vendredi 25 septembre 2015

évidences et évidances : les Poèmes évidents de Guy Bennett



Je viens de lire les Poèmes évidents, de Guy Bennett, traduits par Frédéric Forte et l’auteur, postfacés par Jacques Roubaud et publiés par les éditions de l’Attente ; ça me faisait beaucoup d’évidentes raisons pour les lire.

Ces Poèmes évidents sont des poèmes qui se donnent pour ce qu’ils sont et rien d’autre. Le Poème préliminaire, par lequel j’ai commencé ma lecture parce que j’ai l’habitude de lire les livres en commençant par le début, dit et illustre clairement le projet, qui est précisément de dire ce qu’on illustre et d’illustrer ce qu’on dit. Lisez plutôt :



Poème préliminaire



Ce poème est autonome et

auto-suffisant.



Il ne nécessite ni commentaire critique

ni explication d’aucune sorte pour véhiculer son sens,

qui est évident.



Ne dépassant pas une page,

il convient tout à fait

à la publication en revue

comme en anthologie.



Il peut se lire d’une seule traite

et n’éprouvera pas outre mesure le lecteur ou l’auditeur

car il n’a besoin ni ne profite d’aucune

réflexion excessive après lecture.





Voilà. Je me garderai donc bien d’en faire un commentaire, en disant par exemple à quel point, sous l’apparence d’un texte apparemment dépourvu de tout ce qui aux yeux du lecteur en fait un poème, ce poème parvient à se jouer d’une des principales aspirations d’un poème, à savoir devenir un objet en soi-même. Je ne rajouterai pas que l’objet peut donc être ce quasi-rien, à la fois négation de ce qui fait le poème dans l’horizon d’attente du lecteur (j’éviterai par exemple de faire remarquer qu’il ne reste plus du vers dit libre que l’extrême pauvreté du récurrent retour à la ligne), et affirmation que l’affirmation de soi-même suffit ; je ne décrirai donc pas ce texte et le livre qu’il introduit comme un énoncé performatif d’auto-affirmation poétique, je ne rajouterai pas qu’il suffit donc finalement que le texte se dise poème, soit rassemblé avec d’autres textes qui pareillement se disent tous poèmes (le mot poème étant en effet présent dans tous les titres du présent recueil), dans un livre qui intitulé Poèmes… s’affirme donc, tout aussi performativement lui aussi, comme un recueil de poèmes, la poésie y étant ainsi réduite à l’affirmation d’elle-même.

Mais je veux bien rappeler quand même, puisqu’en le faisant je ne commente pas directement ce poème ni le recueil dont il est préliminaire, qu’on parle d’énoncés performatifs pour ces phrases qu’il suffit de prononcer pour faire la chose qu’elle ne font que dire. Par exemple : Je vous emmerde. Il suffit en effet de dire « je vous emmerde » à quelqu’un pour signifier à la personne concernée qu’on l’emmerde en effet et qu’elle peut désormais se tenir pour emmerdée dans toute la réalité possible de la merde. J’invente cet exemple parce que je ne me souviens plus bien de ceux employés par le distingué J.L. Austin dans son traité Quand dire, c’est faire (How to do things with words en anglais).

En revanche je me garderai bien de dire tout le bien que je pense du titre de ce recueil comme du recueil lui-même, aussi bien dans sa version française que dans sa version originale, car sachez que s’il vous prenait l’idée de retraduire ce livre en anglais (c’est une idée qui m’a traversé récemment : retraduire les œuvres traduites dans leurs langues originales, quitte à les retraduire en français ensuite, et encore une fois ; on aurait des surprises) son titre que vous pensiez évidemment être Obvious Poems n’est pas du tout celui-là, à l’évidence vous vous trompiez d’évidence ; il s’agit en réalité de Self-Evident Poems. Car le poème évident de soi-même, pour l’être vraiment, doit accepter de s’évider – mince ; je ne voulais pas le dire, ça m’a échappé. Je ne rajouterai donc pas, pour ne pas aggraver mon cas, qu’il doit se réduire à tout ce qui n’est pas lui-même pour poser enfin la question de ce qu’il est vraiment.


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