jeudi 15 octobre 2015

Merci Katchadjian



Merci est le deuxième livre que je lis de l’Argentin Pablo Katchadjian, après Quoi faire, récemment paru aux éditions Le Grand Os (Merci pour sa part est paru aux très récentes éditions Vies parallèles dans une traduction de Guillaume Contré). Eh bien ce Katchadjian, je ne suis pas près de le lâcher. Je trouve son travail proprement fascinant. Plus narratif que Quoi faire, Merci partage avec ce dernier la récurrence des motifs, carrément obsessionnelle dans Quoi faire, plus discrète dans Merci, laquelle suscite chez le lecteur ces impressions bien connues de « déjà vu » qui nous font mettre en doute la réalité.
La dimension onirique est toujours présente mais moins marquée et il n’est pas difficile de faire un résumé objectif de Merci : le narrateur est un esclave acheté pour sa bonne mine par un châtelain nommé Hannibal, plutôt bonhomme en apparence et même bienveillant avec son personnel pour un esclavagiste (logé dans une chambre confortable du château, notre héros trouve régulièrement son petit déjeuner servi au réveil), mais qui charge régulièrement son esclave de tâches si humiliantes et si horribles que celui-ci ne peut pas nous les décrire. Suivent des événements qui, mis bout à bout, constituent une histoire à proprement parler, tout aussi facile à résumer, mais que je ne vais pas vous raconter puisque vous allez lire le livre – et qui constituent en même temps autre chose qu’une histoire.
Car tout n’est pas si facile à dire. De temps en temps, une phrase s’arrête, inachevée. D’autres fois, ce sont les personnages, qui ne peuvent pas trouver les mots pour dire ce qu’ils vivent, ce qu’on leur fait subir. Le narrateur lui-même, mais aussi Ninive, jolie servante d’Hannibal qui reçoit chaque nuit la visite de son maître, et qui ne refuse qu’au héros le récit de ses misères. Et l’on sent bien – on verra, même, on verra sans savoir – à quel point ce qui n’est pas dit dépasse le pouvoir des mots.
Le seul choix, celui qui s’impose, est celui de la révolte, dont notre narrateur devient le héros (j’ai vérifié que l’information était en 4e de couverture avant de vous la donner, hein). Mais un choix qui s’impose, poussé par autrui qui plus est – les autres esclaves mettant notre héros au pied du mur – est-il encore un choix ? Evidemment c’est la liberté elle-même qui est en question, et l’identité, car est-on encore soi-même lorsqu’on obéit à un choix dicté d’avance ? Tout cela n’est pas dit – heureusement – mais plutôt évoqué par des événements au caractère onirique marqué qui donnent à cet étrange roman une puissance d’abord poétique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire