 1 septembre 2014