dimanche 17 avril 2016

je suis le grand bénéficien

Ne me croyez pas. Autour de moi, le grisâtre pue comme un œuf pourri, je suis un œuf pourri. Un sale petit menteur qui tapait sur une vieille machine à écrire, puis sur une électronique, un ordinateur. Ainsi passaient dimanche matin après dimanche matin, se redressant vers une médiocre modernité. Le monde s'allongeait debout sans autre mot à dire que cette sentence : je n'ai pas de sexe. J'ai perdu mon sexe quelque part vers l'âge de trois ans, j'aime bien penser à moi en termes d'âge, je n'ai pas d'âge, mais j'aime bien. Le monde se transforme en bénéfice, tout devient bénéfice pour moi, je suis le grand bénéficien, je bénéficie de crimes, de violences, d'assassinats, d'accidents de voiture et de vomissures à la viande hachée. En promotion celle-là, trois pour le prix de deux, toutes vomies mais avec points de réduction pour l'achat de vaisselle ou de bouffe pour chien, chat, hamster, crocodile ou serpent. C'est ainsi que tourne le monde, et ce monde épingle à mon œuf la médaille du mérite. Le monde me remercie, me dit que je suis quelqu'un de bien, de courageux. Je suis bénéfice, je suis celui qui monte, ils sont contents de moi. Je fonctionne et fonctionne bien et fonctionne mieux, je rentre dans le moule et le moule m'écrase. Ils sont contents que le moule m'écrase. Je souris, tout va bien. Moi, médaillé sur mon œuf, je n'ai pas honte, j'ai bénévicié.


Andreas Becker, Les Invécus, éditions de la Différence, 2016, p. 69-70.

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