lundi 20 octobre 2014

si nous avions eu un enfant



Il est sorti de la pièce, et je t’ai dit : « Ce n’est pas vraiment la peine, n’est-ce pas ? »
– Qu’est-ce que tu veux dire ? as-tu répliqué, tournant brusquement la tête de mon côté, et baissant tout aussi vite les yeux vers le sol.
– Que je vienne vous voir, ai-je dit.
– Je ne vois pas ce que tu veux dire », as-tu répondu.
Puisque tu ne voulais pas aborder le sujet, que pouvais-je dire de plus ? J’ai essayé d’en parler avec lui quand il m’a raccompagnée.
Je suis restée sans rien dire pendant un long moment, regardant par la fenêtre, écoutant dans une semi-inconscience le bruit de son crayon sur le papier. J’ai fini par dire :
« Je vais partie maintenant. »
Il a levé les yeux de son dessin. « Déjà ?
– Oui, ai-je répondu. Il faut que je rentre.
– Eh bien », dit-il.
Il a posé son crayon et son carnet de croquis et s’est levé.
« Ne te dérange pas, dis-je. Je peux quitter la maison toute seule. »
Mais il m’attendait déjà, debout près de la porte. Je me suis penchée pour t’embrasser rapidement, mais tu as à peine réagi, tu as levé la main vers ma joue et tu l’as laissée retomber.

Gabriel Josipovici, Contre-Jour, Gallimard, 1989, p. 52-53.


Je t’en supplie, reviens. Viens nous voir. Je ne te demanderai pas de rester.
Ta présence nous permettra de combler le fossé qui nous sépare. Avec toi il nous sera possible de nous parler à nouveau.
Quand j’essaie de lui parler c’est toujours au travers de ton ombre absente.
« Si elle était ici, tout serait différent.
– Mais non, me dit-il. Il ne faut pas dire des choses pareilles. »
Je lui dis : « Si nous avions eu un enfant tout aurait été différent. »

Gabriel Josipovici, Contre-Jour, p. 129.

Ce sont deux extraits – deux détails, plutôt – de Contre-Jour, de Josipovici décidément, détails puisque le roman est sous-titré « Triptyque d’après Pierre Bonnard ». Et décidément, parce qu’on a rarement aussi bien parlé du sentiment de l’inexistence – qui est aussi mon seul sujet, si j’en ai un. Deux extraits des deux premières parties : la voix de la fille, puis celle de la mère. Le père est presque muet puisqu’il est peintre, et sa lettre trop courte pour que je puisse la citer.
Rappelons que cet automne a vu la parution chez Quidam de Goldberg : Variations.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire