mercredi 25 janvier 2017

du kaki sur la langue

On doit choisir des fruits jeunes. Puis décoller d'un couteau le haut en préservant la tige d'où on les laissera pendre. La peau s'ôte pour laisser la chair à nu.

On suspend chaque fruit dehors, sous l'avant-toit de la mansarde, l'un après l'autre. On attend une semaine avant la première caresse : puis un à un masse-t-on ces pâles nourrissons, non en profondeur, mais en toute patience, comme pour ne pas les surprendre dans leur sommeil.

Une nuit passe et un jour avant le deuxième massage. On masse et masse le fruit de long en large, de façon à conserver aux hoshigaki des contours en cœur.

Une nuit et un jour passent, et la caresse recommence : et au fur et à mesure que le fruit dort et sèche, il fonce vers des noirs-marron où, de ci en là, des tons oranges percent comme vivantes des lueurs dedans.

Et puis, remontant à la surface, les sucres, à la crête des rides se creusant de plus en plus, aux confins de ces cœurs suspendus assidûment massés, les sucres ressortent en givres ou légères neiges sur les hauteurs autour des rides.


Alexander Dickow, Rhapsodie curieuse (diospyros kaki), éditions Louise Bottu, 2017, p. 42.



Voilà, j'ai terminé hier la lecture de Rhapsodie curieuse d'Alexander Dickow, écrite dans cette langue délicieuse et légèrement étrange qu'en toute conscience il fait sienne de la nôtre, et je dirais volontiers que je me suis régalé s'il ne restait désormais sur la mienne la persistance du goût imaginaire d'un kaki, japonais de préférence – et avec ce manque l'assurance qu'il me reste tant de choses à savourer ; on n'est pas là d'être rassasié de fruits, de vie et de poésie.

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