lundi 6 avril 2015

En territoire Lafargue



La lecture des romans de Jérôme Lafargue est un rêve sans fin.
On se souvient peut-être que le mien a commencé sur la Nationale 10, tandis que j’allais faire reproduire le manuscrit de Liquide qui n’avait pas encore d’éditeur et qu’aux Mardis Littéraires de Pascale Casanova on présentait L’Ami Butler. (Mardis qui n’existent plus tandis que France Culture est toujours en grève et que demain sur la même route j’en serai réduit à Radio Nostalgie.) Après la lecture duquel j’ai décidé de proposer mon projet à Quidam – avec qui nous avons rendez-vous encore à l’automne prochain, nous en reparlerons. Car la Nationale 10, si on la continue un peu, nous amène tout droit à l’Atlantique, celui qui fait des rouleaux et la joie des surfeurs et qui, au moins depuis Dans les ombres sylvestres et l’Année de l’hippocampe, avec toute cette forêt derrière les dunes, fait bien plus que de servir de décor aux romans de Jérôme Lafargue.
Et plus encore En territoire Auriaba – car tel est le titre de celui qui vient de paraître. Vous me direz ce que vous en pensez mais moi, ce titre, quand je l’ai découvert, ce n’est pas du tout dans les Landes qu’il m’a transporté. L’Atlantique d’un coup franchi, je me voyais traverser des étendues sauvages habitées par quelque tribu indienne inconnue. Eh bien c’est peut-être le cas aussi, car chez Lafargue les lieux se superposent les uns aux autres sans contradiction au gré d’une sorte de cryptogéographie (outre en effet une Amérique d’autrefois la côte marocaine aussi est convoquée), comme les générations aussi se superposent aux générations. Les Auriaba y sont des hommes en effet, au patronyme d’une origine douteuse ou cryptée là encore, toute une généalogie d’hommes qui sur cent soixante années se sont reproduits presque sans femme comme s’ils étaient quasi le même – du moins leur initiale est la même ; et qui vivent là, entre la forêt qu’ils arpentent et l’océan où ils surfent quand ils ne courent pas les bois. Et qui cherchent. Archibald, le narrateur, cherche. Un récit alterné nous le montre d’ailleurs en compagnie de son ami La Serpe, à moitié indien bien qu’on soit dans nos forêts landaises à nous – mais le sont-elles ? c’est plutôt une mythologie que l’on traverse –, en pleine traque, dont on ne révèlera pas l’objet, tandis que son neveu Aupwean, un garçon de dix ans qui vient de perdre son père à l’autre bout du monde, cherche aussi. Savent-ils quoi ? Quel rôle jouent Arthur Rimbaud et Alphonse Allais dans cette histoire ?
Voilà que je me prends à imiter les quatrièmes de couverture des romans de notre enfance. C’est qu’à mes yeux (je vais encore dire je car ceci est un blog et je ne sépare pas mes lectures de mon propre travail) Jerôme Lafargue incarne merveilleusement l’écrivain que je ne suis pas. Un conteur – Archibald Auriaba lui-même est un merveilleux conteur, ce n’est pas Aupwean qui dira le contraire – qui me procure un plaisir comparable à celui qu’éprouvait autrefois le lecteur de Jack London que pourtant je ne suis plus, simplement parce que le temps a passé. Et c’est bien là que je sens quelque chose de vraiment étonnant. Lafargue joue avec le lecteur que nous avons été en nous proposant une aventure (car n’ayons pas peur des mots : j’entre avec lui en aventure comme adolescent je le faisais avec Hugo Pratt) tout en superposant à cette aventure une sorte de verre magique qui tient du rêve et nous fait délicieusement douter de ce qu’on lit, parce qu’on est déjà un vieux lecteur roué qui ne veut pas se croire dupe. La condition d’une nouvelle cure de jouvence.

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