jeudi 27 février 2014

Mon jeune grand-père (28)

Le 10 avril 1917. Mes chers parents.
Je suis en retard cette fois-ci mais c’est les fêtes de Pâques qui en sont la cause. Encore des fêtes qui n’ont pas été très gaies. Espérons qu’il n’y en a plus beaucoup comme cela à passer. Comme courrier j’ai reçu la lettre de Geneviève du 19, les cartes de Papa des 20.21.22 et la lettre de maman du 25. J’ai reçu aussi une carte de ma Tante Maria du 22 fév. Pauvre Tante, elle s’ennuie un peu, mais enfin sa santé est bonne c’est le principal. Je ne saurai sans doute jamais qui était la Tante Maria. J’ai reçu aussi une carte de (le nom est illisible, je dirais toutefois qu’il commence par un G et se termine par -lly ; j’imagine que c’est le nom de la commune) de l’oncle Desmaretz du 30 mars. D’après mon père qui relit le sien par-dessus mon épaule, c’est le nom de cousins de la région lilloise. Je ne vois pas a priori de commune qui corresponde dans le département du Nord, mais j’ai un peu la flemme de chercher. Ce n’est pas ce que je cherche en recopiant ces cartes. Pour lui aussi la vie ne doit pas être gaie en ce moment, néanmoins eux aussi sont tous en bonne santé. Comme colis j’ai été assez favorisé j’ai reçu presque tous ceux en retard ce sont les colis poste n°s 26.27.28.29.30.1.2.3.4.5.6.7.8.9.10 et 12. le colis gare n°10 ainsi que le 5e gare (mais j’ai un doute, c’est écrit vraiment tout petit) et 3 colis de pain des 6.14.10. Tout était en bon état et très bien, je vous en remercie de tout cœur. Une mention à Geneviève pour sa lettre, et ses caramels. Je crois bien me rappeler aussi qu’elle aimait les confiseries. Une nouvelle disposition (j’ai d’abord lu « disparition », je corrige) dans la distribution des colis fait que nous attendons très longtemps notre tour. Aussi vous seriez bien gentils de m’envoyer moins de colis poste, pour que je ne sois pas forcé d’aller si souvent à la réception. L’exposition qui a eu lieu dimanche et lundi était très réussie. C’était vraiment très bien. Dites à Geneviève que je prends bonne note de son coffret. Cette phrase, voilà. Certainement énigmatique aux yeux d’un étranger, je sais vraiment de quoi elle parle. Ce n’est pas si souvent. Elle parle d’un petit coffret que je connais bien et qui n’existe pas encore. Dites à Jean qu’il a tort de ne pas travailler. (Edmond a taillé son crayon. La place manque, pour écrire petit il faut que la pointe soit fine.) S’il veut voyager plus tard avec son père il faut qu’il soit très instruit. Je ne comprends pas bien la suite. Je lis : Maman (un mot court et illisible) cousine Ducrot et Berthe ont paraît-il changé aussi de résidence. Cette phrase était vraiment difficile à déchiffrer. J’ai passé du temps dessus. Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis (j’écris « Louis » parce que je sais bien que c’est Louis, mais ça pourrait tout aussi bien être Lucien), Madeleine et Jean et toute la famille. Votre fils qui vous aime de tout son cœur. EAnnocque

lundi 24 février 2014

comment, par un jour de pierre, les mots changent de sens


Je n’accorde aucune confiance aux mots. J’ai déjà dû l’écrire ailleurs mais je ne sais plus où : ils veulent déjà dire quelque chose sans moi, et cette volonté est toujours susceptible d’entrer en contradiction avec la mienne. Les mots que j’aurai écrits voudront toujours dire aussi autre chose que ce que j’aurai voulu dire.
Pour autant, je ne crois pas un instant que ça doive empêcher d’écrire. Je crois même au contraire que c’est ce qui rend possible la littérature.
Il y a une dizaine d’années j’ai lu, dès sa parution à l’Esprit des Péninsules, Pays perdu, de Pierre Jourde. J’étais curieux de lire ce qu’écrivait par ailleurs l’auteur de la Littérature sans estomac, paru peu de temps avant. Le seul auteur qu’il y évoquait et que j’avais déjà lu y était traité avec un enthousiasme qui ressemblait au mien lors de ma découverte des Absences du Capitaine Cook – puisqu’il s’agit bien sûr d’Eric Chevillard. C’est un peu hors sujet tout ça mais pas tellement : je veux dire que, tandis que Jourde apparaissait non sans raisons à d’autres comme une sorte de cogneur des lettres, j’ai d’abord vu en lui le lecteur enthousiaste et chaleureux. Subjectivité de toute lecture.
Et j’ai vraiment beaucoup aimé Pays perdu. Du coup j’ai lu d’autres livres du même auteur, comme on dit, et précisément ils n’avaient pas forcément l’air a priori du même auteur. Et bien sûr ça ne pouvait que me retenir.
Et puis j’ai appris cette affaire, je ne sais plus comment mais sans doute dès que la presse en a parlé – je parle bien sûr de celle à l’origine de la première pierre, le dernier livre de Pierre Jourde, que je viens tout juste de terminer (il est paru à la rentrée de septembre mais moi je lisais le Maréchal absolu, dont l’épaisseur explique sans doute en partie pourquoi la première pierre vient tant d’années après l’affaire mais ne doit pas vous faire reculer pour autant : c’est un vrai grand livre). J’ai appris cette affaire et j’ai fait partie de la catégorie des incrédules, Pierre Jourde en effet liste les différentes réactions ; ce livre à l’évidence était un hommage au pays et je ne voyais pas comment il pouvait être perçu autrement. Sauf que ce pays n’est pas le mien et qu’en plus je n’en ai pas. Mais même l’auteur lui-même n’imaginait rien de tel.
Nous devrions pourtant savoir, nous qui écrivons mais aussi lisons, comment la lecture s’approprie le texte et en écrit à chaque fois un nouveau. Si je mets plein de « je » partout dans ce billet c’est parce que je sais bien que je ne parle pas de la première pierre de Pierre Jourde mais de ce que la lecture de ce texte suscite en moi.
Pierre Jourde avait intitulé son livre Pays perdu. Je ne l’ai pas relu depuis sa parution. Mais je me rappelle comment dès les premières lignes le narrateur situe le pays au bout d’une route improbable, quelque chose de mythique et de merveilleux pour le lecteur étranger. C’est dans ce sens en effet que l’auteur avait écrit ces premières lignes ; mais comment ne pas voir, en se plaçant depuis ledit pays, qu’il s’agit aussi d’un pays paumé ? Moi qui n’habite qu’à une demi-heure de Paris par le train il m’arrive bien souvent de râler que c’est paumé, où je vis – et pourtant c’est presque touristique aussi. Dès le titre les lectures fatalement divergent, les esprits s’échauffent.
Et puis il y a l’événement. Et l’événement aussi change le sens des mots. Le livre vit sa propre vie avec les mots dont il est écrit et échappe à son auteur. Ce ne sont pas les personnages qui, selon le cliché habituel, échappent à leur auteur ; mais bien les mots eux-mêmes. Il a dit des choses qu’il n’avait pas le droit de dire. Les choses qu’on n’a pas le droit de dire sont souvent de très peu d’importance et connues de tous – même si elles sont dans le cas présent supposées être secrètes dans un pays où la configuration des lieux même rend le secret impossible. Je me souviens un peu de cette notion du « droit de dire » évoquée jadis dans un cours de linguistique, peut-être bien de logico-sémantique ; en fait je ne me souviens de presque rien sauf que le droit de dire est un préalable à toute parole. A fortiori écrite, circonstance aggravante. On ne se pose pas la question de savoir si celui qui a pris le droit de dire qu’il n’avait pas était bien conscient de son infraction : son Pays perdu va le prendre aux mots. Il y retournera quand même mais le pays désormais restera perdu pour lui. Il faudrait lui demander s’il avait pensé à Milton en donnant ce titre.
Mais ce n’est pas pour Pierre Jourde seulement que le Pays perdu a changé de sens : les lecteurs qui découvrent ce texte aujourd’hui, publié initialement chez un petit éditeur, ne pourront le faire qu’à travers le prisme des événements et surtout, dans ce cas souhaitons-le, celui de la lecture de la première pierre. Pour ma part, j’ai l’impression de l’avoir lu autrefois en toute innocence. Quand je le relirai ce sera un autre livre.
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Commentaires

Ce qui est très étrange, c'est que ce n'est pas forcément une vraie lecture de Pays Perdu qui a provoqué les "événements", mais ainsi que Pierre Jourde le dit lui-même, ceux-ci n'ont été mis en marche que par l'ombre d'une lecture (mais en réalité n'étaient-ils pas en préparation bien avant?), des mots parfois isolés et seulement rapportés, des mots qui ont servi de disjoncteurs, certains des protagonistes ne l'ayant même pas lu du tout. Les mots ont été distordus, ce qui me fait songer aux prestidigitateurs qui, selon leurs dires, parviennent à tordre les petites cuillers rien qu'en les regardant.
Commentaire n°1 posté par Michèle le 24/02/2014 à 17h42
La lecture génère des fictions qui débordent de ce que l'auteur écrit.
Réponse de PhA le 26/02/2014 à 18h54
Bien que n'ayant pu vous écouter sur France Culture et, donc, ne sachant ce que P.Jourde aura pu dire à propos de son "Pays perdu", je confirme ce que j'avais écrit par ailleurs et que tu soulignes: lire tout d'abord "La première pierre" permet sans doute ensuite 2 "modes" de lecture de "Pays perdu", "l'oeuvre littéraire" d'une part et le "récit" plus personnel mais distancié d'un "monde" dont il parle avec profondeur, "intimité" mais qui pourrait "échapper" au lecteur s'il n'en connait pas la "conclusion".
(j'exprime sans doute fort mal ce que j'ai ressenti très vivement à la lecture de ces 2 livres)
Commentaire n°2 posté par chris le 16/06/2014 à 14h20
L'artiste est-il maître de son oeuvre ? demandait-on ce matin en philo ce matin.
Tu pourras sûrement écouter le podcast de l'émission à un moment ou un autre.
Réponse de PhA le 16/06/2014 à 18h29
A la question-sujet de bac S: je répondrais volontiers non sachant, bien entendu, que le sujet prête à débats;-)
(En aparté: pourquoi les sujets "philo" du bac sont-ils toujours et depuis lontemps, plus pssionnants, plus "ouverts" que cedux proposés aux L?)  
Commentaire n°3 posté par chris le 17/06/2014 à 11h51
(C'est vrai ? Ma foi je n'y ai pas regardé d'assez près.)
Réponse de PhA le 19/06/2014 à 16h40
(mille excuses pour ces "fautes" involontaires!)
Commentaire n°4 posté par chris le 17/06/2014 à 11h52
Du moment qu'elles ne sont pas sur une copie d'examen...
Réponse de PhA le 19/06/2014 à 16h41
Ah!La KKDémie autorise de rendre des copies dont les textes sont écrits sur smartphone?
On n'arrête plus le progrès
Commentaire n°5 posté par chris le 19/06/2014 à 18h18
Ah!!!Décidément!
"autorise A rendre..": j' "assassine" le français à mon tour mais c'est la séniliité qui s'avance.
Commentaire n°6 posté par chris le 19/06/2014 à 18h28

dimanche 23 février 2014

Mon jeune grand-père (27)

Dans la main avant même de la lire cette carte-ci me frappe par sa couleur, beaucoup moins jaunie que les autres. Pourtant c’est le même modèle. Du coup je la retourne, comme la plupart elle est adressée à Madame Annocque alors que j’ai pu voir que le texte commençait par le rituel « Mes chers parents », les indications en allemand sont les mêmes me semble-t-il, mais oui :
Absender :
Sous-lieutenant Edmond Annocque
Stübe 77a (si je je lis bien)
Offiziergefangenenlager Reisen in Posen
et une ligne de vagues en dessous. « In Posen », quand même. Je fais la recherche que je n’avais pas encore faite, plus pressé de lire le contenu des cartes ; c’est Poznan, en Pologne, « Posen » en allemand qui n’en avait plus pour longtemps à rester allemande. Voilà. Mon jeune grand-père prisonnier en Allemagne était prisonnier en Pologne mais cette Pologne-là était allemande en 1917 et jusqu’en 18. Je ne m’en étais pas vraiment soucié. Quand on est emprisonné il me semble qu’on n’est pas vraiment quelque part.
  Le 4 avril 1917. Mes chers parents.
J’ai reçu les cartes de papa des 15, 16 et 17 et la lettre de maman du 18 et aussi une carte de l’oncle Desmaretz (voilà : c’est le nom de l’oncle que je n’arrivais pas à lire sur la carte du 30 mars. Ça ne me dit rien. Ça ne me dit rien parce que mon jeune grand-père n’a jamais été grand-père. Même père il ne l’a pas été longtemps.) mais il n’y a pas de date dessus. Il me dit qu’il est toujours en bonne santé ainsi que toute sa famille, à part cela il ne me raconte rien de nouveau. Evidemment « rien de nouveau » résonne à l’oreille du professeur de français qui fait souvent étudier le livre de Remarque. Le cap B remercie papa des nouvelles qu’il lui donne. Je comprends que vous ayez été heureux de la bonne carte du Ct. Il est très gentil d’avoir répondu lui-même et je regrette qu’il n’ait pu revenir avec nous. (La suite est écrite d’une pointe légèrement moins fine, on devine qu’Edmond a gommé et réécrit ce passage.) Si tu lui réponds dis-lui que nous pensons toujours bien à lui et que nous lui envoyons nos meilleures amitiés. J’espère que Louis a passé une bonne permission et qu’il vous sera arrivé en bonne santé. Comme vous avez dû être tous heureux de sa venue. J’ai fait mes Pâques ce matin. Un prêtre d’un camp voisin est venu hier et aujourd’hui c’est tout ce qu’il pouvait, enfin cela vaut mieux que pas du tout. Ici le beau temps a l’air d’être enfin revenu, quoiqu’il ait encore neigé cette nuit, mais cette après-midi il fait un beau soleil on a plaisir à faire de longues flâneries dans le parc. Je n’ai reçu aucun colis (ici un ou plusieurs mots sont surchargés en violet sur environ deux centimètres, on ne peut pas deviner ce qu’il y a en dessous. Ça n’est pas de la main d’Edmond puisqu’il écrit au crayon à papier mais je ne vois pas ce que la censure peut trouver à censurer, peut-être que je manque d’imagination) pas trop d’importance pour le moment car nous avons de quoi attendre quelque temps. J’ai repris les leçons d’anglais qui avaient été suspendues pendant quelque temps.
  Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis, Madeleine et Jean et toute la famille.
Votre fils qui vous aime de tout son cœur. Edmond

samedi 22 février 2014

voisinade


Je ne sais pas ce qu’en pensent mes voisins mais je trouve que l’intelligence artificielle mérite bien son qualificatif.
 

mercredi 19 février 2014

demain sort l’Ironie du sort


Didier da Silva sort un nouveau livre. Pour avoir lu dès leur parution les précédents et même certains un peu avant car confessons-le il arrive qu’une estime d’abord toute littéraire vire à la franche amitié je vous le clame en toute subjectivité : c’est à chaque fois un événement. Sauf que cette fois-ci c’est différent, rendez-vous compte : Didier da Silva sort un nouveau livre ! Et ça change tout : vous avez bien compris que ce nouveau livre est un livre nouveau. On y retrouve bien sûr le Didier da Silva que vous aimez déjà – mais oui vous l’aimez, même si vous ne l’avez pas encore lu ; vous êtes sensible à sa langue sinueuse et élégante, à sa manière toute musicale de tenir le ton sur la distance, à son goût de la promenade quotidienne soudain vertigineuse. Vous reconnaîtrez donc votre auteur notamment si vous avez l’habitude de fréquenter ses blogs puisque notre homme en tient deux* : dans l’Ironie du sort aussi il est question de littérature, de cinéma, de musique – d’hécatombes et de crimes : c’est le début de la nouveauté.
C’est comme ça en effet que ça commence mais s’il y a vraiment meurtre en effet et d’horrible façon on notera que le plouf dans l’eau qui vous aura alerté est celui d’une machine à écrire : on est bien en littérature. C’est dans le vrai monde cependant que le meurtre a eu lieu et tous les protagonistes de l’Ironie du sort sont des personnages réels, comme on dit un peu vite : Leopold et Loeb furent d’authentiques assassins de même que Clarence Darrow fut leur avocat avéré ; Erik Satie, Stevenson, Benjamin Constant, Ryōkan, Philip K. Dick, Nicholas Ray, et même les frères Bogdanoff ont laissé de leur existence des traces différentes peut-être mais tout aussi incontestables (je n’efface pas Igor et Grichka : je les ai vus pour de vrai) que celles déchiffrées par Champollion ; on aurait de la peine d’avoir oublié Cortázar et Marcel Schwob, Morton Feldman et  Léon Bloy, sans parler de Henry Howard Holmes auprès duquel notre Francis Heaulme national passerait presque pour un enfant de chœur, d’ailleurs il est seul parmi les précités à ne pas l’être dans l’Ironie du sort, encore que, potentiellement infinie, celle-ci soit propre à contenir l’univers entier.
Je n’ai pas oublié Alfred Hitchcock, sa Corde d’emblée vous dit comment se nouera sans fin votre lecture : l’illusion du plan unique cependant y est moins convaincante, c’est mon avis, que le toboggan spatio-temporel de Didier da, où la coïncidence est le bumper de flipper qui renvoie le lecteur le même jour de l’autre côté de l’océan, où bien cent ans en arrière au même endroit. Car c’est ainsi que se trame la trame narrative de l’Ironie du sort. La lecture devient vertigineuse mais le lecteur heureusement est bien accroché à son livre qui le mène dans un labyrinthe dont il se demande s’il n’est pas construit selon les plans – démoniaques – du World’s Fair Hotel de Holmes mais non, il est clair que cette tentative de faire tenir l’infini en cent cinquante pages doit tout en réalité aux Vexations d’Erik Satie, on pourra lire l’Ironie du sort huit cent quarante fois de suite, indique sans l’ordonner une note de l’auteur, Didier nous parle-t-il vraiment d’Erik ? L’excitation est à son comble, la bille d’acier (c’est vous), s’affole entre bumpers, kickers et slingshots (mais qu’ai-je donc à vouloir faire entrer mon flipper dans ce livre où il n’a que faire), je veux dire par là que les coïncidences s’accélèrent, ça n’est pas mieux dit mais tant pis, les œuvres évoquées deviennent l’œuvre elle-même jusqu’au moment où tout se résout dans un instant de grâce que jalousement je garde encore pour moi.
 
Ce sont les excellentes éditions de l’Arbre Vengeur qui ont eu la belle idée et la bonne fortune de publier l’Ironie du sort.
 
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Commentaires

Tu m'as convaincu, je vais le lire.
PS Moi aussi j'ai vu Igor et Grichka pour de vrai. Deux fois, même.
Commentaire n°1 posté par Sissi le 19/02/2014 à 13h44
Deux fois même et deux fois le même - ou presque. (En même temps, même "pour de vrai" on a un doute.)
Réponse de PhA le 19/02/2014 à 14h45
Convaincue.
Commentaire n°2 posté par Sissi le 19/02/2014 à 13h46
J'ai tendance aux vertiges. Vais-je pouvoir le lire sans faire une crise (0_0)?
(Beau billet Pha)
Commentaire n°3 posté par Ambre le 19/02/2014 à 22h36
Ce vertige-là est délicieux.
Réponse de PhA le 20/02/2014 à 14h49
Ah mais au fait, cher Philippe, ton flipper n'est pas du tout importun puisqu'il y en a un noir sur blanc page 139. (D'un coup, ça m'a fait tilt.)
(et merci !)
Commentaire n°4 posté par Didier da le 20/02/2014 à 05h05
Quand je disais "potentiellement infini" !
Réponse de PhA le 20/02/2014 à 14h50
C'est un livre éblouissant : je me suis laissé emporter dans le tourbillon et n'ai pu le quitter. Je mettrai un mot sur le blog de Didier da Silva. Emue aussi par la dédicace à Dominique Chaussois.
Commentaire n°5 posté par Michèle le 08/03/2014 à 21h59
J'espère (et je crois) que ce livre fera connaître davantage le très beau travail de Didier.
Réponse de PhA le 09/03/2014 à 21h13

mardi 18 février 2014

Le 30 mars 1917. Mes chers parents.
  Je n’ai reçu ces 4 derniers (« jours » manque) que les cartes de Papa des 13 et 14 courant. En ce moment le courrier met beaucoup plus de temps à nous parvenir car il est soumis à une censure très sévère. Les colis par poste n’arrivent toujours pas, je n’ai reçu aujourd’hui seulement aujourd’hui le n° 25. Les colis gare marchent beaucoup mieux, j’ai reçu les n°s 8 et 9, 1bis, 3bis, 4b, 5b tous en bon état. C’est très bien et je vous remercie bien fort. Avant-hier j’ai revu la grande illusion sur Arte et j’ai vu les colis et dans la conversation l’étonnement que les Allemands les laissent parvenir à leurs destinataires et la réponse « sans ça ils devraient nous nourrir, ils n’ont déjà pas grand-chose pour eux » ; je ne savais plus si elle y était vraiment. Mon associé est rétabli et a repris ses fonctions culinaires hier (Daussy a fugitivement le visage de Dalio), j’en suis très heureux car je ne suis décidément pas fait pour ce genre de sport. En Kerbschnitt j’ai commencé mon 4e ouvrage, c’est une glace à main qui est dans la chambre de ma mère. Hier j’ai revu le cadre dont Edmond parlait le 26 mars, j’avais oublié qu’il encadrait un jeune moi-même et sa jeune femme, un bébé dans leurs bras ; oui Edmond, il va bien, il va au bac, au bachot cette année. Je commence à avoir attraper la main (pas mal d’hésitations décidément dans cette carte, plus que d’habitude) et à ne pas réussir trop mal. Lefebvre est bien gentil dites-lui que je le remercie, et Désiré que devient-il ? Je ne reçois toujours pas de nouvelles de l’oncle (je n’arrive pas à lire le nom. Je lis « Derniceretz ». Ce n’est sûrement pas ça. Une requête Google ne me propose rien. J’essaie « Derruceretz », après tout ce pourrait être ça, mais l’oracle reste muet.) ni de ma tante Maria. Je commence à trouver le temps long. Notre pauvre maison va sans doute être bien malmenée et nous ne retrouverons pas grande chose. Quelle triste chose tout de même ! De quelle maison s’agit-il ? J’imagine qu’il s’agit de la maison d’Arras, qui existe à peine dans mes souvenirs : surtout le couloir, l’escalier, la cour derrière la cuisine je crois. Ici le temps est toujours incertain, hier on croyait que c’était le beau temps, et aujourd’hui il pleut. Je pense toujours bien à vous mes chers parents et je vous embrasse tous les deux bien fort ainsi que Geneviève et Louis, Madeleine et Jean et toute la famille. Votre fils qui vous aime de tout son cœur
EAnnocque

vendredi 14 février 2014

(et bonne Saint-Machin)

La langue, en nous interdisant en toute logique l’impératif au verbe pouvoir et en nous l’autorisant pour le verbe aimer, accuse discrètement mais joliment notre inconsistance.

jeudi 13 février 2014

lettre à Jean-François Copé (profitons de l’aubaine)


Cher Jean-François Copé,
 
Ayant appris que vous étiez en veine d’exégèse littéraire et constaté l’efficacité de la promotion que vous avez bien voulu faire du livre Tous à poil, j’aimerais vous demander un service. Auteur moi aussi, j’ai récemment publié un album de poésie à destination du jeune public. Certes, personne ne s’y déshabille ; je m’en mords assez les doigts. J’y glisse cependant quelques idées auxquelles vous ne sauriez rester insensible, telles ce discret distique :
 
L’homme public porte en lui
son oubli.
 
Le caractère subversif de ces vers ne saurait échapper à l’œil sagace que vous cachez dans votre oreille. Je vous serais éternellement reconnaissant si vous pouviez me dénoncer lors de votre prochain passage à la télévision, de préférence à une heure de grande écoute. (J’ai aussi en réserve quelques romans destinés à un public adulte auxquels vous devriez facilement trouver à redire, n’hésitez pas.)
Dans l’attente impatiente de votre prochaine émission littéraire, je vous prie d’agréer, cher Monsieur Copé, l’assurance de mon intérêt le plus vif.
 
Philippe Annocque (bibliographie ci-contre)

 

mercredi 12 février 2014

temps et lieux

La fixité relative des lieux accuse la fuite du temps irréparable, la perte et l’absence dont se paient chaque pas en avant, chaque instant.
 
Pierre Bergounioux, Préférences, Le Cadran ligné, 2012.
 
Et pour ceux qui ne connaîtraient pas encore, en 2009 sur Poézibao Laurent Albarracin présentait son Cadran ligné.

lundi 10 février 2014

Copé au poil


http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/92/UMP_regional_elections_Paris_2010-01-21_n2_(cropped).jpg/220px-UMP_regional_elections_Paris_2010-01-21_n2_(cropped).jpg 
Le niveau baisse. La faute à l’école, n’en doutons pas. Et les ravages sont définitifs. On se plaignait naguère que les élèves ne lisaient plus les classiques, ne nous étonnons pas si aujourd’hui on rencontre tant d’adultes qui ne savent pas lire, même les livres pour enfants, tel l’indispensable Jean-François Copé. Ici à la fois le témoignage de Marc Daniau, auteur de Tous à poil, et l’exégèse télévisuelle du vengeur des petits pains au chocolat. (Non mais Marc, quand même, comment avez-vous fait pour vous dénicher un agent littéraire de cette classe, franchement ? Vous faites des envieux dans la profession, savez-vous.)

dimanche 9 février 2014

Mon jeune grand-père (25)

  Le 26 mars 1917 - Mes chers parents -
Samedi soir je me suis aperçu trop tard que j’avais laissé passer l’heure du courrier. Mais il faut m’excuser, car j’ai beaucoup d’ouvrage. Depuis quelques jours mon associé est malade et forcé de rester coucher. (La maladie de Daussy – j’imagine qu’il s’agit de lui – discrètement contamine l’orthographe.) Aussi suis-je obligé de faire la cuisine et de le soigner. Il s’agit donc bien de Daussy. Le mot « associé » me retient un instant. Une seconde, l’image de deux détectives privés. C’est à ça qu’instinctivement j’associe le mot « associé », on est loin du compagnon de captivité. Pourtant c’est bien cela aussi : la captivité les a associés, bon gré mal gré, et cette association passive, dont ils ne sont que les objets, ainsi revendiquée par le mot en devient une réelle : Daussy et Edmond – ou je devrais dire « Daussy et Annocque » se considèrent l’un l’autre désormais comme « associés », avec la solidarité qui va avec. Et comme je n’ai pas l’habitude, je mets un peu plus de temps que de raison. C’est du reste un métier qui ne me plaît pas beaucoup et je suis bien content d’être tombé sur un associé qui s’y connaît. Le mot décidément s’impose. Il n’y a manifestement pas d’autres appellations possibles. Il s’y cache peut-être aussi une petite connotation de classe. La bourgeoisie devait bien s’exporter jusque dans les camps de prisonniers. Daussy, qui sait cuisiner, n’en vient peut-être pas, ou pas de la même. (Cela fait un bail décidément que je n’ai pas revu la grande Illusion.) Voici le courrier reçu ces derniers jours (il y a un mot très court entre « ces » et « derniers » mais je ne comprends pas : je lis « fin »), lettre de Geneviève du 7, cartes de papa des 8.9.10.12 et lettre de maman du 11. Je remercie bien ma grande sœur de sa gentille lettre. Je croyais vous l’avoir déjà dit, mais depuis le départ du père nous n’avons plus d’aumônier, pendant quelque temps un prêtre d’un camp voisin est venu tous les 15 jours et dans la semaine nous dire la messe, mais depuis une paire de mois, il ne vient plus, on fait des démarches pour en avoir un de nouveau, surtout pour Pâques, mais je ne sais si ça aboutira. Le printemps a été marqué ici par une nouvelle et abondante chute de neige qui couvre encore toute la campagne. Comme coli je n’ai reçu qu’un colis de pain en retard (du coup cet unique colis de pain ne mérite pas d’s, les fautes décidément ont presque toujours un sens) et le colis gare n°7. J’ai reçu ma commande de Kerbschnitt, il y a quand même une glace et un cadre. Ah ! Cette glace, ce cadre. Voilà. C’est ce qui me relie à ce texte qu’autrement je serais presque, malgré les cartes, tenté de prendre pour une fiction. (Il doit pourtant bien y avoir quelque part en moi quelque chose qui me relie à une certaine bourgeoisie du Pas-de-Calais, mais je suis trop mal placé pour voir quoi.) Enfin il y a cette glace, ce cadre, dont le souvenir remonte aussi bien à mon enfance qu’à quelques mois. Je vais pouvoir continuer. Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis et toute la famille.
Votre fils qui vous aime de tout son cœur. Edmond Ces dernières lignes sont plus espacées, ainsi que les mots, pour finir de remplir la carte. Edmond doit être appelé à autre chose : la cuisine, ou les soins à Daussy.

jeudi 6 février 2014

la noirceur de Bégout : un monde sans


Allez, je vais essayer de mettre quelques mots sur, non, pas sur le livre de Bruce Bégout comme j’allais maladroitement l’écrire, mais juste sur ma lecture de l’Accumulation primitive de la noirceur. Ce sera donc un billet sous le signe du manque car figurez-vous qu’étrangement c’est la première fois que je lis un livre de Bruce Bégout – mais assurément pas la dernière. Il me manque donc tout ce qu’il a déjà écrit et qui pourrait, qui devrait déjà résonner dans ma lecture. Le manque lui-même cependant déjà y résonne. Car ce livre, qui ressemble à un recueil de nouvelles, ou qui se présente comme un recueil de nouvelles si vous voulez, paraît reposer sur ce qui n’est pas dit, ce qui peut-être n’est pas dicible, ou bien peut-être tout simplement ce qui n’est pas. Allez savoir.
Comme l’écrit Claro sur son Clavier, pas de chute à la fin des nouvelles de Bégout ; en effet on n’est pas là pour faire des pirouettes. Pas de chute, c’est vrai, mais souvent, quand même, un trou. On ne peut pas tout vous dire, bien sûr, vous risqueriez de ne pas tomber dans le trou et ce serait dommage, mais tout de même, puisqu’il y a une table des matières à la fin, est-ce vraiment spoiler que d’attirer l’attention sur le titre de la nouvelle (mais est-ce à proprement parler une « nouvelle » ?) dont je vous citais l’autre jour un minuscule extrait, à savoir Figures de Lichtenberg ? J’étais content en lisant ce texte de me souvenir, certes assez vaguement, de ce qu’est une « figure de Lichtenberg » sans avoir fait jusque là le rapprochement avec le fameux « couteau » du même. Voilà qui est fait.
Ainsi sont donnés comme des réalités des objets, des événements qui attendent une explication, laquelle nous est refusée, ou remplacée par quelque chose que nous nous refuserions à accepter comme une explication alors que voilà, c’est comme ça. Mince. C’est le cas par exemple dans la nouvelle (mais encore une fois, est-ce une « nouvelle » ?) intitulée Déportation, une exagération. Mais non je ne vais pas vous raconter la fin de ce récit qui n’est pas une nouvelle mais très clairement autre chose – c’est écrit dans le titre et annoncé dans le paragraphe liminaire : une exagération. Genre nouveau à ma connaissance dont Bruce Bégout devrait réclamer le brevet, ça donne envie d’en écrire.
C’est bien du monde que Bégout nous fait le portrait et nous le reconnaissons soudain pour ce qu’il est : un monde sans. Une nothing box qu’on finit par admettre. Une jeune fille au pair qui n’en est pas une. Un monde où certains se livrent à d’étranges pratique, tel le Suiveur, qui suit les gens et fait de cet exercice un art (au point qu’à un moment je me suis surpris à lire écrire au lieu de suivre). Un monde sans élucidation, donc. Elle nous est refusée. La noirceur serait-elle aussi obscurité ? L’élucidation n’est pas cachée à proprement parler, ce qui supposerait qu’elle existerait hors de notre compréhension ; c’est comme ça qu’on se consolait autrefois. Non : elle nous est refusée sans que l’on sache si oui ou non elle existe. La noirceur est plus noire que l’ombre. C’est comme ça et c’est pour ça que tout se termine dans un monstrueux éclat de rire – mais le titre de l’ultime récit nous le dit : cette hilarité sans cause n’aura pas d’autre nom que la Maladie du rire.
 
L’Accumulation primitive de la noirceur de Bruce Bégout est parue en janvier 2014 chez Allia.
http://www.editions-allia.com/files/book_666_image_cover.gif

mercredi 5 février 2014

de l’« accident » de Bayrou à l’« accent » de Finkielkraut

Voici que j’entends que François Bayrou considère l’homosexualité comme un « accident de la vie », d’ailleurs je viens de laisser ma voiture au garage. Rassurez-vous, rien de grave. Et comme depuis Dans mon oreille j’ai des avions (oulipiens) qui volent sous le ciel de mon crâne eh bien dans l’accident je trouve l’accent, qui peut être grave lui aussi, surtout à l’oreille d’Alain Finkielkraut lequel bien sûr ne l’a pas, puisqu’il est né en France.

mardi 4 février 2014

en dehors de votre esprit

J'ai lu vos retranscriptions.
Et alors ?
Alors ? Je suis quelque peu déçu.
Cela se comprend. Vous voulez mettre la main sur quelque chose qui n'existe pas, qui n'a jamais existé en dehors de votre esprit.
 
Bruce Bégout, L'accumulation primitive de la noirceur, Allia, 2014, p. 74
 
Bon, ça ne va pas être facile de trouver les mots pour parler de ce livre. D'ailleurs je ne l'ai pas encore terminé. Mais je reviendrai.

Commentaires

Dans le même temps, c'est justement ce que fait l'écrivain, de mettre le doigt sur ce qui n'existe que dans son esprit. 
Même lorsqu'il imagine l'esprit ou le corps d'un autre. 
Ca n'existe que dans votre esprit donc ça existe au moins pour quelqu'un, même si c'est faux faudrait-il dire...
Commentaire n°1 posté par pradoc le 06/02/2014 à 01h10
Au moment où l'on écrit ce qui existe et ce qui n'existe pas se tiennent comme siamois.
Réponse de PhA le 09/02/2014 à 10h42