mardi 19 mars 2024

Ils sont aux anges.

Ils sont aux anges. Avec mon stylo et Sans son stylo, à moins que ce ne soient Sans son stylo et Avec mon stylo. Guillaume Contré leur consacre toute une page, une page du Matricule qui aurait pu rester immaculée si l’encre n’avait pas coulé, et c’est peut dire qu’elle coule dans ce livre. Me voici donc aux anges car mon nom, pourtant absent des deux couvertures du livre(s), se retrouve, en belle compagnie, sur celle dudit Matricule. Lecture :



lundi 18 mars 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 18

À chaque fois que, chez Brunnen, Messerschmied avait pris l’ascenseur pour se rendre dans le bureau de Monsieur Witz, il ne s’était rien passé. C’était pourtant vrai : à chaque fois, l’ascenseur avait fonctionné normalement. C’est sans doute pourquoi, dans ce que Messerschmied considérait à présent comme son inconscience – il préféra d’abord se dire « inconscience » pour n’avoir pas à exprimer explicitement son sentiment, car au bout d’un moment, il finit par admettre que de sa part, c’était moins de l’inconscience que de l’inconséquence, ou pire, une sorte de folie, une forme de pulsion de mort – c’est sans doute pourquoi, sans même se poser de questions (mais comment, comment avait-il pu agir de la sorte, sans même se poser de questions, sans prendre la moindre précaution élémentaire) ; c’est sans doute pourquoi il avait continué à prendre l’ascenseur, comme si lui, Messerschmied, chez Brunnen, il pouvait prétendre prendre l’ascenseur en toute impunité. Ce fut donc ce jour-là que Messerschmied dut payer pour toute cette inconscience, cette inconséquence, cette folie : il resta durant une heure et dix minutes coincé dans l’ascenseur, une heure et dix minutes dont il consacra les dernières à détruire, une bonne fois pour toute, les raisons de sa présence chez Brunnen.

276




dimanche 17 mars 2024

court toujours (249)

Attends donc que la nuit tombe ou que le brouillard se lève, tu verras comme c’est beau quand on n’y voit plus rien.




jeudi 14 mars 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 17

Ce n’était pas le contrat. Messerschmied n’en revenait pas : il était allé chez Brunnen, aucun événement grotesque n’était survenu, il avait signé – mais ce n’était pas le contrat. Le préposé, apparemment, s’était trompé de document. Il est vrai aussi, Messerschmied devait bien le reconnaître, il est vrai que dans sa hâte d’en finir, Messerschmied n’avait pas relu le contrat, sans quoi il se serait immédiatement rendu compte de la méprise. Il est vrai aussi que l’auteur de la confusion n’avait pas les responsabilités nécessaires pour faire signer le contrat à Messerschmied. Bref, Messerschmied devait bien admettre que si le contrat n’était toujours pas signé, la faute en revenait pour une bonne part à lui-même. C’est pourquoi, sans attendre une nouvelle invitation, laquelle il pouvait bien considérer comme tacite, il retourna une nouvelle fois chez Brunnen, toujours en hâte, en hâte, qu’on en finisse de cette affaire, qu’on en finisse enfin. Il était arrivé à l’étage du bureau de Monsieur Witz, cette fois ils allaient enfin signer le contrat, il tourna à gauche dans le couloir, trébucha et s’affala dans un bassin pneumatique rempli d’eau ; il aurait dû s’en douter, il aurait dû regarder où il mettait les pieds, il aurait dû deviner que là, juste à l’angle du couloir, il y aurait forcément un bassin pneumatique rempli d’eau.

265



mercredi 13 mars 2024

à propos de mon stylo et de mon nom

Voici que mon nom apparaît sur la couverture du Matricule des Anges du mois de mars ; je n’en suis pourtant pas un des auteurs. Il faut croire qu’il (mon nom) s’est trompé de couverture, puisqu’il n’apparaît pas sur celles de Sans son Stylo / Avec mon stylo. Si ça se trouve (et ça se trouve très probablement), il est question d’Avec mon stylo / Sans son stylo sous la couverture dudit Matricule ; il va falloir la soulever.

En attendant, on peut aussi, depuis hier, lire l’article très fin (je trouve) que consacre la Viduité au même livre anonyme.




mardi 12 mars 2024

court toujours (248)

Quiconque commence une phrase par « je suis » est probablement pourvu d’une existence verbale.





lundi 11 mars 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 16

C’était vraiment trop bête. Vraiment, c’était trop bête. C’était vraiment trop bête, enfin. N’y tenant plus, et sans même attendre une nouvelle invitation de Monsieur Witz, Messerschmied se rua, c’est bien le mot, Messerschmied se rua chez Brunnen. Il fallait mettre un terme à cette affaire qui prenait des proportions franchement déraisonnables. Une fois le contrat signé, une fois le contrat enfin signé, toute chose rentrerait dans l’ordre. L’ordre, il n’y avait que ça. L’ordre, c’était la seule chose qui comptât. Messerschmied arriva chez Brunnen et sans même avoir le temps de s’en faire la remarque, parvint au bureau de Monsieur Witz sans que le moindre incident insolite ne vînt l’interrompre. Il demanda immédiatement à voir Monsieur Witz, mais celui-ci était absent : il avait la grippe, lui apprit-on. Mais peu importait la présence ou l’absence de Monsieur Witz pouvu que Messerschmied pût signer le contrat, or le contrat devait se trouver dans ce bureau, non ? Le préposé fouilla un tiroir et en tira la liasse désirée. Messerschmied l’avait lu et relu tant de fois, ce contrat ; il en connaissait chaque terme par cœur. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, il apposa sa signature au bas de chaque page et repartit sur-le-champ, dans une sorte d’éclair triomphal qui lui laissa comme une vague sensation d’irréalité.

248





dimanche 10 mars 2024

court toujours (247)

Tu peux répéter ?

On ne peut jamais répéter : la deuxième assertion ne peut pas être la première, même si les mots sont les mêmes.




vendredi 8 mars 2024

Une écriture qui ne doit pas tuer sur-le-champ

« On ne peut évidemment pas se servir d’une écriture simple ; elle ne doit pas tuer sur-le-champ, mais dans un délai de douze heures (…) »


Franz Kafka, la Colonie pénitentiaire.


Oui, je viens de relire La Colonie pénitentiaire ; et je n’ai pas résisté à sortir cette petite phrase de son contexte : elle dit tellement bien ce que nous ressentons.



jeudi 7 mars 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 15

En y repensant, cet épisode soûlographique collait vraiment mal avec tout ce que Messerschmied avait pu voir de Monsieur Witz, depuis qu’il avait affaire à lui. Il y avait probablement une explication, un malentendu. Et puis après tout cela ne regardait pas Messerschmied, aussi décida-t-il d’oublier l’incident et de se rendre derechef chez Brunnen, contrat sous le bras, sur l’invitation on ne peut plus courtoise que ne manqua pas de lui adresser Monsieur Witz. Au fond de lui, Messerschmied était d’excellente humeur. Il ne pouvait s’empêcher d’être d’excellente humeur. C’est d’un pas alerte et décidé qu’il pénétra dans le bureau de Monsieur Witz, qui lui tenait obligeamment la porte. D’un pas sans doute trop alerte et trop décidé, car Messerschmied dérapa sur le parquet trop bien ciré et s’aplatit contre le mur d’en face, lequel, qui plus est, venait manifestement d’être fraîchement repeint ; la peinture n’était même pas sèche encore, au point que le contrat que Messerschmied tenait à la main se retrouva collé au mur, tel un trophée dérisoire et absurde.

212



mercredi 6 mars 2024

Avec Kafka

Ça y est, je viens de finir Kafka, le temps des décisions, la monumentale biographie de Reiner Stach, plus de huit cents pages qui pèsent entre les mains. Impression d’être avec Kafka. Impression redoublée car, depuis l’adolescence, j’ai souvent senti la présence de Kafka. C’est troublant, presque gênant parfois, cette intimité. Et pourtant on a envie d’y revenir. Heureusement j’ai déjà dans ma bibliothèque Kafka, le temps de la connaissance – car ce n’est pas fini ; merci Reiner Stach. Ça me prend du temps parce que je lis d’autres livres aussi, et parce que ça prend du temps, cette folie de travailler sur plusieurs textes en même temps. On n’est jamais sûr de terminer vraiment quoi que ce soit. J’ai relu le Verdict, récemment. Là, je viens de reprendre La Colonie pénitentiaire.



mardi 5 mars 2024

Sans son stylo, c’est lui-même qui lui manque.

Petite lecture du jour : un extrait de Sans son stylo, pour changer.

(Sans son stylo et son versant opposé Avec mon stylo sont disponibles en un seul volume qu’on peut lire dans tous les sens du sens aux éditions DO.)




lundi 4 mars 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 14

Quand Messerschmied retourna chez Brunnen, il n’y resta pas longtemps. Le bureau de Monsieur Witz était entrouvert et une voix, qui n’était pas celle de Monsieur Witz, tutoyait familièrement son interlocuteur, accusé de se précipiter sur toute bouteille laissée à sa portée. Un coup d’œil dans la pièce confirma ce que Messerschmied venait d’entendre : Monsieur Witz, manifestement ivre-mort, gisait affalé par terre, une bouteille vide à la main, et se faisait sermonner par un comparse coiffé d’un bonnet à pompon. D’autres bouteilles, en quantité difficilement imaginable, jonchaient le sol. Dégoûté, Messerschmied partit sur-le-champ.




dimanche 3 mars 2024

court toujours (246)

Chez l’espèce humaine, on donne un nom propre à chaque individu. Ça lui donne l’impression d’exister.




samedi 2 mars 2024

court toujours (246)

Non vraiment, il faut distinguer l’œuvre de son auteur.

Et à quel salopard penses-tu, cette fois ?

À Dieu.




jeudi 29 février 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 13

Messerschmied était en avance. Il était arrivé chez Brunnen avec cinq minutes d’avance, parce qu’il était comme ça, Messerschmied ; il fallait que les choses avancent. Il était très élégant, comme d’habitude, malgré son embonpoint léger ; il portait son complet bleu, assorti à sa cravate d’un bleu à peine plus clair, laquelle disparaissait sous un gilet grenat – il faisait encore frais ; d’ailleurs il avait aussi sorti son pardessus tout neuf, son chapeau, ses gants et un élégant foulard à motifs fleuris. En attendant Monsieur Witz, qui n’était pas encore là – sans pour autant être en retard et d’ailleurs Messerschmied ne s’impatientait pas, peut-être même appréciait-il ce court instant de tranquillité –, en attendant Monsieur Witz, Messerschmied se débarrassait de son pardessus, de son chapeau, de son foulard ; il y avait là, contre le mur, un porte-manteau d’un goût douteux prêt à recevoir les affaires de Messerschmied. L’esthétique de l’objet lui paraissait bien un peu incongrue mais enfin, Messerschmied ne prétendait pas s’y connaître en design, aussi le regardait-il avec une vague curiosité ; c’est ainsi qu’il remarqua que ce porte-manteau était pourvu d’un fil électrique. La fiche n’était pas branchée à la prise toute proche. La tentation était trop forte pour Messerschmied ; sa curiosité, qu’il aurait volontiers qualifiée de scientifique, l’emporta sur toutes les considérations de sécurité qui auraient dû retenir son geste : il brancha le fil dans la prise. Aussitôt le porte-manteau s’anima ; c’était un objet articulé, manifestement mécanique mais quasi doué de vie, et aussi d’une intention mauvaise car en quelques secondes le pardessus de Messerschmied, ainsi que son foulard et son chapeau furent réduits en charpie sous les yeux exorbités, les nôtres le seraient à moins, de leur propriétaire.

142



mercredi 28 février 2024

court toujours (245)

Plus il y a de vivants, plus il y a de morts.

Mais plus il y a de morts, moins il y a de vivants.

Donc : plus il y a de vivants, moins il y a de vivants.




mardi 27 février 2024

lundi 26 février 2024

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 12

Messerschmied était d’excellente humeur. Il était de retour chez Brunnen, dans le bureau de Monsieur Witz, et il était d’excellente humeur. Monsieur Witz aussi, d’ailleurs, était d’excellente humeur : il rayonnait. La raison de tant de bonne humeur était claire, évidente ; le contrat était là, dans les mains de Monsieur Witz, qui éprouvait même le besoin de la proférer oralement, la raison de toute cette bonne humeur, laquelle n’était rien d’autre que cette présence immédiate du contrat, dans ses mains à lui, Monsieur Witz, face à Messerschmied, Messerschmied qui n’attendait qu’une chose : signer le contrat. Ils étaient tous les deux si joyeux que Messerschmied était même capable de plaisanter à propos de tous les désagréments qui les avaient jusqu’à présent empêchés de signer le contrat, désagréments dont il ne parvenait plus à se rappeler la nature ; qu’est-ce donc qui les avait empêchés de signer le contrat ? c’était pourtant si simple ; d’ailleurs ils allaient le faire, là, incessamment ; ils allaient signer le contrat ; ils allaient signer le contrat au moment où, se retournant brusquement, le préposé au ménage brandit le manche de son aspirateur allumé vers eux : le contrat, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, disparut aspiré par l’engin, comme si cela vraiment était possible, comme si vraiment ce retour à la poussière avait un sens.

209



dimanche 25 février 2024